Étude quantitative (socioconstructivisme)
Dans la foulée du débat sur la liste edu-ressources opposant les tenants de l’enseignement direct aux réformistes, il est tentant de signaler cette étude quantitative (document Word) qui souligne l’efficacité d’une méthode socioconstructiviste pour l’apprentissage de la lecture (Le Café pédagogique : Une méthode pédagogique américaine fait ses preuves pour l’apprentissage de la lecture). …
- Au terme d’une longue enquête qui a coûté près de 7 millions de dollars et engagé 38 écoles, un programme éducatif affirme garantir ses résultats. Il s’agit de « Success For All » (SFA), un programme déjà implanté dans plus de 1000 écoles dans le pays. D’après cette étude, au bout de deux ans les élèves ayant suivi SFA auraient un niveau de lecture nettement supérieur à celui de leurs camarades. SFA c’est à la fois une méthode de lecture, un support pédagogique incluant un conseiller surplace pour l’école et une philosophie. Commençons par la méthode.
SFA centre les activités sur la lecture intensive : au moins 90 minutes par jour dont une vingtaine de lecture réciproque entre les enfants. La méthode est phonétique et utilise des exercices de synthèse et d’expression dès l’élémentaire.
Mais pour SFA, la clé du succès n’est pas dans ma méthode mais dans la philosophie. Selon SFA, les difficultés scolaires ne concernent pas quelques élèves qui auraient besoin d’une aide spécifique. C’est l’établissement dans sa globalité sur lequel il faut agir. Pour SFA, la lecture est d’abord un acte social et SFA préconise systématiquement l’apprentissage coopératif, le travail d’équipe, le brassage des classes. Mieux encore, SFA entend associer les parents et une partie du budget est réservée pour les aider , les accompagner, leur faire jouer un rôle : c’est ce que SFA appelle la Solution Team. C’est par le lien social que les écoliers progressent.
Le site de la fondation Success for All comprend d’ailleurs toute une page consacrée à la recherche. Enfin, je m’en voudrais de ne pas signaler le dernier message de M. Peladeau sur la liste edu-ressources, dans lequel il indique, de façon constructive, une tapée de ressources pour cibler la recherche en matière d’éducation.
Par ricochet :
Le fossé des générations
La recherche connective
Repenser les débuts du primaire
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«Selon SFA, les difficultés scolaires ne concernent pas quelques élèves qui auraient besoin d’une aide spécifique. C’est l’établissement dans sa globalité sur lequel il faut agir.»
J’aime!!! Solidarité, quel bel apprentissage que celui de la solidarité! Si un de nos concitoyens souffre (de difficultés ou d’autres maux), cela ne nous concerne-t-il pas tous?!?
François,
Il s’agit effectivement d’une étude intéressante, bien faite et qui mérite d’être citée en exemple. On ne pouvait s’attendre à moins de Slavin. Cependant, c’est une erreur de croire que Success for All est une méthode socioconstructiviste. Bien au contraire, il s’agit d’une méthode instructionniste.
Dans une intervention récente sur Edu-ressources, j’avais classé les méthodes en 2 grands classes et présenté le graphique suivant:
http://www.simstat.com/Image3.png
Success for All se retrouve du côté du côté des modèles instructionnistes et opposé aux modèles constructiviste. Je sais qu’il y a des tentatives du côté de certaines écoles anglophones au Québec d’implanter le modèle Success-for-all et je m’en réjouit. Étant en faveur des modèles instructionnistes plutôt que socioconstructivistes, j’apprécie autant l’enseignement direct, le modèle success-for-all, Core Knowledge, l’enseignement explicite, et tous les autres modèles semblables.
Si les gens considèrent ce modèle comme une approche socioconstructiviste, je serai alors le premier à défendre une réforme socioconstructiviste dans sa version « success for all ».
Normand a forcément semé un doute en affirmant que la méthode Success for All est du genre instructionniste. Mais à y regarder de plus près, il appert que cette classification est un tant soit peu arbitraire, car plusieurs aspects de la méthode relèvent du socioconstructivisme (j’y reviendrai). J’admets cependant qu’il est tout aussi exagéré de ma part de la considérer comme purement socioconstructiviste, car on a raison de faire valoir que la méthode comporte un volet directif. Il semble donc qu’il s’agit d’une méthode hybride, en ce qu’elle emprunte à l’un et à l’autre ce que chacun a de meilleur à offrir. Ce qui n’est certainement pas étranger à son succès. Je crois me rappeler que cette mixité dans les approches, que je préconise également, a déjà été évoquée dans la discussion sur la liste edu-ressources.
