Pourquoi les profs ne bloguent pas


Depuis deux ans maintenant que je nage dans la blogosphère, je suis désemparé du peu d’enseignants qui partagent leurs idées et réflexions sur le Web. Considérant le tapage médiatique autour des blogues cette année, les quelques rares enseignants qui ont plongé ne forment pas une vague. Un coup d’oeil à ma blogosphère francophone révèle que les enseignants du primaire et du secondaire, malgré leur majorité, constituent moins de 20 % des blogueurs (voir figure 1). Force est de reconnaître que ce moyen de communication convient peu aux enseignants.


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Non seulement les enseignants du primaire et secondaire sont-ils moins nombreux à bloguer, mais ils écrivent moins. Par exemple, la compilation des billets rédigés par les 27 blogueurs francophones de mon agrégateur, pour le mois de novembre, indique qu’ils ont écrit seulement 6 % des billets (figure 2). Cela augure mal pour tout partenariat ou co-opération entre praticiens et chercheurs.

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Plusieurs raisons, il me semble, expliquent l’absence des enseignants de la blogosphère. J’en fais l’énumération ci-dessous. Mais il appert qu’une seule suffit pour qu’ils s’abstiennent de tenir un carnet électronique.

• Manque de temps : c’est certainement la principale raison pour laquelle les profs ne bloguent pas ; après les corrections, les planifications de cours, la préparation de matériel didactique et le renouveau pédagogique, il reste bien peu de temps pour l’écriture.

• La fatique: des études ont démontré que l’enseignement est l’une des professions les plus stressantes ; dans ces conditions, les profs ont mieux à faire que de tenir un blogue pour meubler leurs loisirs.

• L’individualisme : la culture qui prévaut dans les écoles tient davantage au travail individuel que collaboratif ; pendant longtemps, les enseignants ont été habitués à une mentalité de « maître dans sa classe » ; l’autonomie qui en résulte ne favorise guère le mutuellisme.

• L’insécurité professionnelle : il est étonnant de constater la quantité d’enseignants incapables d’expliquer leur pratique à partir de fondements pédagogiques ou d’utiliser un vocabulaire professionnel ; cette ignorance fait en sorte qu’ils craignent d’être jugés.

• Le retard technologique : l’échec de l’intégration des nouvelles technologies en milieu scolaire commence à donner des signes inquiétants de lacunes face à ces technologies ; il ne faut pas s’étonner, dans ce contexte, que les enseignants ignorent tout des avantages du connectivisme ; malheureusement, il n’y a rien à l’horizon qui laisse entrevoir une amélioration de ce côté.

• Une incompétence en écriture : contrairement à la croyance générale, plusieurs enseignants éprouvent des difficultés à l’écriture ; c’est une compétence longtemps négligée par la spécialisation disciplinaire et par une tâche qui, avouons-le, requiert fort peu de rédaction.

• L’immobilisme (ajout au regard du commentaire de Mario Asselin) : la culture qui prévaut dans la plupart des écoles, culture largement définie par la majorité des enseignants, préconise la résistance au changement ; ceux qui tâtent du radicalisme, quand ils ne sont pas stigmatisés, sont considérés comme des objets de curiosité ; il y a, de plus, cette vilaine mentalité d’attendre la formation organisée avant d’expérimenter avec le changement.

Dans son Dernier appel pour le «Carnaval des blogues en éducation», Mario signalait le désir « que mes collègues me pointent toute suggestion de leur répertoire en lien avec l’utilisation des technologies en éducation (et en classe en particulier). » L’intention est louable, mais je doute que ce genre de billet, écrit par des enseignants, soit légion. J’espère toutefois me tromper. Ce ne sera pas la première fois. J’aurais bien aimé répondre à l’appel, mais il se trouve que je fais partie de ces enseignants qui ont fort peu de temps pour écrire des billets bien fignolés.

Ajout, 31 décembre 2005 | Jacques Cool, qui travaille à l’intégration pédagogique des TIC pour le ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick, a réagi à ce billet de façon beaucoup plus positive que j’ai su le faire en dressant une liste fort intéressante de « conditions favorables » afin que les « enseignants se tournent vers l’utilisation pédagogique du blogue ». C’est à lire, ne serait-ce que pour les deux derniers points qu’il soulève.


