Stimuler la pensée mathématique
Dans le débat entourant les tests standardisés, l’une des principales objections que l’on fait à ces examens est à l’effet qu’ils monopolisent l’enseignement. Les apprentissages, la pédagogie et la gestion de classe sont orientés en fonction de la réussite aux dits examens. Il s’en suit une vision étroite et canalisée de l’activité scolaire. Pour beaucoup de professeurs et de gestionnaires, cela simplifie la pratique. Dans l’optique où les sociétés modernes doivent passer d’une économie des connaissances à une économie de la créativité, c’est faire fausse route. Le secrétariat anglais à l’éducation l’a compris en déplorant le fait que trop de professeurs de mathématiques modèlent leurs cours en fonction des tests (BBC : Maths teaching often too narrow’).
Peut-on réellement blâmer les professeurs de mettre l’accent sur les tests quand le système scolaire accorde autant d’importance aux examens uniques de fin d’année. Malgré les objections, je persiste à croire que ces examens causent plus de mal que de bien. À défaut de les supprimer, on devrait au moins diminuer leur importance.
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Vous écrivez: « Dans l’optique où les sociétés modernes doivent passer d’une économie des connaissances à une économie de la créativité… »
Et après, l’on nous dit qu’il est faux de prétendre que la réforme diminue l’importance du rôle des connaissances.
« Et après, l’on nous dit qu’il est faux de prétendre que la réforme diminue l’importance du rôle des connaissances. »
En fait, la réforme en augmente l’importance, car elle repose en grande partie sur l’objectivation des connaissances, c’est-à-dire qu’elle cherche à donner un sens aux connaissances en les situant dans des tâches complexes et signifiantes. Il en va de même de la créativité, qui ne saurait s’exercer sans une bonne maîtrise des connaissances.
Ainsi, on ne se retrouve pas avec un tas de connaissances évacuées, comme c’est généralement le cas quand on farcit un crâne de connaissances déclaratives. C’est d’ailleurs un constat qui a été mis en lumière par la récente enquête qui a révélé que la moitié des étudiants qui désirent devenir professeurs échouent le test d’admission en maths (La Presse : La moitié a échoué au test d’entrée du l’UdeM).
Bien sûr! Qui avouerait le contraire surtout dans un contexte où la réforme est attaquée de toutes parts sur cet aspect bien précis. Mais les gens ne sont pas dupes.
En fait, que ce soit les intentions ou non des promoteurs de la réforme, l’effet semble le même puisque beaucoup d’enseignants perçoivent également une diminution du rôle des connaissances dans les nouvelles pratiques mises de l’avant par la réforme.
Si quelqu’un peut me démontrer que les savoir-faire ne font pas appel aux connaissances, j’abandonne sur le champ la défense de la réforme. Du coup, je crois même que je devrai quitter la profession, car cela signifierait que je n’ai rien compris de ma formation universitaire, de ma pratique professionnelle, de mes lectures quotidiennes, et de ma communauté de pratique.
J’aurais pu écrire cette réplique François… La question de la place des connaissances dans la construction des compétences est au coeur de mes prises de position, présentes et passées, réforme ou pas ! J’en réfère à ce billet rapportant une allocution de M. Thomas de Koninck (http://carnets.opossum.ca/mario/archives/2002/12/thomas_de_konin.html ). Cet extrait avait été pour moi très éclairant au début des années 2000 : «L’élève compétent c’est un élève savant ».
On sera deux à quitter le domaine cher François…
Je n’ai jamais dit que les proréformes défendaient l’idée que les compétences ne faisaient pas appel aux compétences, mais qu’ils en diminuaient l’importance autant dans leur discours que dans leurs propositions de changements. Êtes-vous en mesure de faire cette nuance?
