Les affres de la réforme
Malgré ma défense passionnée de l’esprit de la réforme, les récents bilans négatifs, le départ inattendu de Robert Bisaillon du MEQ, les positions syndicales et les observations dans mon école secondaire augurent le pire. L’analyse que je fais de la situation ébranle mon optimisme pour la première fois. J’en suis arrivé à la conclusion qu’un tel changement systémique est voué à l’échec s’il repose sur le bénévolat des professionnels, aussi louable soit-il. Force m’est de constater que la pénurie de ressources, les négligences dans la formation professionnelle, l’absence de collaboration et un environnement physique mal adapté, voire rébarbatif, nécessitent une générosité d’efforts et de sacrifices extrascolaires qu’il est aberrant d’espérer de la part d’une collectivité professionnelle. Passé minuit, et je suis encore à m’échiner sur mon enseignement, seul dans le noir. Je crains que bien peu d’enseignants aient ce missionnariat, surtout quand on a oublié d’asseoir leur foi.
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Ouf… François, c’est tout un cri du coeur ça. Et à cette heure…
Sans compter le cri semblable de Étienne Roy la semaine dernière.
Hum… ça fait réfléchir.
Personnellement, je continue d’y croire, tout en projetant sans cesse plus loin dans le temps mes attentes de résultats concrets et « à la hauteurs des efforts déployés ».
Faut qu’on s’en reparle.
François, ton billet permet de se rendre compte qu’il manque beaucoup de conditions essentielles à la réussite d’une réforme ou d’une innovation. Qu’est-ce qui te navre le plus ? Le fait que cette réforme ne pourra jamais être systémique ? Je perçois que tu as l’impression de ramer seul… J’imagine que vous n’avez pas pu mettre en place des temps de libération commun pour que les enseignants puissent collaborer ensemble ? Tout comme Clément, je continue d’y croire… même si je me demande quel sera l’impact au secondaire avec sa structure rigide et compartimentée. Je me remémore souvent ce qu’un grand expert de l’éducation nous dit pour nous remonter le moral devant certains constats comme les tiens : au moins la réforme permettra à ceux qui veulent innover de le faire plus librement. Mais ce ne sera évidemment pas systémique.
En dépit du temps auquel je me suis obligé pour laisser décanter ma désillusion, ma rage perdure. Et je dois contenir mon cynisme par respect (sincère) pour ceux qui témoignent de l’optimisme sans réellement connaître la galère de la pratique en butte au changement. Pour répondre un peu plus précisément à la question de Christine quant à ce qui me navre le plus et je croyais avoir été clair en en faisant l’idée principale du billet c’est que je commence à en avoir marre de ce système qui se nourrit d’idéaux en transformant les acteurs en curée ou chair à canon. Mais où va donc l’éducation si on perd de vue les valeurs humaines au profit de la machine ? Continuez d’espérer dans le confort de vos bureaux. Mais comme toute flamme, celle de l’innovation s’éteint lorsque privée d’oxygène.
Salut
Je comprends parfaitement l’état d’esprit de François. Quand les billots descendent sur la rivière et qu’il n’y a qu’un ou deux hommes ou femmes de gaffe, le tout déborde et le désespoir est aux portes…
Je crois tout de même qu’il faut malgré tout continuer à tenir le fort. Si mon pouvoir pédagogique d’innovation et de changement ne s’exerce qu’au milieu de ma centaine d’élèves, ce sera une centaine d’élèves qui auront redécouvert le plaisir d’apprendre.
Et par leur plaisir et leur attitude, peut-être feront-ils partie de cette lente masse critique qui forceront les structures et les autres enseignants à se poser des questions. Les rivières les plus tumultueuses sont souvent nées de l’érosion de courants souterrains.
Peut-être devons-nous nous mettre en garde contre « l’effet des éteignoirs ». Si de porter le message par la parole publique ne passe pas, personne ne peut empêcher l’action individuelle. C’est comme cela que Gandhi a tracé sa route. C’est sur cela que s’interroge aussi le journaliste héros de « Un dimanche à la piscine à Kigalli » le merveilleux roman de Gil Courtemanche. « Mëme si mon geste ne devrait presque rien changer, il en va de la dignité humaine de le poser » édicte son personnage…
J’y crois humblement et c’est peut-être la seule façon de continuer le combat pédagogique, être égoïste dans son plaisir de faire apprendre… et peut-être ainsi convaincre par sa propre action.
Michel Clément
Merci, Michel, de ces paroles salutaires. Il y a des mots qui sont plus apaisants qu’un analgésique. Et surtout plus durables.
Je suis reconnaissant à André, en réponse au commentaire de Clément, de mieux définir la fatigue des enseignants. Cela ne fait qu’entériner ce que je soulignais plus haut, à savoir que seuls ceux qui ont connu l’enseignement sont en mesure de bien comprendre la problématique de la migration de paradigme. Je m’en veux d’ailleurs d’avoir été cinglant à la suite des commentaires charitables de Clément et de Christine, dont l’amitié m’est chère. On dit souvent que les Québécois évitent la chicane ; j’ose espérer que l’on sait plutôt s’en éperonner.