Par ricochet :

Émergence des blogues dans les écoles

Bloguer vs diffuser

Future génération de profs (débranchés)

Carnetiers universitaires de Montréal

Le site du connectivisme

Statistiques 2005 sur les blogs

Blog réflexif et formation professionnelle

L’aversion pour l’écriture

Références sur les blogs éducationnels

Les palmarès des blogues éducationnels


Les portfolios électroniques à l’Université de Sherbrooke (Mario tout de go)

Le phénomène des blogues (Mario tout de go)

Universitaire blogueur (Ytsejamer)

Coup de jeune dans la blogosphère française (Zéro seconde)

30 raisons d’intégrer les cybercarnet en salle de classe (Zéro seconde)

Un autre blogue d’équipe (PL en toute liberté!)

Blogues scolaires (PL en toute liberté!)

Blogue d’équipe, pas simple (PL en toute liberté!)

Pour une Revue des blogs en éducation adaptée à mes besoins (Esphères identitaires)

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12 réponses

  • Depuis quatre ans que je me suis fait prosélyte de l’utilisation des blogues comme outils de développement professionnel et de construction de communautés de pratique… j’en arrive à la conclusion que les groupes professionnels sont comme le public en général : composés de 75% d’auditeur (lecteurs) 15% de commentateurs et 10% de proposeurs, auteurs… (ces % sont hypothétiques)

    Considérant l’inégalité de partage de la parole dans toute assemblée syndicale ou publique, pourquoi en serait-il autrement avec le Web ?

  • Je fais du pouce sur le commentaire de Gilles… Je crois effectivement que le comportement sur La Toile est à peu de chose le même que dans la vraie vie. Partager ses façons de faire, réfléchir sur sa pratique et rapporter ses trouvailles ne se font pas plus ailleurs que sur le Net. Je ne dis pas que l’avenir est clos en terme de possibilités de ce côté, mais en ce moment, il manque des étapes avant de voir les blogues «pris d’assaut» par les enseignants.

    Pour certains, le premier pas à faire consiste à accepter l’idée de se voir faire; accepter de recevoir un feed-back de ses élèves, des parents de ses élèves ou de ses collègues ou d’un accompagnateur (C.P.) ou d’un superviseur (membre de la direction). Je suis encore stupéfait du nombre de personnes qui oeuvrent dans les écoles depuis longtemps tout en «ayant appris» comment contourner la moindre occasion de recevoir un feed-back. L’écoute sélective, les stratégies de fuite et d’évitement ainsi que la paresse intellectuelle et le laisser-aller font malheureusement partie «des armes» qui composent un genre de coffre à outils occulte de bon nombre de professionnels.

    C’est un sujet assez tabou et je ne veux pas me montrer méprisant envers les gens en écrivant cela. Les six raisons que tu évoques plus haut expliquent également que plusieurs aient préféré «se protéger», voir «se défendre» en s’isolant. Les professionnels d’aujourd’hui se sont élevés dans un système ou l’affirmation de soi n’était pas nécessairement valorisée. Ils ont réussi dans la période où ils se formaient par l’utilisation de stratégies complètement autres que celles qui seraient nécessaires pour travailler dans le sens d’un mode plus coopératif. Je fais le pari qu’ils croient vraiment que ces stratégies qu’ils ont intégrées sont «gagnantes» alors, pourquoi tout à coup changer son plan de match?

    Avant de se mettre à bloguer, les enseignants vont devoir croire aux bienfaits pour eux personnellement de répartir sur plusieurs épaules la pression et la tâche d’instruire, de socialiser et de qualifier. Quand un enseignant voit une bonne raison (pour lui) d’adopter un comportement empreint d’ouverture, il laisse la porte ouverte à en considérer un autre et ainsi de suite. Je crois que toute cette démarche ne peut se faire que sous un climat exempt d’hostilité où ses lieux d’appartenance (la salle des profs, les corridors, sa classe, etc.) lui permettent de montrer certaines vulnérabilités sans que le prix à payer soit trop élevé. A-t-on ces conditions dans nos écoles?