En fait, le principal problème selon moi est cette idée qu’IL FAUT SITUER LES CONNAISSANCES DANS LES TÂCHES COMPLEXES ET SIGNIFIANTES ». Le problème avec ce principe est qu’il entraîne très souvent une diminution des connaissances et des compétences et qu’il augmente les écarts entre les élèves de milieux favorisés et défavorisés. Un nombre considérable d’études en éducation, psychologie cognitive et en psychologie de l’apprentissage le démontre très clairement.
M. Péladeau, que voulez-vous dire par « DIMINUER L’IMPORTANCE »? Pouvez-vous donner des exemples concrets où les enseignants « proréformes » comme vous dites DIMINUENT l’importance des connaissances?
Là où je travaille, je n’ai constaté rien de tel…
Je n’ai d’autres choix que de seconder les questions de Gilles. Je ne comprends pas non plus ce que vous entendez, M. Péladeau, par diminuer l’importance des connaissances. J’ai déjà indiqué, dans mon premier commentaire, que la réforme, selon moi, en augmente l’importance. Tout comme Gilles, je ne perçois pas que dans mon entourage les professeurs accordent moins d’importance aux connaissances qui constitueront toujours la base des apprentissages.
Cela dit, je reconnais qu’il y a des différences globales (par opposition aux individus) entre les milieux défavorisés et favorisés. Il est fort possible, par conséquent, que les méthodes qui réussissent auprès des élèves favorisés ne réussissent pas autant auprès des autres. Il faut savoir choisir la méthode pédagogique en fonction de l’élève et des apprentissages poursuivis. Comme les compétences reposent sur des connaissances, on peut émettre l’hypothèse que l’approche par compétences est mal choisie pour les élèves qui accusent des lacunes ou un retard sur le plan des connaissances. Du coup, une approche plus explicite serait tout indiquée pour mettre l’accent sur les connaissances, le temps de combler le retard et pouvoir enfin les réinvestir dans des compétences.
Diantre, que d’actions dans ces commentaires! Puis-je ajouter mon grain de sel à cette tempête de sable?
Honnêtement, le problème principal auquel je suis confronté comme enseignant est ce que j’appelle le transfert des connaissances i.e. est-ce que l’enfant est capable de réinvestir ce qu’il a appris théoriquement (cours, magistral, exercisation, examen plutôt limité) dans une pratique personnelle plus ou moins encadrée?
Pour les élèves forts ou motivé, la réponse est oui et sans aucun problème. De toute façon, l’élève fort apprendrait sans moi, alors aussi bien ne pas surestimer tout de suite l’impact que je peux avoir auprès de ce dernier.
L’élève démotivé n’apprendra rien. Il tirera sa peine comme un prisonnier. Est-ce que de varier mes pratiques pédagogiques y changera quelque chose? À court terme, oui. À long terme, non. Et l’élève démotivé particulièrement intelligent refusera de jouer le jeu parce qu’il n’est pas dupe de cette stratégie. La principale cause de décrochage au Québec est que le jeune veut aller gagner des sous plutôt que de rester sur les bancs d’école. L’argent gagné est tangible tandis que les bénéfices de l’éducation sont plus abstraits et que l’école est parfois bien ennuyante. Un DES ne fera pas le poids devant une Honda CRX…
Reste l’élève moyen motivé. Oui, certaines stratégies de travail en équipe, reliées à un projet ou à la résolution d’un problème, fondées sur l’échange et un certain conflit cognitif, pourront lui permettre de peut-être faire ce fameux transfert. Seulement, il y a quelques «mais».
L’élève doit être et demeuré motivé. En équipe, le match de hockey de la veille ne doit pas prendre le dessus sur le travail en classe et je déteste cette impression d’être un préfet de discipline.
La tâche ne doit pas trop dépasser ses moyens et ses limites, sinon quoi l’élève décroche. On réagirait de la sorte, nous aussi.
Viennent ensuite trois facteurs externes non rattachés à l’élève.
