La police dans les écoles
Je m’interroge sur la présence grandissante des policiers et des caméras de surveillance dans les écoles. Le phénomène a maintenant gagné le Québec. Le Service de la police de Québec affectera 11 agents aux écoles secondaires (Le Soleil : « Full » policiers dans les écoles). À Sainte-Foy, un policier visite régulièrement mon école depuis cinq ans au moins. Et ce matin, le directeur nous annonçait que des caméras de surveillance avaient été posées dans certains pavillons. Où cela mène-t-il ? …
Je conviens que les écoles sont aux prises avec des problèmes d’ordre criminel : drogue, intimidation, extorsion, vol, vandalisme, harcèlement sexuel. J’admets également que les policiers semblent faire de l’excellent boulot auprès des jeunes. Celui qui est affecté à mon école « a le tour avec les jeunes », comme on dit. Mais est-il besoin que la police se joigne au personnel régulier de l’école ? Quand on aura affecté des gendarmes dans toutes les écoles de la province, comment s’assurer que tout ce beau monde en uniforme « a le tour de parler aux jeunes » ?
La première fois que le policier est arrivé à l’école, il a eu la délicatesse d’expliquer son rôle aux enseignants réunis. Voyant qu’il portait son pistolet, je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander ce qui justifiait ce fait. J’espérais qu’il en explique le port par quelque expérience ou étude. Sa seule réponse fut qu’il jugeait à propos de se munir de ses instruments de travail au même titre que les enseignants. Je lui rétorquai qu’une arme à feu n’avait pas la même signification qu’une plume.
Ce qui m’inquiète particulièrement, dans ce phénomène, est cette tendance à résoudre les problèmes par des mesures de contrôle plutôt que par l’éducation ou la recherche collective. C’est un terrain très glissant. Côtoyer régulièrement les forces de l’ordre finit par banaliser leur présence. L’école est d’abord et avant tout un lieu d’apprentissage, tant individuel que social, qui est mieux servi par un climat d’entraide et de communauté de pratique. Or, on se dirige dangereusement vers un climat de restrictions et d’isolement qui fait obstacle à sa mission éducative. La coercition constitue, en quelque sorte, un aveu de l’échec de l’éducation.
Au moment où les écoles souffrent de graves lacune sur le plan du matériel didactique, on peut douter de la pertinence de ces investissements en équipements de surveillance et en services. Dans le même discours, ce matin, où il expliquait l’installation des caméras de surveillance, notre directeur annonçait que les demandes de projecteurs et de tableaux électroniques étaient malheureusement refusées.
Par ricochet :
L’enseignement anti-oppressif
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«Dans le même discours, ce matin, où il expliquait l’installation des caméras de surveillance, notre directeur annonçait que les demandes de projecteurs et de tableaux électroniques étaient malheureusement refusées.»
Plus j’avançais dans la lecture de ton billet François, plus je pressentais cette conclusion mais je n’osais pas y croire. C’est d’une tristesse!
On tire vraiment dans toutes les directions plutot que de canaliser les efforts dans un point de levier réel qui procure une marge de manoeuvre aux acteurs de première ligne.
Je me souviens très bien qu’ado (et enfant), j’étais on ne peut plus angoissé de voir ces policiers se promener avec leurs armes. Je viens d’un quartier assez défavorisé et je me rappelle que de policier, il y en avait au moins un à l’école avec son pistolet (je suis un diplômé de 1994, c’est dire que cette idée n’est pas si récente).
J’ajouterais à ta réflexion quant à la banalisation que, si nous habituons les citoyens à être ainsi surveillés dès leur plus jeune âge, il me semble plausible de croire qu’une fois adulte, ils accepteront toujours cette surveillance et accepteront, de surcroît, bien plus aisément que l’on adopte des législations de plus en plus sévère en ce sens. L’éducation se fait partout dans les écoles. Je crains fort que la présence d’un policier armé (et que dire de la notion de sanctuaire) et de caméras de surveillance fasse alors partie intégrante du message et de l’enseignement de l’école qui les emploie. À moins bien sûr que les enseignant se fassent fort d’amener les élèves à se questionner et leur donne la possibilité de débattre, entre eux, de la présence de ces éléments dans leur école Mais bon je ne suis pas sûr que j’aime quand même l’idée
Je suis complètement d’accord avec toi François. Ce qui me turlupine avec cette approche (caméra, policier, etc.), dans les écoles ou dans la société en générale, c’est qu’il est toujours plus difficile ensuite de faire marche arrière. En effet, il faut me corriger si je me trompe, probablement que l’administration scolaire ne voit pas la pose des caméras sur une base seulement temporaire, n’est-ce pas? Ont-ils répondu aux questions habituelles d’éthique du genre : qui va avoir accès aux enregistrements, sur quels motifs, combien de temps les enregistrements seront-ils conservés, etc.?