Voici donc les caractéristiques de Success for All qui reposent sur le socioconstructivisme (tirées de About SFAF – Our approach to increasing student achievement) :
D’un autre côté, voici ce qui me porte à croire que Success for All est en partie une approche directive :
Tout ceci me porte à croire que l’outrance du débat était, somme toute, exagérée. Nos positions respectives, quoique divergentes, ne sont pas si exclusives. Je connais fort peu de défenseurs de la réforme pour prôner un paradigme d’apprentissage où les élèves sont libres de tout décider. Il y a toujours une part d’instructionnisme dans le rôle d’un enseignant. Il me semble qu’on s’est chicané pour une simple question de degré.
Ajout personnel | À la suite de mon dernier commentaire, Normand Péladeau a publié une réponse sur la liste edu-ressources. Je me permets de la reproduire ci-dessous, pour mes archives :
Il s’est produit hier une situation bien singulière que je crois favorable soit à un rapprochement des positions, ou à tous le moins, à une meilleure compréhension du débat actuel. Dans un message sur son blogue:
François Guité amenait comme une preuve empirique du modèle socioconstructiviste une étude réalisée aux États Unis qui démontre très clairement que l’application du modèle en question favoriserait les apprentissages. Cette étude est d’ailleurs citée par le Café Pédagogique:
Monsieur Guité déclare:
Moi qui demandait depuis fort longtemps que les défenseurs de l’approche socioconstructivistes avancent de telles études démontrant les effets positifs de cette approche, voici enfin une étude empirique ma foi fort bien faite. Le problème, c’est que pour moi, il est très clair qu’il ne s’agit pas d’une approche socioconstructiviste mais au contraire d’une approche instructionniste au même titre que l’enseignement explicite et l’enseignement direct. J’avais d’ailleurs explicitement identifié ce modèle (du nom de Success-for-All) comme instructionniste dans mon message du 20 avril dernier sur cette liste:
Et sauf erreur (Steve le confirmera peut-être), le fameux rapport de Gauthier, Mellouik, Simard, Richard et Bissonnette (2004) et le livre qui a suivi identifient également le modèle Success-for-All comme un modèle d’enseignement explicite.
Voilà que le modèle Success-for-All est présenté à la fois comme un modèle socioconstructiviste et comme un modèle instructionniste. Avec des résultats aussi impressionnants, chacun voudrait avoir ce modèle dans sa cour. Mais qui a raison?
Apres avoir indiqué qu’il s’agissait selon moi d’un modèle instructionniste, monsieur Guité réagit en proposant l’idée qu’il pourrait en fait s’agir d’un modèle mixte qui intègre des éléments socioconstructivistes et des éléments d’un enseignement direct. Son argument repose en fait sur l’utilisation importante que fait Success-for-All de l’enseignement coopératif et du rationnel fourni par les auteurs pour justifier l’utilisation de cette technique.
Cela soulève plusieurs questions intéressantes, la plus importante étant sans doute qu’est ce qui fait qu’un modèle est socioconstructiviste ou instructionniste? Avant de répondre à cette question je dirais que, selon ma perspective, cela démontre comment la perception des modèles instructionnistes que les gens peuvent véhiculer est caricaturale et se résume trop souvent à identifier ces modèles à un enseignement traditionnel surtout magistral. Je crois qu’il est important de mettre les choses au clair:
Mais alors, comment faire alors pour différencier les approches socioconstructivistes des approches instructionnistes s’ils font tous usage des mêmes techniques et partagent souvent des objectifs communs?
