Facteurs de stress chez les enseignants

Il faut avoir la couenne dure pour enseigner. Certaines études placent l’enseignement en tête des 10 emplois les plus stressants (source ; PDF). L’Infobourg attirait récemment notre attention sur une étude d’Angelo Soares, chercheur à l’UQAM, selon qui « Un professionnel sur trois est en risque de burn-out dans le réseau des commissions scolaires du Québec » (communiqué). Par ailleurs, Gilles Jobin dénonce lui aussi un système et une culture organisationnelle dont la réussite repose sur le bénévolat de ses travailleurs.

Le phénomène n’est pas unique au Québec. En Grande-Bretagne, près de la moitié des enseignants éprouvent un stress associé à la surcharge de travail (BBC : Public school teachers ‘stressed’). Quand le stress oblige même les éducateurs d’expérience à quitter le métier, les autorités se barricadent derrière les statistiques (BBC : Stressed head quitting in tears). C’est toute la froideur de l’administration industrialisée : la mécanique des normes broie les individus.

Plutôt que de râler encore une fois contre un système monstrueux, j’ai cherché cette fois à identifier les causes du stress dans mon milieu de travail. Quoique les facteurs énumérés soient personnels, je crois que plusieurs s’y reconnaîtront. N’ayant pas trouvé d’échelle de mesure du stress, j’ai opté pour une liste décroissante dont l’étalon de comparaison est le facteur de stress prédominant, en l’occurrence la préparation des cours (dans mon cas). Quelques précisions sont données plus bas.


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Préparation des cours : l’enseignement de deux disciplines, sans matériel pédagogique, dans un contexte de renouveau pédagogique et d’individuation des apprentissages, exige beaucoup de temps pour la préparation des cours ; malheureusement, l’accablement général de la tâche ne me permet pas d’y arriver de façon satisfaisante.

Déshumanisation du travail : la reconnaissance du travail est inexistante ; la définition du travail est quantitative, sans égard à la qualité ; les conventions collectives font office de gabarits, en dehors desquels les élans du coeur ne sont que des curiosités.

Correction des travaux et des examens : un travail sans fin ; ce point semble affliger particulièrement les professeurs de langue.

Absence de matériel : étant donné l’inexistence de matériel didactique intéressant proposé par les éditeurs scolaires, je n’ai d’autre choix que de préparer moi-même le matériel utilisé en classe ; je dois apporter mon propre ordinateur, et je ne dispose d’un projecteur multimédia que sur demande.

Relations maîtres-élèves : il ne s’agit pas uniquement de discipline ; comme je l’indiquais dans le billet précédent, il est de plus en plus difficile de composer avec les adolescents.

Isolement professionnel : le travail collaboratif est quasi inexistant, sans doute parce que tout le monde déborde de travail ; la gestion participative n’est souvent que synonyme de déversement des tâches administratives sur le dos des enseignants bénévoles.

Environnement physique : bâtiments et matériel vétustes ; air vicié ; exiguïté des corridors et des salles de classe ; bureaux minuscules ; absence d’intimité ; vermine.

Exigences de l’OBI : les demandes de la direction pour se conformer aux exigences et aux visites de l’OBI sont comme une plaie d’Égypte qui nous distrait de notre mission éducative.

Relations avec l’administration : le clivage entre les administrateurs et les professeurs nuit au travail d’équipe ; le sujet a déjà amplement été élaboré sur le blogue de l’école.

Formation professionnelle : la formation offerte est trop sporadique pour avoir un impact réel ; les grands événements, comme l’AQUOPS, sont trop onéreux pour que tous ceux qui le désirent puissent y participer ; pour le reste, les professeurs sont laissés à eux-mêmes, mais aucun temps n’est prévu à cet effet dans leur tâche.

Tâches complémentaires : ces tâches accaparent souvent le temps prévu pour le repas du midi ; par conséquent, les repas sont pris à la sauvette ; parfois, on s’en prive.

