En quête de lenteur
La qualité exige du temps. Beaucoup de temps. Pour un travail bien fait, il faut s’y consacrer. Et pourtant, il y a encore des enseignants pour accabler les élèves de devoirs après chaque cours. Il ne faut pas s’étonner si les élèves bâclent le travail sous la surenchère des disciplines scolaires ou la compression des examens. Je ne connais pas beaucoup de professionnels à qui on demande de produire un document officiel en moins de deux heures. …
Dans ces conditions, les apprentissages restent superficiels et l’usure du temps a vite fait de les éroder. Car l’apprentissage aussi exige du temps. Le temps de réfléchir, d’analyser, de partager, de faire des associations, puis de nouvelles découvertes. Le temps de trouver le sens des choses, de cultiver les idées, d’en fouiller les recoins les plus sombres. Le temps de se tromper, de questionner, de chercher, puis de recommencer.
Mais dans un système scolaire modelé sur l’efficacité industrielle, la productivité a préséance sur l’individu. De là notre obsession pour les programmes de formation et les seuils de réussite qu’on mesure obligatoirement et uniformément en jours de présence à l’école, en crédits accumulés, et en pourcentages. Tout est réglé comme un chronomètre.
Le rythme est dicté par un mode vie effréné. Au point où l’accélération de l’évolution dépasse la nature humaine ; elle répond à une pensée collective qui n’a plus de commune mesure avec la pensée individuelle. L’ordinateur, qui n’est pas étranger à ce phénomène, permet de faire des choses inimaginables il y a quelques années seulement ; mais la plupart sont superflues.
On ose enfin dénoncer les effets néfastes de la surdose d’information. Jeffrey Young, dans un article du Chronicle of Higher Education (Knowing When to Log Off), présente les réactions de plusieurs technophiles qui ont décroché des TIC, histoire de renouer avec une liberté plus naturelle. Cliff Atkinson, pour sa part, rapporte ces propos de Tom Grimes, professeur à l’Université Kansas State :
The human brain is today as it was in the 1880s, the 1580s and in the time of the Greeks and Romans. It has not changed. We are no better able to parallel process conflicting information than we were 300 years ago.
Pour conclure, j’attire votre attention sur un billet d’Elisabeth Freeman, elle aussi une passionnée des TIC, mais qui néanmoins fait l’apologie de la lenteur. Parfois, et de plus en plus souvent, j’ai envie moi aussi d’habiter une de ces villes qui vit au ralenti, dégustant des aliments cultivés au gré du temps.
Mise à jour, 11 mai, 2005 | Voyez le billet, fort éloquent, d’un élève sur ce sujet. Il se permet même de me faire la leçon, ce que j’adore.
Mise à jour, 16 avril, 2007| Gary Woodill présente un billet très intéressant sur l’importance de la lenteur dans le processus d’apprentissage (Gary Woodill : The Importance of Learning Slowly). Woodill résume le livre de Manfred Spitzer : The Mind within the Net: models of learning, thinking, and acting.
Par ricochet :
Trop occupé pour penser
Facilitation vs gavage
Les TIC causent-ils un déficit d’attention ?
Vous pouvez suivre les commentaires en réponse à ce billet avec le RSS 2.0 Vous pouvez laisser une réponse, ou trackback.
Roman à lire absolument, de Sten Nadolny, « La découverte de la lenteur », Grasset/Les Cahiers Rouges n°261.
« Je ne connais pas beaucoup de professionnels à qui on demande de produire un document officiel en moins de deux heures. … » Il s’agit d’aller travailler de le service de communication d’un ministère ou d’une agence gouvernementale pour voir ça. Évidement, une fois sur deux, le document final est inutile parce que la direction a changé d’avis sur la manière de procéder…
Je refais périodiquement l’expérience de la lenteur, ces temps-ci en étant inscrit à des cours de joaillerie où tout est dans l’art de s’appliquer et prendre son temps (et ne pas virer fou), où en allant dans un petit coin de paradis où ne rien faire. C’est un peu ma façon de « décrocher des TIC, histoire de renouer avec une liberté plus naturelle ».
Ça doit être complètement dingue, Marc André, que de se racler le cabochon à longueur de journée comme ça ! C’est à se demander si l’écriture est une compétence ou un mauvais sort. Est-ce qu’on forme réellement des gens pour travailler dans pareil hachoir ? Et moi qui croyais que l’enseignement était difficile. Dans ces conditions, je te comprends de fuir ce pandémonium pour un coin de paradis.
Oui, c’est complètement dingue: la désorganisation bureaucratisée du gouvernement avec le stress d’un service de communication.
Voilà pourquoi, comme tous qui avait le moindrement d’hygiène mental, j’ai foutu le camps de cet environnement. Non, je ne suis plus dans ce pandémonium et je plains ceux qui y restent.