Ce qui choque comme enseignant est aussi que vous ayez été mis devant le fait accompli. Quoique peut-être en aviez-vous discuté préalablement, je ne sais pas.
Dommage pour « les demandes de projecteurs et de tableaux électroniques étaient malheureusement refusées », mais cela illustre les priorités de l’administration. En référence à ceci, http://www.opossum.ca/guitef/archives/001497.html , est-ce que tu pourras avoir la latitude « d’échanger » ton budget de livres pour un tableau électronique comme tu l’avais demandé?
«La coercition constitue, en quelque sorte, un aveu de l’échec de l’éducation.»
Cela étant, je comprends mal que les profs ne réagissent pas en bloc pour s’y opposer. Expliquez-moi, quelqu’un…
C’est d’une tristesse! À qui le dis-tu, Stéphane ! Et ce n’est que le début de l’année scolaire. Au moment même de la rentrée, on n’a guère envie que d’en ressortir.
Je suis content que Sacco ait explicité ce que j’entendais par la banalisation des forces de l’ordre. En me relisant, j’ai constaté que ce n’était pas évident. Par ailleurs, je lui suis reconnaissant de la suggestion d’amener le sujet en classe. Ce sera l’occasion d’une très intéressante discussion, tant à propos de la présence du policier que des caméras de surveillance. Et je les inviterai à afficher leur opinion sur leur blogue. Si certains devaient le faire, il sera intéressant de voir les réactions des parents et de la direction (pas sur les blogues car ils n’oseront pas mais dans les faits si jamais cela vient à leur attention).
Maintenant, les réponses aux questions :
L’administration scolaire ne voit pas la pose des caméras sur une base seulement temporaire, n’est-ce pas? Pas que je sache. Il serait très étonnant qu’elle ait investi tant d’argent dans des mesures temporaires.
Ont-ils répondu aux questions habituelles d’éthique du genre : qui va avoir accès aux enregistrements, sur quels motifs, combien de temps les enregistrements seront-ils conservés, etc.? Non, quoique j’ai été absent un mois à la fin de la dernière année scolaire ; mais personne n’a jamais mentionné que la direction l’ait fait. Il semble effectivement que nous avons été mis devant le fait accompli.
Est-ce que tu pourras avoir la latitude « d’échanger » ton budget de livres pour un tableau électronique comme tu l’avais demandé? Je n’en sais trop rien encore. Je crois savoir qu’aucun enseignant n’a encore pu effectuer d’achats à partir de ce budget, même si les enseignants de secondaire 1 entreprennent le virage de la réforme cette année.
Je comprends mal que les profs ne réagissent pas en bloc pour s’y opposer. Expliquez-moi, quelqu’un… Alors là, c’est plus difficile. Il y a de quoi écrire tout un livre. Mais comme je déteste esquiver une question, je me risque à avancer quelques éléments de réponse :
- la culture scolaire fait en sorte qu’il est impossible pour les enseignants de « faire bloc » à propos de quoi que ce soit ; on ne réussit même pas à faire bloc dans les moyens de pression actuellement ;
- la dichotomie dans les paradigmes scolaires (paradigme de l’apprentissage vs paradigme d’enseignement) divise les enseignants quant à la gestion de classe et la discipline scolaire ; la majorité des enseignants, même parmi ceux qui prêchent le paradigme de l’apprentissage, ne sont que trop heureux d’une discipline de fer ;
- des antécédents et une philosophie sociale qui repose sur l’exercice de la loi (un constat plutôt qu’un jugement).