Une analyse très superficielle qui se contenterait d’examiner les éléments pris isolément nous amènerait à croire qu’il s’agit dans tous les cas de méthodes mixtes (ou socioconstructivistes). Pour vraiment différencier les approches socioconstructivistes et instructionnistes il faut en fait considérer le modèle dans sa globalité. Il faut voir comment ces techniques s’intègrent dans une stratégie d’ensemble. Et si on examine attentivement comment l’enseignement coopératif s’inscrit dans le modèle Success-For-All, selon la description que l’on retrouve ici:
On constate que le cadre dans lequel s’inscrivent ces activités d’apprentissage coopératif (voir la section « Cycle of Effective Instruction ») diffère complètement du modèle prescrit par le modèle socioconstructivite. Ce cadre comporte un cycle d’activités en 4 temps:
C’est ce cadre qui fait en sorte qu’il s’agisse ici d’un modèle instructionniste. Un enseignement explicite au départ (temps 1) suivi d’une mise en application (temps 2), les tests réguliers au temps 3 autant sommatifs que formatifs, les objectifs académiques et comportementaux bien définis aux temps 3 et 4, l’importance des mesures de performances, sont autant d’éléments qui ne cadrent pas avec le modèle socioconstructiviste. Demandez à des gens comme Marie Françoise Legendre, Michel Carbonneau, Richard Pallascio, Jacques Tardif, ou à votre conseiller pédagogique très au fait de la philosophie de la réforme, ce qu’ils pensent de cette façon de structurer l’enseignement. Je serais surpris qu’ils trouvent cette organisation acceptable et en conformité avec l’esprit de la réforme.
Si vous n’êtes pas d’accord avec mon analyse et croyez que Success-for-All est compatible avec la réforme, alors je vous encourage fortement explorer ce modèle, à l’analyser et à l’implanter. On se reverra dans un an ou deux. Non seulement vos élèves auront-ils profité d’un modèle pédagogique qui a fait ses preuves, mais vous jetterez sans doute un coup d’oeil bien différent cette réforme. Et si vous avez besoin de soutien pour répondre aux attaques et critiquesqui ne manqueront pas de venir, vous savez comment me contacter.
Normand Péladeau
Recherches Provalis
Une méthode qui repose sur les principes du socioconstructivisme, du point de vue des apprentissages, qu’elle encadre ensuite d’une structure d’enseignement dirigée peut-elle revendiquer l’exclusivité d’une approche pédagogique ? En toute objectivité, c’est plutôt fallacieux. Il est plus juste de dire qu’elle est mixte, tel que je l’indiquais dans mon premier commentaire.
Évitons les querelles de clocher et reconnaissons que dans les faits, un vrai pédagogue (et non un technicien de l’enseignement) n’a que faire des positions extrémistes. Il emprunte plutôt aux uns et aux autres au gré des besoins des élèves.
La discorde me semble largement animée par une incohérence (au sens d’antinomie) entre l’analyse du phénomène du point de vue de l’enseignant et du point de vue de l’apprenant. Sous l’angle du premier, effectivement, Success for All doit théoriquement être considéré comme instructionniste. Dans la pratique, toutefois, je serais curieux de savoir si tous les enseignants utilisent la méthode aveuglément, où s’ils ne l’adaptent pas selon la situation. Mais cette dernière remarque n’est qu’une digression bien secondaire. Sous l’angle de l’apprenant, pour poursuivre, il appert que Success for All doit théoriquement être rangée dans le camp du socioconstructivisme, à en juger par les extraits présentés ci-dessus. La méthode, donc, repose à la fois sur une philosophie de l’enseignement et sur une philosophie de l’apprentissage. De là son mérite.
Il est faux de prétendre que la réforme de l’école québécoise exclut d’emblée les quatre temps d’activité de Success for All (enseignement, travail d’équipe, évaluation, reconnaissance du travail d’équipe). Il n’a jamais été question, à ce que je sache, que la réforme bannisse l’un ou l’autre ; si elle l’a été, c’est uniquement par des théoriciens. En pratique, la différence tient davantage à la souplesse et à la nature de leur utilisation, comme cela se doit.
Que l’on débatte de la classification d’une méthode du point de vue de l’enseignant ou de l’apprenant ne mène qu’à des arguties. Ce qui importe davantage est la réalité de la classe. D’où la nécessité de rapprocher théoriciens et praticiens. Il ne faut pas croire que les enseignants sont tous ignares en matière de théorie éducationnelle. Là où l’ignorance subsiste, on l’atténuerait considérablement en intensifiant la communication entre les paliers.
Ce fossé qui sépare les théoriciens et les praticiens est malheureux. De tout ce cafouillage, l’élève écope. Un enseignant (et non un technicien, j’insiste) n’a d’autre choix que d’absorber les diverses théories éducationnelles, à la fois intemporelles et générales, pour les adapter à la spécificité du quotidien et des élèves. Dans le cas qui nous préoccupe, qu’il s’agisse de socioconstructivisme, de social learning, ou d’instructionnisme, il n’a que faire des dogmes, des querelles et des ukases. Quand il s’agit de socioconstructivisme, il le transpose à la réalité de l’enseignement. En fin de compte, il n’y a que cela de vrai.
