Bulletins scolaires : chiffres, lettres ou descriptions ?
Quand le ministre de l’Éducation lui-même ne comprend pas un bulletin scolaire, c’est qu’il y a définitivement un problème (La Presse : Vers un retour aux chiffres ou aux lettres ?). Le bulletin représente d’abord et avant tout une communication aux parents ; or, le moyen fait défaut si le message ne passe pas. Les réactions des lecteurs non-enseignants, au bas de l’article de La Presse, sont d’ailleurs éloquentes à ce sujet. On doit faire mieux. Mais avant d’opiner sur la question, il importe de mettre l’évaluation en perspective.
Il s’agit surtout de ne pas confondre l’évaluation sommative ou formelle, soit celle qui sanctionne la réussite scolaire, et l’évaluation formative, c’est-à-dire ces nombreuses mesures ou appréciations quotidiennes qui contribuent à la progression des élèves. La première répond surtout à un besoin organisationnel, tandis que la seconde s’intéresse au développement individuel. La finalité de l’évaluation est différente selon que l’on soit élève, parent, enseignant ou administrateur. L’enseignant s’intéresse surtout à l’évaluation formative, car elle a une valeur pédagogique. Par conséquent, il optera d’abord pour une évaluation critériée et descriptive, comme ce message rédigé et expédié à un élève par courrier électronique :
Certains objecteront qu’un enseignant n’a pas le temps d’écrire une appréciation aussi longue pour chaque d’élève. J’en conviens, si cela doit être fait à la main. Toutefois, des applications technologiques, comme Lumi, permettent de le faire en moins de 5 secondes. Malheureusement, on ne dote pas les enseignants des ressources informatiques nécessaires pour introduire ces méthodes à leur pratique.
Comme beaucoup d’enseignants, je considère l’évaluation sommative comme futile, voire néfaste à l’apprentissage. Mais c’est un point de vue de pédagogue, à l’écart des considérations administratives ou parentales qui ont aussi leurs raisons d’être. L’abolition de toute évaluation formelle est, à court terme du moins, une utopie. Le débat idéologique sur l’évaluation, quoique fondamental, doit se faire en marge de l’acte officiel, régi par la loi sur l’instruction publique. Descendons donc, momentanément, de nos nuages pour aborder le problème avec pragmatisme.
Pour m’éclairer un peu plus, j’ai sondé l’opinion de mes élèves, du moins les 99 élèves de secondaire que j’ai vus pendant la journée. Je leur ai demandé leurs préférences au regard de trois options : 1) chiffre ou lettre ? 2) chiffre, lettre ou critérié avec descripteurs ? 3) chiffre, lettre ou combo (critérié avec descripteurs et chiffre) ?
Leurs préférences sont très marquées, comme l’indique le graphique ci-dessous. Mes élèves sont unanimes à vouloir des évaluations chiffrées plutôt que des lettres. 90 % d’entre eux préfèrent même un chiffre à une évaluation critériée avec lettre. Ils apprécient toutefois la valeur d’une évaluation critériée. Si on leur offre une évaluation critériée accompagnée d’un chiffre, 89 % d’entre eux optent plutôt pour cette solution.
Manifestement, ce sondage n’a rien de scientifique, considérant le faible nombre de répondants et l’uniformité de l’échantillonnage. Mais peut-être aussi est-ce une indication de quelque généralité.
Des élèves ont soulevé le point, très valable, qu’un chiffre leur permet un suivi plus pointu de leur progression. À l’instar d’un coureur, ils aiment être informés des moindres écarts de performance, ce que les lettres ne permettent pas. À leur âge, ils ne sont pas nécessairement conscients de la valeur relative des évaluations chiffrées. Plusieurs vivent dans l’illusion qu’il y a une différence certaine, par exemple, entre un 78 et un 79 % dans un texte argumentatif.
Qu’on leur demande un chiffre ou une lettre, la plupart des enseignants s’en balancent, même si l’évaluation quantitative ne convient pas à toutes les disciplines scolaires. Celle-ci semble se prêter davantage aux disciplines scientifiques, alors que les sciences humaines et les arts préfèrent les lettres. Quant aux parents, ils appartiennent à cette culture nord-américaine qui valorise la précision scientifique, bien plus que la subtilité du jugement qualitatif. C’est, j’en conviens, une dichotomie fautive aux yeux des mathématiciens et des philosophes ; mais le public aujourd’hui ne donne plus beaucoup dans les nuances.