Exigences administratives : ce n’est pas tant la paperasse qui agace, comme le temps qui manque pour la remplir.

Salaire : le dernier décret gouvernemental régissant les salaires suffit à expliquer ce point.

Évidemment, je ne survivrais pas à cet enfer sans quelques compensations. Parmi les plus agréables, je nommerai les relations avec les collègues enseignants, l’émerveillement que procurent la plupart des élèves, l’innovation et la satisfaction de pouvoir cultiver son petit jardin.


Par ricochet :

Le travail supplémentaire des enseignants
Réactions sur la lourdeur de la tâche
Pourquoi les profs ne bloguent pas

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16 réponses

  • Dans mon cas, l’ordre serait différent. Peut-être est-ce dû au contexte universitaire?

    1. Correction des travaux et des examens : un travail sans fin. Je n’ai pas encore réussi à stabiliser la charge de travail dans mes cours. L’automne dernier, j’ai eu l’impression de ne pas avoir évaluer des éléments importants. J’ai ajouté des travaux pour compenser… Actuellement, je croule sous la correction. Très pénible.
    2.Tâches complémentaires. Le travail universitaire est rempli de petites tâches… J’adore la variété. Ce n’est pas la variété mais le quantité qui me dérange vraiment. Par moment, ça me cause beaucoup d’anxiété. Je me demande par où commencer. Enseignement, correction, analyse de données, création de questionnaires, rencontre avec des étudiants, formation dans les écoles, comité de çi, comité de ça…
    3. Exigences administratives. Je déteste remplir des formulaires, garder me reçus, prouver ceci, prouver cela… J’ai toujours l’impression de perdre mon temps!
    4. Environnement physique. Les classes et laboratoires dans lesquels je dois enseigner sont très mal adaptés. Les ordinateurs sont performants, le réseau très rapide… Malheureusement, la personne qui a pensé à tout cela n’entendait rien à la pédagogie… Tout est fixe, il y a très peu d’espace… Les laboratoires sont majoritairement organisés dans le sens de la largeur et tous les apprenants sont loins. Il y a même des poutres au milieu des laboratoires…
    5. Absence de matériel. Je n’ai pas trouver de volume qui complétait bien mon cours. Pour certains thèmes, j’ai trouvé des articles intéressants. Pour d’autres, je cherche encore. Ça me dérange encore beaucoup de ne pas pourvoir fournir des textes à propos de tous les sujets que j’aborde. Je sais que la majorité de mes étudiants ne font pas leurs lectures, mais d’autres en ont besoin.
    5. Durée moyenne d’une journée. Je manque continuellement de temps. Y’aurait pas moyen de s’organiser pour avoir des journées de 36 heures?

    Salaire.

  • Très intéressant, Patrick. C’est rassurant, et inquiétant à la fois, de constater qu’on n’est pas seul. J’espère que quelques-uns de tes élèves tomberont sur ton commentaire, histoire de mieux comprendre le fardeau qui nous empêche parfois de faire mieux.

  • Julie dit :

    Bonjour François,

    Pouvez-vous me faire parvenir la source du passage ci-dessus, au début de votre texte: « Certaines études placent l’enseignement en tête des 10 emplois les plus stressants », car le lien suivant ce passage n’indique pas où ces renseignements ont été pris.

    Merci!

  • Merci de me signaler cet hyperlien fautif. Le lien a été corrigé.

    Voici la liste des références dans mes archives :

    • Centre for Occupational and Helath Psychology (Cardiff University) : The scale of occupational stress: A further analysis of the impact of demographic factors and type of job (PDF)

    • SkillSoft : IT pros more likely to suffer from stress, says new survey (voir la liste des professions au bas de l’article)

    • UQ News Online (University of Queensland) : Teaching among the most most stressful jobs

    • Management Issues : Teaching and social work are the most stressful jobs

  • bj dit :

    je suis compàlètement d’accord, je trouve que la responsabilité engendrée par les facteurs multiples est 1 lourd fardeau.A méditer….