Enfin, pour éviter toute ambiguïté qu’un lecteur pourrait se faire, je ne considère pas le modèle instructionniste comme une approche traditionnelle. Cette précision que vous soulevez a déjà été évoquée assez de fois pour que ce soit bien compris. Mais sans doute est-il besoin de le rappeler pour les quelques lecteurs qui aboutiront sur cette page.
Mais à ce compte, on peut affirmer que toutes les approches pédagogiques sont, du point de vue de l’apprenant, des approches socioconstructivistes, puisque tous reconnaissent d’une façon ou de l’autre que la connaissance est une construction personnelle et également sociale. Ed Hirsch, celui qui a fondé le mouvement Core Knowledge admet explicitement ce fait, et on peut également voir dans le principe de « faultless communication » de Sig Engelmann, l’inventeur du Direct Instrucion, une reconnaissance du fait que l’élève reconstruit à sa façon et en interaction avec ses pairs les informations qui lui sont transmises.
Il est important de faire la différence entre la théorie de la construction sociale des apprentissages, et la théorie de l’enseignement. Tous sont à peu près d’accord avec la première, mais tous ne sont pas d’accord avec la deuxième et le débat porte en fait à ce niveau.
Tous les modèles pédagogiques comportent également des activités de travail en équipe, de tutorat par les pairs, de travail coopératif, etc. Est-ce que l’on devrait faire sauter cette distinction? Et pourquoi pas également la distinction entre les approches globales en lecture et les approches phonétiques, puisque les approches phonétiques incluent certains éléments de reconnaissance globale et les approches globales comportent souvent quelques éléments de phonétique (juste au cas où). S’agit-il pour autant de méthodes mixtes qui s’équivalent?
Comme tout est dans tout, plus rien n’est rien et toutes ces étiquettes sont inutiles, de la bouillie pour les chats ou pour les théoriciens.
Je pense au contraire qu’il est important de se poser la question de ce qui différencie réellement les positions des gens qui s’opposent, dont les socioconstructivistes et les instructionnistes. Ça ne semble pas être la théorie de l’apprentissage ou même la présence d’une technique précise d’enseignement. L’opposition bien réelle et primordiale repose selon moi non pas sur les éléments pris isolément, mais sur la structuration globale de l’enseignement, la stratégie par laquelle ces éléments sont combinés et l’importance relative des différentes techniques. Si l’on ne juge que sur des extraits, on risque de perdre de vue l’essentiel, la vue d’ensemble.
Par ailleurs, il faut reconnaître qu’en réclamant l’autonomie de la pratique sur la théorie comme certains enseignants le font, ils creusent ce fossé entre les « praticiens sur les « théoriciens », ils nient l’existence d’enjeux fondamentaux et du même coup, la responsabilité sociale de l’enseignant. De ce fait, ils réduisent le statut de l’enseignant non pas à celui d’un professionnel mais d’un artisan.
Il n’y a pas de profession qui se respecte où un tel fossé existe. Les professionnels responsables, que l’on pense aux médecins, aux ingénieurs, aux architectes acceptent tous que voir les pratiques balisées par un ordre professionnel qui établie les pratiques qui sont acceptables et celles qui ne le sont pas, la plupart du temps à partir des recherches dans le domaine en question et de règles d’éthique. Les médecins ne sont pas libres de faire ce qu’ils veulent, de choisir ce qui leur semble bon pour leurs patients en fonction de leur croyance personnelle ou de leur intuition. Ils acceptent de ce fait de voir leurs décisions scrutées, analysées et jugées en fonction des connaissances du domaine et des règles établies. Ils s’exposent à des poursuites ou à une radiation s’ils font usage d’un traitement inapproprié ou qui n’est pas reconnu par la profession. Les enseignants qui réclament d’être traité comme des professionnels sont-ils prêts à accepter ce genre de contrainte dans la pratique de leur profession ou même d’être tout simplement tenu responsable des choix qu’ils exercent librement. Ont-ils une responsabilité face au développement de nos enfants? Et si oui, sont-ils d’une façon ou d’une autre imputables?