À tout prendre, je crois que le mieux est d’opter pour la séparation de l’administration et de l’enseignement sur le plan de l’évaluation. En attendant de convaincre l’opinion publique du bien fondé des évaluations descriptives, laissons aux gestionnaires et aux parents la satisfaction des chiffres, pendant que les éducateurs raffinent encore l’usage de l’évaluation critériée. Quant aux parents, plus avertis, qui désirent obtenir plus d’information, tâchons de faire un meilleur usage des technologies de la communication.
Je crains fort que la question des bulletins ne soit le tendon d’Achille de la réforme. Pressentant le malheur, le MELS a d’ailleurs tardé à arrêté la politique d’évaluation associée à la réforme. Du coup, il semble s’être tiré une balle dans le pied. Il aurait gagné à utiliser une stratégie de marketing aussi simple que de recourir à des groupes de discussion (focus groups).
Par ricochet :
Il n’y a pas que les notes qui comptent
Le bulletin chiffré pourrait revenir en grâce (Infobourg)
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Quel jugement doit-on poser sur le ministère face à la situation du bulletin ?
Je ne mords pas à pareil hameçon.
Je ne porterai certainement pas de jugement sur le MELS pour une chose aussi banale qu’un bulletin. Évitons de faire une montagne d’un caillou !
Nous avons justement eu une discussion face au bulletin, suite à la déclaration du ministre Fournier.
Oui, les résultats chiffrés étaient facilement compréhensibles pour les parents. Encore là ceux-ci ne prenaient pas en compte de la pondération de chaque travail, car les jeunes ne prenaient pas le temps de le dire aux parents.
Selon moi, le problème ne réside pas au niveau du MELS, mais plutôt dans la structure interne de chaque école. Il faut donc mettre tout le monde à l’intérieur d’un même établissement au même niveau. Il n’est pas normal qu’un « B » dans une matière ait la même description sur le bulletin qu’un « C » dans une autre, ou encore qu’un « A » dans une troisième matière.
Évidemment les enseignants ont des façons différentes d’évaluer un travail, mais si un enseignant pense qu’un élève mérite un « B », cet élève mérite un « B » dans cette matière. Il faut cependant que les matières où l’on retrouve plusieurs enseignants aient des critères d’évaluation constantes d’un enseignant à un autre, afin d’éviter qu’un élève qui aurait copié le travail d’un autre, mais avec un enseignant différent, ait un meilleur résultat, ou un moins bon.
Pour ma part, je crois que c’est un voeu pieux d’espérer que les enseignants assureront une constance dans l’évaluation, quoique tu aies raison d’en faire le souhait. Une bonne partie de la science de l’éducation est trop qualitative, et la nature humaine trop diversifiée, pour qu’il en soit autrement. Que l’on se chicane sur des points comme celui-là témoigne, à mon avis, de l’obsession pour l’évaluation. Il y a longtemps que les écoles sont tombées dans le piège, et elles ont maintenant beaucoup de mal à s’en extirper.
c ‘est trop cool en + ça m’ aide
merci en toute les langues
comment faites-vous un bulletin avec ces notes ?:
0,5/10; 9/10; 8/10; 4,5/20; 7/10
coëf:1 résultat: 29:5 = 5,8/20
juste pour savoir comment vous faites pour mélanger les /20 et les /10.
car pour moi une note sur 10 doit être x2 pour faire l’addition:
ex:
10/20; 18/20, 16/20, 4,5/20, 14/20: résultat: 62,5:5 = 12,5/20
c’est mon avis, est ce le vôtre ??
Est-ce normal qu’un enfant qui a bien travaillé son devoir à la maison soit pénalisé à la fin!!
Il me semble juste que le 9/10 devienne un 18/20…
Les chiffres ne font que mesurer un aspect du travail de l’élève, soit le résultat final, et encore très imparfaitement. Ils ne font rien pour témoigner de l’effort de l’élève, de son attitude par rapport à la tâche, ou de sa progression. Vous avez bien raison de les remettre en cause.