L'aversion pour l'écriture
Dans un billet récent sur les blogues en tant qu’outil de formation continue, l’écriture avait été identifiée comme un obstacle à leur usage. Et cela même au sein d’une profession enseignante qui, théoriquement, vante les mérites de l’écriture. Le phénomène se répète dans les autres professions hautement scolarisées. Le plus souvent, on dit détester l’écriture. Considérant tout le temps qu’on y consacre à l’école, n’est-ce pas étonnant ? …
L’aversion pour l’écriture n’est certes pas le seul facteur de l’indifférence pour les blogues. D’une part, la complexité et la froideur des TIC en répugnent plus d’un ; position fort défendable au regard d’une prédilection pour la nature et les relations in situ. Au surplus, il ne sied pas à tout le monde d’étaler sa pensée sur la place publique, surtout quand celle-ci ressemble de plus en plus à une foire. Certains gardent jalousement leurs idées tandis que d’autres, le temps aidant, succombent à la paresse intellectuelle.
Néanmoins, il y a lieu de s’interroger sur cette répulsion à écrire qui freine l’épanouissement et la productivité. Comme dit Paul Graham, si on écrit mal et qu’on déteste s’y mettre, on perd la plupart des idées que l’écriture aurait engendrées. J’ai fait un inventaire des causes qui semblent handicaper l’écriture :
L’effort inhérent à l’écriture. Si la parole est un acte naturel qui permet de faire autre chose en même temps, il en va autrement pour l’écriture. Non seulement celle-ci monopolise-t-elle l’esprit, mais elle immobilise aussi le corps. De plus, l’écriture est d’une lenteur désespérante.
La difficulté de la langue. Le français est une langue belle, mais ô complexe, que l’aristocratie du siècle de la lumière nous a léguée et que les universités et l’Académie française ont ardemment préservée. La langue anglaise, en comparaison, est beaucoup plus simple ; il est vrai, toutefois, qu’elle s’adapte plus rapidement à l’usage populaire. Ainsi, il ne se fait pas d’enseignement systématique de la grammaire dans les écoles anglaises.
L’obsession pour la grammaire. C’est effarant tout le temps qu’on passe dans les écoles à apprendre des règles de grammaire. Une véritable algèbre de la langue qu’on nous martèle ad nauseam. Les élèves détestent ? Qu’à cela ne tienne…, on en rajoute ! Comment prendre plaisir à l’écriture quand on nous a inculqué la phobie des fautes.
La hantise du résultat. Quand il s’agit de l’écriture, il y a cette curieuse mentalité que les élèves doivent réussir à la perfection. Je connais très peu de profs de français (voir de profs tout court) qui ne se plaignent pas de la qualité du français chez les élèves ; du coup, c’est devenu une véritable fixation nationale. Et on ne se gêne pas pour tancer vertement les élèves. Pense-ton encourager l’écriture en rabaissant les efforts des élèves ? Une fois de plus, on oublie que l’apprentissage est un processus graduel.
Des programmes de formation surchargés. À l’époque où l’école se contentait d’enseigner les disciplines de base, avec quelques cours accessoires par-ci par-là, il était plus facile de concentrer les savoirs. Aujourd’hui, avec dix disciplines par année au secondaire, les élèves doivent composer avec une multitude et une diversité d’apprentissages.
Une surcharge d’écriture à l’école. La multitude des disciplines scolaires entraîne une saturation d’écriture qui accable les élèves. Cette saturation provient, bien sûr, du cumul des exigences relatives à chaque discipline ; elle a tôt-fait d’enlever aux élèves le goût d’écrire. Sans compter que les sujets sont généralement barbants. On mise davantage sur la production de masse que sur la réflexion.
Une langue surannée. La langue que l’on demande aux jeunes d’écrire ne correspond guère à leur réalité. Non pas qu’il faille les encourager dans leur sabir, au contraire. Mais il n’en demeure pas moins que la motivation des élèves en prend un coup quand vient le moment d’utiliser une langue quasi étrangère.
La désinvolture sociale. En raison de sa complexité, l’écriture gagne à trouver son reflet dans l’environnement social. Or, où sont les modèles d’une expression correcte ? (Pour ce qui est des modèles d’une langue belle, passons.) Le joual et la vulgarité règnent sur les ondes. Même la télévision d’État a abdiqué la rectitude. Les parents les mieux éduqués parlent une langue bâtarde, tout comme la majorité des enseignants d’ailleurs.
Je suis d’avis que c’est en écrivant qu’on apprend à écrire. Lentement. Très lentement. Mais il y a peut-être lieu d’accélérer un tantinet la cadence en encourageant les élèves à s’amuser avec la plume, en valorisant l’individualité, en jetant une étincelle, puis en laissant le temps faire son oeuvre.
Quand j’étais écolier, j’abominais l’écriture. J’avais juré de ne plus écrire quand je serais grand. Preuve de quoi il y a toujours de l’espoir.
Mise à jour (21 avril 2005) | Il se trouve que j’ai omis un facteur important qui fait obstacle à l’écriture :
Le temps. De par sa lenteur, l’écriture demande du temps. Et l’écriture carnetière en demande un peu plus que certaines autres formes. Il est donc tout à fait normal que l’on prèfère occuper ce temps à d’autres activités, et surtout si elles sont familiales.