Comme monsieur Guité, je suis d’accord avec la nécessité de rapprocher la pratique de la théorie. Mais j’avoue que ce n’est pas facile puisque les prétendues « sciences » de l’éducation n’en sont pas réellement. Il y a trop d’effets de mode, de rhétoriques et les gens qui s’adonnent à une pratique scientifique sérieuse sont noyés dans les débats et les polémiques avec des idéologues. Robert Slavin, qui a créé le modèle « Success for All » fait partie de ces gens qui tentent de promouvoir des valeurs scientifiques en éducation (voir les articles qu’il a publiés en 2002 et 2003 dans Educational Researcher). Les enseignants ont un rôle important à jouer selon moi dans l’évolution des sciences de l’éducation. Ils sont en droit d’exiger que les pédagogies qu’on leur propose, que les réformes qu’on leur impose soient appuyées par des données de recherches sérieuses et non pas par des élucubrations d’idéologues qui n’ont comme seul argument que des collègues qui se citent mutuellement. C’est pourquoi je comprends difficilement tous ces enseignants qui s’indignent lors que des gens comme moi, ou lorsque les syndicats d’enseignants demandent une évaluation de la réforme.
Les enseignants ont une occasion en or de faire la preuve de leur professionnalisme en exigeant que les réformes qu’on leur impose soient préalablement testées et évaluées, contribuant de ce fait à améliorer l’image de leur profession et également à l’avènement d’une vraie science de l’éducation.
Vraiment, Normand, votre plume ne dérougit pas. Je suis toujours impressionné par la rigueur et l’étendue de votre pensée. Par ailleurs, je suis étonné que vous n’ayez pas votre propre blogue Je serais le premier à vous ajouter à mon agrégateur.
Votre commentaire, cette fois, nous éloigne quelque peu du propos initial : à savoir si Success for All doit être considéré comme instructionniste ou socioconstructivisme. Votre propos, fort légitime et nécessaire, aborde la question sous l’angle de la rigueur théorique. D’une certaine façon, nous débordons du sujet pour rejoindre la discussion, plus large, qui est toujours débattue dans la liste edu-ressources. Il serait inconsidéré de poursuivre sous cet angle dans ce billet ; la discussion est déjà trop éparpillée.
Mais je ne veux pas esquiver tout à fait la question. Quand vous dites « tout est dans tout, plus rien n’est rien et toutes ces étiquettes sont inutiles, de la bouillie pour les chats ou pour les théoriciens », je ne suis pas d’accord en tant que praticien. Cela peut vous sembler ainsi, vu de l’extérieur, mais c’est loin d’être le cas pour les enseignants. Comme plusieurs de mes collègues, je m’inspire continuellement de l’apport de la science. Ce qui doit vous déplaire, par contre, est notre éclectisme. Nous avons appris à glaner pour synthétiser. Je conviens que cela peut-être frustrant pour les chercheurs qui préfèrent l’unicité d’une méthode bien encadrée.
Comme praticien, c’est-à-dire celui qui est en première ligne avec les élèves, je n’ai d’autre choix que d’analyser le problème dans sa globalité (dont la théorie occupe une place importante). À cet égard, une méthode directe et toute faite, pour en avoir expérimenté, ne me convient plus car j’ai vite découvert que ce qui est conçu à distance est mal digéré par les élèves. Plutôt que de servir des aliments en boîte, je préfère nourir mes élèves de ce que nous cultivons dans notre jardin. N’y voyez pas une attaque directe, et surtout pas à propos de Success for All que je n’ai pas essayé, mais une simple généralité.
La comparaison des enseignants avec les médecins, ingénieurs et architectes est fautive, en ce que ces dernières sont des sciences empiriques tandis qu’une bonne part des sciences de l’éducation est qualitative. Il serait plus juste de comparer l’éducation à la psychologie et la sociologie, des domaines où il se fait certes de la recherche empirique, mais où l’apport des théoriciens est indispensable. Par ailleurs, les TIC et le connectivisme ont grandement bouleversé la profession d’enseignant, à la fois sur le plan de la pratique et de la formation continue. Ce qui m’amène à la nouvelle réalité de la recherche-action, que j’ai appelée plus tôt la recherche connective.
En fait, mon propos principal était qu’il n’était pas légitime d’évoquer l’étude de Success for All comme preuve du socioconstructiviste. Même si on admet que c’est une méthode mixte alors il n’est pas possible de dire si l’effet positif est lié aux éléments socioconstructivistes ou à la structure instructionniste.
Pour ce qui est de l’éclectisme, vous comprendrez facilement que dans l’optique d’une réforme socioconstructiviste, je me réjouis fortement de l’éclectisme des enseignants. Je pense en fait que c’est peut-être ce qui sauve nos enfants des effets néfastes de cette réforme telle qu’imaginé par les auteurs originalement. Si je me réjouis de ces actes de « désobéissances civiles » non conscients, je ne saurai les méprendre une manifestation légitime de cette réforme.