  • Rémi Thiffault dit :

    Bonjour, je suis dans une période de burn-out pour la première fois de ma vie présentement. J’ai commencé ma carrière en 2005 et depuis, je suis dans les préparations de cours pour l’implantation du renouveau pédagogique. Seigneur que je m’identifie à tes facteurs de stress. Je suis en remise en question présentement et cela n’est pas facile. Après avoir fait un BACC de 4 ans, je me demande qu’est-ce que je pourrais faire d’autre comme métier. Trou noir dans lequel je baigne. J’aime enseigner, mais les conditions sont très difficiles. Dans une écoles privées, il y a la pression des parents qui remettent en cause nos compétences aussitôt que leur enfant subit une baisse de notes. Les jeunes sont de plus en plus difficiles et revendicateurs. L’absence de matériel pour le renouveau pédagogique nous place dans des positions lourdes de planifications (…) Je pourrais continuer pendant des pages et des pages. Je me sens impuissant face à ces conditions. En tous les cas, j’espère retrouver la flamme qui faisait partie de moi lorsque j’ai débuté ma carrière.

  • Ne serait-ce de votre amour pour l’enseignement, je vous conseillerais de changer de métier. Croyez-moi, la stress que subissent les enseignants ne va pas aller en diminuant. Les bouleversements sociaux ne leur donneront aucun répit. La passion est le carburant qui alimente la flamme d’un enseignant. Sans elle, vous êtes perdu.

    Je crois, par ailleurs, que la peine que vous vous donnez à lire les blogues éducationnels et à corriger les fautes d’inattention (faute corrigée à votre signalement) témoignent de votre valeur.

  • Rémi Thiffault dit :

    Bonjour monsieur Guité, j’apprécie votre réponse. Changer de métier n’est pas évident, surtout avec un BACC en enseignement. Personnellement, je ne veux pas retourner faire du ménage comme lorsque j’étais étudiant. Est-ce que vous avez changé de branche? Si oui, quelles démarches avez-vous entrepris afin de changer de carrière? J’ai besoin de parler à des gens qui ont vécu cette situation car je me sens isolé présentement dans ce que je vis. Des conseils, des suggestions, des solutions (…), je suis ouvert.
    Merci et bonne fin de semaine.

  • Si je pouvais recommencer, je n’irais certainement pas en éducation. C’est un métier usant. J’ai bien essayé de travailler dans l’entreprise privée, mais les résultats, fort circonstanciels, n’ont pas été concluants.

    D’abord, je crois que vous devriez consulter un conseiller en orientation. Il en existe de très bons qui sauront évaluer votre situation et vous faire des recommandations.

    Il semble évident que vous avez besoin de changement, ne serait-ce qu’enseigner dans une autre école. Par ailleurs, avez-vous envisagé la possibilité de faire des études supérieures? Le retour aux études pourrait vous être salutaire.

    Je vous avoue cependant que je me sens bien mal placé pour vous donner des conseils.

  • Rémi Thiffault dit :

    De quel type d’entreprise privée voulez-vous parler? Si vous parlez d’une école secondaire privée j’aimerais bien connaître votre expérience (les bons et mauvais côtés).

  • Il s’agissait, en fait, du milieu des médias, en lien avec l’éducation. Je n’ai jamais, à proprement parler, enseigné dans une école privée. De ce que j’en entends, c’est un milieu où la charge de travail est plus grande que dans le secteur public. Peut-être seriez-vous plus heureux dans une école publique. Ne craignez surtout pas le changement.

    Cela dit, ne croyez pas que votre bac vous suffit. Je devine que vous êtes jeune. Vous ne pouvez pas vous asseoir sur vos apprentissages. Continuez votre formation, sinon par des études formelles (que j’ai moi-même abandonnées), du moins par l’autodidaxie en ligne, ne serait-ce qu’en suivant l’actualité professionnelle.