Par conséquent, je récidive. En revenant au commentaire d’André, je hurle mon désespoir à la lecture de cette phrase : « Je dis souvent qu’il y a des profs qui, malheureusement, n’ont pas l’enseignement comme loisir. » Ce « malheureusement » blesse. En plus de s’échiner au travail et à la maison (bien au-delà de 40 heures), faut-il encore que nous y consacrions nos loisirs ? Que reste-t-il de la dignité humaine si chacun doit s’asservir à l’étroitesse de sa profession ? Et comment espérer, après cela, qu’un enseignant transmette les valeurs essentielles à ses élèves ? Je ne donne pas cher de notre système d’éducation si « seuls ceux qui ont l’enseignement comme loisirs s’accrochent et tiennent le fort. » Si c’est le fort qu’on me demande de défendre, je préfère déserter et joindre les rangs des attaquants.
P.-S. Sans rancune pour André que j’estime et que je lis régulièrement. Le mot a dû lui échapper.
Salut François ! Je pense comme Christine, si au moins la Réforme peut permettre à ceux qui veulent innover de le faire plus librement alors elle vaut la peine d’être soutenue et défendue. Il y a aussi le commentaire de Michel qui rejoint vraiment ma façon de voir les choses. Tu connais sûrement cette vieille histoire où une petit enfant marche au bord de la mer, recueillant les étoiles de mer déposées sur le rivage par les vagues. Ils les lance à la mer les unes après les autres en espérant les sauver. Un viel homme s’approche de lui et lui dit qu’il est inutile d’essayer de sauver ces étoiles de mer. Et l’enfant lui répond : » Si pour une seule de ces étoiles mon geste peut faire une différence alors ça vaut la peine de continuer. »
Content d’avoir de tes nouvelles, Danielle. Vos commentaires ont fait évoluer ma pensée sur la réforme. J’en suis venu à la conclusion que la réforme, c’est de la foutaise. Mais c’est néanmoins positif, et pas parce que j’ai pris le parti de l’enseignement explicite. J’espère pouvoir m’expliquer bientôt.
«J’espère pouvoir m’expliquer bientôt.»
François, j’ai hâte de lire ça !
Bien que ce billet remonte à décembre 2004, je crois qu’il est toujours d’actualité. Tu piques notre curiosité François…
J’aimerais bien que tu sois plus «explicite» justement… sur ta prémisse
C’est presque comme attendre la sortie du prochain Harry Potter!;-))
Allons, Mario… un peu de patience, que diable ! Tu vis trop à la vitesse de l’électronique ;-)))
Hum ! André… j’ai bien peur que tu sois fichtrement déçu. Ça risque de prendre davantage des allures de Voldemort ;-))))
Tiens, on dirait bien qu’il y a beaucoup de monde de branché, ce soir. Et cet échange commence à ressembler à une session de clavardage ! (mais il n’y a que les vieux qui disent « clavardage »)
Clavardons, c’est rigolo ! La réforme, c’est comme une partie d’échecs. Il faut placer nos pions et prendre un avantage stratégique en étant partout sur le terrain. Imagine que les maisons d’édition nous proposent des composantes numériques, approuvées bien sûr, allant de pair avec les manuels scolaires approuvés. Il faudra bien que les ordinateurs et les canons suivent… Il faudra bien que le MELS nous donne les moyen$ d’exploiter les ressources qu’il approuve. Tu comprends mon dernier coup sur l’échiquier.
Le problème, avec les manuels, c’est que leurs coûts prohibitifs font en sorte que les enseignants n’en disposent habituellement que d’un seul. Par conséquent, les élèves sont souvent confinés dans une seule et même pièce.
Par ailleurs, je trouve qu’il n’y a rien de pire qu’un manuel pour inciter un enseignant à la paresse professionnelle. Rien de plus facile, avec ce genre de ressource, que d’utiliser les activités du cahier du maître comme autant de recettes.
L’acte pédagogique est beaucoup plus valable quand l’enseignant doit poser un diagnostic, puis déterminer les stratégies et les ressources qui catalyseront les apprentissages. Mais pour cela, il doit disposer d’une panoplie d’instruments.
Suivre un manuel scolaire, ce n’est pas seulement de la paresse professionnelle, c’est aussi de la paresse intellectuelle. J’ai déjà grandement choqué quelqu’un en lui affirmant que je n’aurai jamais la molesse d’esprit nécessaire pour suivre un manuel scolaire. Mais, qu’est-ce qu’un bon matériel didactique? Personnellement, je n’ai besoin que d’un recueil de savoirs que l’élève pourra consulter au besoin. La pédagogie, j’en fais mon affaire !
Tu es une pédagogue exceptionnelle, Danielle. Tes collègues, dont j’ai eu la chance de faire partie, sont unanimes sur ce point. Je m’inquiète plutôt pour ceux dont l’enseignement se limite à une seule approche, et pour qui un manuel constitue une béquille indispensable.
Pour clore ce clavardage, laisse-moi te retourner le compliment : tu es un pédagogue exceptionnel ! Et en plus, tu ne peux pas t’imaginer à quel point je partage ton inquiétude!