    Je termine en te disant François que ce billet se retrouvera dans la première édition du Carnaval des blogues en éducation comme d’autres écrits par des enseignants et collègues qui n’ont pas pris le temps de me signaler qu’ils considèrent leur travail «à la hauteur» de «cette reconnaissance». Je ne me suis pas fait d’idée sur ce foutu réflexe de croire que ce qu’on écrit n’est jamais assez «bien fignolés» pour mériter d’être cité par d’autres… Tu comprends que je te taquine… Si tu savais jusqu’à quel point nous sommes impressionnés de ce que tu écris depuis que tu as choisi le risque de la blogosphère…

    Enfin, je me suis dit que je n’avais pas à demander de permission pour citer un billet publié dans un espace public. Néanmoins, plusieurs personnes m’ont signalé des choses très intéressantes que je ne connaissais pas et ont attiré mon attention sur d’autres que je connaissais, mais que j’aurais oublié d’inclure sans leur intervention (un de tes billets est dans cette catégorie d’ailleurs). J’aurai sûrement oublié des perles, mais bon… je ne dois pas sombrer moi aussi dans le syndrome du «pas assez bien fignolé pour…» ;)))

    Bonne année à toi mon cher et encore merci pour ta contribution inestimable à notre développement professionnel.

  • Je dois me rendre à l’évidence que Gilles a sans doute raison quant à la similitude du taux de participation entre les professionnels et le public en général. Du coup, ça me désole de constater que les enseignants, eux qui, plus que les autres, devraient être conscients des bienfaits de l’écriture et de la coopération, semblent incapables d’objectiver la théorie. Un autre cas de cordonniers mal chaussés. Mais comme je le soulignais, plusieurs facteurs sont ici en jeu.

    Pour ce qui est de la prise de parole aux assemblées syndicales, dont l’observation est très juste, j’aurais escompté que les blogues constituent un moyen d’expression qui conviendrait particulièrement bien à tous ceux qui n’osent pas exprimer leur opinion devant une assemblée, mais qui ne se gênent pas pour le faire dans la dynamique des cercles d’amis, plus restreints. Il faut croire que je ne suis pas doué pour les vaticinations.

    Mario fait une excellente analyse du climat qui sévit dans les écoles et qui se traduit par une résistance au changement. Son expérience de directeur et la finesse de son observation le servent bien. J’en ai profité pour ajouter au corps du billet un point à ceux que j’avais d’abord identifiés. À dire vrai, il me semble que son commentaire devrait, à lui seul, constituer une mention dans le premier numéro du Carnaval des blogues en éducation ;-)

    Ce qui m’amène à me demander quelle forme prendra cette publication. Il est souhaitable qu’on ne néglige pas les commentaires, car c’est précisément l’interaction avec le lectorat qui fait la force des blogues.

    Enfin, au sujet de l’intention de ne pas « demander de permission pour citer un billet publié dans un espace public », je devine qu’on aura le souci de respecter les licences Creative Commons quand elles sont affichées. Je ne crois pas qu’on puisse faire beaucoup mieux.

  • Quel bon texte! Je trouve ta liste de raisons de ne pas bloguer tout à fait réaliste.

    Je préciserais aussi que la raison numéro 1 de l’avantage d’un blogue peut aussi être la première raison de ne pas bloguer : un blog laisse des traces.

    S’exprimer en assemblée ou dans un cercle restreint d’ami n’a pas le même de degré d’engagement.

    Je rejoins Gilles dans sa conclusion sur la proportion de ceux qui font la parade et ceux qui la regardent…

  • Je ne suis pas certain que les profs connaissent assez bien la dynamique du Web pour être conscients du risque des écrits qui peuvent revenir nous hanter. Et puis, les blogues offrent cet avantage que l’auteur contrôle le contenu de son carnet.

    On semble tous s’entendre sur la répartition du public de la blogosphère faite par Gilles. Il serait intéressant de préciser et de valider ces chiffres par une étude, à la manière de celle que tu signales dans ton dernier billet.

  • Un facteur sous-estimé par François est la crainte d’être jugé (et sanctionné…), qu’il associe à l’insécurité professionnelle mais qui, selon moi, relève aussi sinon principalement de la très grande vulnérabilité du prof dans notre société et dans le système d’éducation lui-même.

    Ma surprise vient plutôt de ce qu’il y ait, malgré cette situation déplorable, des profs blogueurs et même un directeur jusqu’à récemment. Et pas n’importe quels profs si en juge à la qualité, à l’audace même de vos interventions : je donnerai parmi cent, l’exemple de la lettre ouverte de Gilles G. Jobin au Premier Ministre Charest à la suite du dernier décret.