  • Rémi Thiffault dit :

    En fait, j’ai 34 ans. J’ai repris mes études. J’arrive de loin. À l’âge de 19 ans, j’ai terminé mon secondaire à l’éducation des adultes pour ensuite entreprendre mon DEC en sciences de la nature. Après mon niveau collégial, j’ai décidé de faire mon BACC en enseignement des sciences. J’ai travaillé fort, et tout au long de mes études, j’ai travaillé dans différents milieux. Aujourd’hui, je viens de m’acheter une maison et je me suis installé en campagne. Retourner aux études n’est pas évident car cela demande des sous. Aussi, lors de mes 4 stages universitaires, j’ai toujours eu de bons commentaires sur mon potentiel d’enseignant. On m’a déjà fait la remarque que j’avais l’enseignement dans le sang. Ma grande difficulté aujourd’hui est de garder une carapace afin de ne pas me laisser atteindre par les critiques négatives. Cela fait 3 années que je suis dans le privé et j’observe le phénomène de l’enfant roi. Les parents sont forts sur les reproches et les reproches sont souvent non fondés. Ce qui a fait déborder ma coupe c’est que je fais de mon mieux et malgré cela les critiques négatives sont toujours présentes. Mes élèves passent bien leurs étapes et en plus, mes récupérations sont toujours vides donc… Je trouve difficile de m’épanouir dans un environnement où les critiques positives et constructives ne sont pas présentes. Je sais que je dois me donner moi même la claque sur l’épaule afin de me féliciter et je vais travailler là dessus. En tant qu’enseignant on se donne énormément. On passe des soirées à corriger et planifier en plus de donner nos cours. Je considère qu’on pourrait se passer de recevoir des critiques négatives pour tout et pour rien. On donne une copie à un élève et le parent rapplique dans le bureau du directeur en beuglant que son enfant ne mérite pas ça. L’enfant a une baisse de ses notes de 5 points à une étape et le parent remet nos compétences en question, sacrebleu!!! La pression psychologique est très présente. On peut pas toujours avaler sans sauter ses plombs.
    Je sais que j’aime l’enseignement et je veux persévérer . Je suis un gars qui donne beaucoup de moi-même et je suis capable d’avaler des critiques. Par contre, les critiques négatives ne rentraient plus dernièrement. Le maudit parent payeur qui se permet de critiquer sans connaissance de la cause commence à m’écoeurer. En fait, les parents sont pires que leurs enfants. Se sont eux les adultes. Bon, on dirait que je suis parti pour vider mon sac (rire). Ça me fait du bien en tous les cas.
    Bonne fin de semaine François.
    Rémi

  • Rémi Thiffault dit :

    Votre blog me fait beaucoup de bien Francois.Je viens de lire sur le P.E.I. et j’ai pris conscience que le P.E.I. a fait partie des facteurs de stress qui m’ont mené au burn-out. Lorsque j’ai signé mon contrat l’année passée, on ne m’a pas mentionné que j’aurais à m’occuper de groupes P.E.I.. N’ayant aucune formation et aucune idée sur l’organisation de ce programme, je me suis senti précipité et la pression s’est installée. Votre blog est magnifique et je vais en devenir un adepte. Cela me permet de trouver des réponses à mes questions et de ne pas me sentir seul dans ma situation.

  • yanick dit :

    Bonjour,
    A votre avis, quelle est la période de l’année la plus stressante dans le métier d’enseignement?

  • Les périodes qui précèdent les bulletins ont toujours été celles qui me causaient le plus de stress en raison de l’amas de corrections qui atterrissent immanquablement sur le bureau et des échéances pour la saisie des notes sur le bulletin.

  • Le désarroi des enseignants face au désengagement de l’Etat, à la perte de sens de leur travail, à l’absence de dialogue et de concertation, aux abus de pouvoir de la hiérarchie, à l’atteinte à la liberté pédagogique, à l’échec et à la violence scolaire, au non respect des besoins et des droits fondamentaux des enfants, entravent fortement la possibilité d’une évolution positive de l’école.



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