Je n’insisterai pas sur la nature des sciences humaines. Je me contenterai de dire que la psychologie autant que l’éducation sont pour moi des pré-sciences, comme la médecine du 18e siècle, où cohabitent les charlatans et les chercheurs sérieux. J’en sais quelque chose, puisque j’ai fait mon doc en psycho.
Pas de risque que je mette sur pied mon propre Blog. Je dois dire que mes interventions en éducation sont occasionnelles puisque j’ai délaissé ce domaine il y a de ça deux ans. Je pense avoir développé une grande compétence en recherches et en évaluation, mais j’ai dû constater que le milieu de l’éducation au Québec n’avait rien à faire de ces compétences. Mon travail de consultant en recherche et de développeur me laisse quelquefois du temps pour intervenir sur le dossier qui me tient le plus à coeur : l’éducation.
Voici une copie d’un Email que je viens de recevoir de Robert Slavin, l’auteur du Success-for-All.
TO: Normand Peladeau
FROM: Bob Slavin
Thanks for your note. Success for All has what you’d consider
socioconstructivist elements, but I would never think of research on SFA as a test of socioconstructivism.
J’insiste donc pour affirmer que le titre de ce billet est trompeur et qu’il ne s’agit aucunement d’une « étude quantitative qui souligne l’efficacité d’une méthode socioconstructiviste pour l’apprentissage de la lecture ».
Je regrette d’avoir tant attendu avant de répondre aux commentaires de M. Péladeau ci-dessus.
Le dernier commentaire, malheureusement, n’apporte rien de nouveau à la discussion. Il ne suffit pas de rapporter ce qu’untel a dit pour que cela constitue un argument, surtout quand ce dernier est le fondateur du mouvement Success for All et l’un des principaux théoriciens du mouvement instructionniste. Il est permis, par conséquent, de douter de son objectivité. Mais cela est vrai pour tous ceux qui se sont engagés dans cette polémique : nous avons nos partis pris.
Contrairement à ce que certains affirment ailleurs, je suis d’avis que nous avons fait un léger progrès en reconnaissant la dualité de l’intervention pédagogique. Cette dualité repose sur la distinction entre la perspective pédagogique du point de vue de l’enseignant, d’une part, et la perspective d’apprentissage du point de vue de l’élève, d’autre part. Naturellement, tout acte pédagogique doit tendre à l’accord entre les acteurs.
Comme il semble que l’on tourne en rond, je me permettrai de résumer l’essentiel de la discussion :
L’étude dont il est question dans le corps du billet démontre l’efficacité de la méthode Success for All (il est important ici de préciser que cette étude a été largement menée avec la participation de Robert Slavin et des membres de la Fondation Success for All ; une étude indépendante aurait certainement été préférable).
Du point de vue de l’enseignant, la méthode est clairement de type instructionniste.
Du point de vue de l’apprenant, toutefois, la méthode repose en large partie sur le travail coopératif et l’interaction constructiviste et socioconstructiviste entre les élèves.
Il a été proposé, d’une part, que cette méthode soit considérée comme mixte, puisqu’elle intègre plusieurs courants pédagogiques, mais que l’on accorde priorité à la finalité de l’acte pédagogique, soit les mécanismes cognitifs de l’apprentissage. Les deux propositions ont été réfutées.
Il s’agit d’une opinion. J’ai aussi droit à la mienne. Je suis reconnaissant à M. Péladeau, toutefois, d’avoir contribué à l’évolution de ma pensée.
Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’il est aberrant, dans l’ordre général des choses, que l’on se soit tant attardé sur le sujet de ce billet, lequel ne porte que sur une seule étude parmi la multitude de celles qui touchent l’éducation. Cet intérêt, plutôt que de signifier la valeur relative de l’étude en question, est symptomatique de la véhémence des courants qui divisent l’éducation.
En examinant de plus près le document de la recherche présentée par Slavin et ses collègues, je ne peux pas m’empêcher de faire une constatation troublante : cette recherche, dont les résultats ont été présentés cette année, a été financée par le Institute of Education Sciences, lequel relève du Département de l’éducation des États-Unis. Par ailleurs, le titre du programme (Success for All) fait étrangement écho à la politique No Child Left Behind, si controversée, du gouvernement Bush. N’y a-t-il là qu’un hasard ?