Par ricochet :
Les blogues au secours de l’écriture
Écriture carnetière
Échec de l’écriture
Enseignement inefficace de la grammaire
Blogs et écriture à l’école
Blog réflexif et formation professionnelle
Éloge de la concision
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Saurais-tu identifier quelques facteurs qui ont contribué à te redonner le goût d’écrire?
Si je puis me permettre de répondre à Stéphane, je dirais que dans mon cas (moi qui voulait mourir plutôt que d’aller en classe de français et qui finalement fit un bacc. en enseignement du français), ce qui m’a réconcilié avec la grammaire et l’orthographe, ce fut de prendre conscience que la part d’arbitraire dans les règles de notre langue était, malgré tout, minime et, qu’à bien y chercher, on trouvait souvent pourquoi il convenait de faire comme ceci plutôt que comme cela. Si je puis toujours me permettre, je suggèrerais le merveilleux bouquin de Jeanne Dion et Marie Serpereau, Grammaire, conjugaison, orthographe chez Bordas pédagogie (Paris, 2002, 143 pages). Ces dames y proposent des activités qui me semblent géniales dans le but d’aider les élèves «à se construire des savoirs sur le fonctionnement de la langue».
Ce qui, de toute évidence, ne m’empêche pas de faire des erreurs de conjugaison.
Désolé, pour celle-là.
Stéphane a vraiment de ces questions pour approfondir un billet ! Et je remercie Sacco d’avoir donné ses raisons, car je ne crois pas que mes raisons seules aient beaucoup de poids. Quoi qu’il en soit, je vois trois facteurs qui m’ont réconcilié avec l’écriture :
1. La littérature. Il n’y a pas que l’écriture qui suscite de nouvelles idées. La lecture aussi stimule la pensée. Et puis l’habitude de la lecture finit par inculquer des modèles qui, en soi, sont magistraux. La lecture me sert encore de réchauffement à l’écriture.
2. Les TIC. Ce que j’en ai jeté, au collège, des pages dactylographiées à reprendre ! De plus, le clavier d’ordinateur me permet d’écrire plus rapidement. Sans doute pas plus agréablement, mais définitivement plus rapidement. Et puis il y a toutes ces magnifiques applications qui me permettent d’organiser l’information.
3. L’éducation. Malgré que l’école m’ait fait damner, il reste que j’ai fini par apprendre des choses. Les travaux forcés m’ont eu à l’usure. Et puis, le temps se charge de nous faire gagner un peu de maturité et de sagesse (j’ose espérer).
Merci d’avoir pris le temps de partager ces réflexions. Il y a une richesse je crois à retirer pour notre propre intervention en tant que prof dans l’autointerrogation à propos de situations qui nous ont irrité dans le passé.
Ton billet, François, m’a fait prendre conscience que si je suis passablement porté à réfléchir sur ma pratique, je suis moins réflexif par rapport à ces choses qui ont pu m’agacer en tant qu’apprenant.
Quand j’adopte moi-même ce type de regard intrarétrospectif, je retourne à l’époque où j’écrivais des livres dont vous êtes le héros sur mon Commodore 64. Nous étions deux en fait. On composait les textes ensemble, moi je programmais et lui s’occupait de faire les dessins et de les convertir en « sprite ». C’est le nom qui était donné aux animations sur le Commodore. Enfin, l’essentiel de mon propos n’est pas là.
Je me souviens que, ce que j’appréciais de cette expérience, c’est la créativité que nous pouvions déployer. Je me lassais à l’école d’écrire à partir de modèles prescrits. Des modèles souvent trop serrés. Comme Mario le soulignait dans un de ses billets récents, ça faisait un peu « fill-in the blanks ».
Or, je me souviens aussi d’une situation pendant que nous relisions notre livre où il y a quelque chose qui « clochait » dans le déroulement de l’histoire. On ne savait pas très bien ce que c’était mais on avait le « feeling » que ça ne tournait pas rond. C’est probablement à cette occasion (et il y en a peut-être d’autres dont nous avons pas été conscients) que nous aurions eu besoin d’un coup de pouce de la part d’une personne plus compétente. Un enseignant par exemple.
Bref, d’une part, je me rends compte que j’ai grandement apprécié cette liberté dont je disposais mais, d’autre part, il faut aussi être conscient des limites de cette liberté, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Il y a une saine tension à découvrir – et qui est encore trop peu explorée, je m’en rends de plus en plus compte par ce que je lis – entre l’implication de l’élève et celle du prof.
Je crois aussi que le rapport au passé est un facteur non négligeable du constructivisme. Toutefois, je suis handicapé par une mémoire labile. D’où l’importance des TIC comme support à la mémoire.
Tu sais sans doute que je défends la thèse selon laquelle nous ne devrions pas obliger les élèves à bloguer. Je n’ai pas changé mon discours à l’école. Il me faut donc réussir à amener les élèves à bloguer par choix plutôt que par obligation. Ces deux derniers jours, j’ai passé 40 minutes avec les élèves à discuter des blogues et à leur présenter les raisons pour lesquelles ils devraient bloguer. L’une des raisons, justement, était de leur faire réaliser l’importance de cumuler un portfolio de vie, soit une macédoine organisée de moments de la vie (textes, photos, fichiers audio, vidéos).
Le commentaire qui suit, tout aussi intéressant, me fait réaliser toute l’importance de la relation maître-élève. Celle-ci doit non seulement en être une de confiance, mais également de partage. Par ailleurs, si tes enseignants t’avaient enseigné la méthodologie, tu aurais peut-être su où trouver réponse à tes interrogations. La beauté de la méthode, c’est sa transversalité.