    Pour tout vous dire, le billet de François m’apparaît plutôt sévère pour ses pairs…

  • Sans doute faudrait-il, moi aussi, que j’adopte la même résolution que Jean ;-) Néanmoins, je tâche d’être aussi objectif que possible dans mes observations. Pour éviter tout malentendu, les raisons évoquées dans le billet ne s’appliquent pas simultanément, mais à la pièce, et à des degrés différents. Les deux premières raisons, à elles seules, légitiment l’absence des enseignants dans la blogosphère. Je ne saurais jeter la pierre à quiconque.

    Quoique la majorité des enseignants démontrent quelques lacunes, tout comme moi-même, ils possèdent par ailleurs certaines vertus qui ne cessent de m’étonner, notamment une ardeur à la tâche et un engagement professionnel. Je ne connais aucune autre profession où le bénévolat est inhérent à la tâche, particulièrement dans la fonction publique. Je serais curieux de voir comment les autres corps de métiers réagiraient si on exigeait d’intégrer des heures de travail sans rémunération.

    Je seconde l’opinion de Jean quant à « la grande vulnérabilité du prof dans notre société et dans le système d’éducation ». C’est une fine observation qui, à mon avis, agit au niveau de l’inconscient. Cela tient largement au fait que tout le monde se croit éducateur. Pour la première fois de son histoire, notre société est composée d’une génération d’adultes scolarisée. Au moment où on tente de réformer l’éducation, il est aisé pour ses détracteurs de trouver des appuis dans les médias et chez une population qui n’ont foi que dans le système qu’ils ont connu.

    Les nombreux enseignants qui ont négligé les fondements de l’apprentissage et qui s’en remettent aux théoriciens — mal leur en a pris — ne savent plus à quel saint se vouer.

  • Je suis d’accord avec l’aticle de base. Alors je réagis. Je vais ouvrir mon cerveau et mes fichiers afin que nous partagions nos réflexions pédagogiques.

    Je suis prof d’Histoire géo en France, dans un collège.

    Visitez mon site ! Il a besoin de vous.

  • Eh bien ! Si tous les professeurs avaient la même largesse d’esprit et autant de résolution que Philippe, on aurait tôt fait de me faire mentir :-)

  • Moi je bloggue, chaque jour sauf cas de force majeure avec humour et sous forme de BD… ça me prend du temps (1 à 3 heures/jour), mais je me le donne…

    J’ai des élèves très difficiles, et c’est le seul moyen que j’ai trouvé de rendre l’insupportable supportable: en rire… mettre en scène mon quotidien avec humour…

    Apparement la formule cartonne: je tourne à 1000-1200 lecteurs / jour ’1600 hier suite à ma planche sur madâââme Royal)

    Voilà.

    Si cela peut faire avancer votre petite étude, vous êtes cordialement invité à passer chez moi.

    http://lestoujoursouvrables.over-blog.com

    @ bientôt :-)

  • Ah, mais c’est que ça mérite plus qu’un commentaire ! ;-)

  • Pour moi, il y a deux raisons simples pour lesquelles les profs ne bloguent pas (en plus du manque de temps):

    - s’il s’agit d’un blog de témoignage sur le métier d’enseignant, cela pose problème au niveau de la protection de la vie privée des élèves et du devoir de réserve des fonctionnaires. Une amie a du fermer le sien le jour où elle a été découverte, malgré des précautions énormes de trucage des noms propres). Je n’ai mis en ligne mes propres carnets que deux ans après.

    - quant à un blog de cours à destination des élèves, il faut se demander à quoi cela sert. La moitié de mes élèves n’ont pas accès régulier à internet… Donc on est de toute façon obligé de redire en classe ce qu’on met en ligne.
    Autre obstacle: il m’arrive souvent d’utiliser en classe des devoirs et fiches d’exercices fabriqués à partir de ceux d’autres collègues (parfois trouvés sur le net). Comme je ne suis pas l’auteur de ces documents, je ne peux pas les mettre en libre accès sur mon site (ils sont donc en accès restreint pour mes élèves).

    Ceci dit, c’est vrai que mettre en ligne les documents écrits qu’on prépare peut servir à partager notre travail avec des collègues, et permet en plus de montrer de manière transparente aux parents éventuellement intéressés notre manière de travailler.

    Voilà.



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