Il y a tout d’abord le fait que ce ne sont pas toutes les connaissances qui se prêtent aisément à ce genre de procédé d’apprentissage. La poésie en est un bon exemple. Même si le hip hop et le rap ont ramené la sonorité de la langue dans le quotidien des jeunes, elle demeure, à mon avis, un art un peu déconnecté de leur réalité et qui ne se prête pas aisément à différents types de projets signifiants.
Ensuite, on retrouve le fait qu’organiser une telle activité prend un temps important et qu’au secondaire, on éteint des feux plus que d’allumer les yeux de nos élèves… Le temps reconnu pour la planification (et la correction, soi-dit en passant) ne correspond pas à la réalité et ce ne sont pas nécessairement les dernières négociations entourant le renouvellement de notre convention collective qui ont motivé les enseignants. À ce sujet, pouvait-on choisir plus mauvais moment pour implanter une réforme?
Également, il y a le temps de déroulement de cette activité. Elle exige plus de temps qu’une autre forme d’apprentissage. On peut rétorquer que les connaissances seront acquises et durables, il n’en demeure pas moins que bien des profs sont obligés d’aller au plus pressé. J’enseigne le français en cinquième secondaire et j’ai parfois l’impression de devoir rattraper bien des années en dix mois de classe…
Pour conclure, je ne crois pas qu’il existe un seul enseignant au Québec qui veut que ses élèves en apprennent moins. Seulement, la réalité dans lequel il devra inscrire certains apprentissages pourraient l’amener à faire des choix et à restreindre «l’enseignement» ou la découverte de certaines connaissances, connaissances, diront certains, qu’ils n’auraient de toute façon pas apprises avec une méthode d’enseignement plus traditionnelle…
Finalement, en réponse à M. Guité, les élèves qui accusent des lacunes ou un retard sont plus nombreux qu’on veut bien l’admettre au Québec. En français, dans mes groupes, peut-être le tier ont une connaissance acceptable du français pour des élèves de cinquième secondaire. Que ce phénomène soit causé par un mode d’enseignement déficient ou une évaluation qui manque de rigueur, il n’en demeure pas moins qu’on ne peut pas actuellement mettre tous ces jeunes sur la touche, le temps de leur permettre de reprendre leur retard. De plus, ou trouvera-t-on le temps… et l’argent?
Diable, M. Papineau, vous avez une faconde et une plume qui font que je m’étonne que vous n’ayez pas déjà un blogue. De plus, vos points de vue plutôt réalistes ont le grand avantage de tempérer un certain idéalisme de ma part. C’est toujours avec plaisir et intérêt que je vous lis.
Vous avez raison de souligner le rôle déterminant de la motivation scolaire dans l’apprentissage. Il n’y a rien de plus pratique qu’une bonne théorie, dit-on, et j’ai toujours trouvé celle sur la motivation scolaire extrêmement éclairante. Par conséquent, je crois que les diverses méthodes pédagogiques agissent de façon différente sur cette motivation, nonobstant la personnalité du professeur. Quoiqu’il est quasi impossible de motiver tous les élèves d’une classe de façon constante, je suis d’avis que le choix de la méthode peut minimiser le nombre des élèves démotivés.
Je crois, au contraire, que la poésie se prête très bien aux nouvelles méthodes pédagogiques, du moins si j’en crois mon expérience dans l’enseignement de l’anglais (English Language Arts). Mais des circonstances particulières, comme la lourdeur du programme de français, peuvent faire en sorte que le temps vous manque pour des initiatives où les élèves sont plus libres de leurs apprentissages. Cela est un constat, non un jugement de valeur. Croyez bien que quand le temps vient à manquer, je n’ai d’autre choix, moi non plus, que de recourir à une approche plus explicite.
Enfin, on ne saurait exiger d’un professeur de fin de secondaire qu’il remédie à toutes les lacunes d’apprentissage accumulées par les élèves dans le passé. Vous avez la tâche ingrate, souvent, de raviver des flammes au milieu de brûlis.