Le mariage des universités et des corporations
L’industrie s’immisce dangereusement dans les universités. Les partenariats entre ces deux grands acteurs de l’économie sont pourtant nécessaires. Les entreprises comptent sur des diplômés compétents, tandis que le milieu académique a besoin de l’expertise pratique et actuelle issue du terrain. La collaboration entre les deux parties existe déjà depuis longtemps, notamment en science et en ingénierie. Les universités américaines tirent des revenus considérables de redevances sur des brevets cédés à l’industrie. Je ne saurais dire dans quelle mesure les universités canadiennes mettent à profit leurs laboratoires et leurs chercheurs, ni quels avantages ceux-ci en retirent.
L’année dernière, Ubisoft et l’Université de Montréal annonçaient un projet commun (communiqué). Récemment, la Fédération québécoise des professeurs et professeures d’université (FQPPU) avait exprimé ses inquiétudes quant aux investissements du secteur privé dans la recherche universitaire(Le Soleil : Des inquiétudes pour la crédibilité des universités).
Les investissements massifs de l’industrie ne sauraient être confondus avec les initiatives de coopération. Du coup, on attire les meilleurs chercheurs dans de nouveaux laboratoires, les entreprises se donnent de la crédibilité et elles forment les étudiants selon leurs besoins. Non pas que cela soit toujours le cas, mais l’argent tend à infléchir l’éthique professionnelle et la moralité. Souvent, elle corrompt. Les gestionnaires des entreprises privées ont d’ailleurs plus d’un tour dans leur sac (bourse) pour arriver à leurs fins (New York Times : BMW’s Custom-Made University) . C’est d’autant plus facile auprès des institutions qui crient famine.
Le New York Times dresse un portrait sommaire des investissements des grandes corporations dans les universités (cliquez sur l’image pour un agrandissement) :
Malgré les risques de dérapage, il faut continuer à encourager la collaboration entre le privé et le public. Avec le temps, les universités développeront une expertise et des modèles de partenariat qui leur permettront de mieux défendre leurs intérêts et ceux de la société. Compte tenu des enjeux et de l’ampleur des sommes investies, une supervision devrait être assurée par une tierce partie, à l’instar d’un vérificateur général.
Mise à jour, 24 février 2008 | Les universités québécoises ne sont pas en reste. Les partenariats avec le secteur économique se font plus nombreux (Le Devoir : L’université et le privé - L’entreprise devient un laboratoire pour l’école; remerciements à Guy Bergeron pour m’avoir signalé l’article). D’une part, il faut espérer que les universités jettent un regard éthique sur ces ententes. D’autre part, les universités doivent s’assurer de retirer les redevances inhérentes à leur participation, histoire d’alléger le fardeau financier des étudiants, mais aussi de redistribuer la richesse entre les diverses facultés qui n’ont pas toutes le même intérêt pour l’industrie.
Par ricochet :
Associer éducation et industrie
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Et que penses-tu du projet de l’Université Laval pour un pavillon réalisé en collaboration avec Sobeys?
http://www.scom.ulaval.ca/Au.fil.des.evenements/2006/02.23/sobeys.html
Un autre exemple de partenariat des secteurs privé et universitaire. Merci de la référence, Clément.
Ma position reste la même, mais tu ta question m’a permis d’approfondir ma pensée.
Dans une perspective globale, je perçois ce genre d’initiative comme une expérimentation sociale. Il se commettra des erreurs, certainement, mais il sera intéressant à long terme de voir ce que chaque partie peut en tirer. On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. C’est comme l’école : c’est en essayant et en faisant des erreurs qu’on apprend. Il faut espérer que les garants de l’intérêt public sauront être vigilants.
Les professeurs universitaires ont raison de s’inquiéter de la crédibilité des universités (voir l’article dans Le Soleil). Il faut aussi être vigilant de ce côté.
Le plus inquiétant, à mon avis, est le risque de désengagement de l’État qui peut être tenté de refiler à l’industrie ses responsabilités financières à l’endroit des universités. Même si cela ne devait pas se réaliser, on risque fort de se retrouver avec un clivage entre des facultés riches et pauvres. Certaines facultés (agronomie, sciences, biologie, ingénierie, médecine, etc.) n’auront aucune difficulté à attirer des partenaires du secteur privé. D’autres, par contre, seront laissées pour compte (arts, lettres, éducation, théologie, philosophie). Les sciences humaines deviendront alors un tiers-monde universitaire.
« Les sciences humaines deviendront alors un tiers-monde universitaire. » Elles le sont déjà; pour avoir étudié, il y a déjà quelque temps, dans un domaine pas très « fashion », je peux témoigner de l’écart flagrant de ressources vis-à-vis des domaines d’études plus « pratiques ».
En fait, l’université n’a plus d’universelle que le nom; cette tendance à la transformer en école de métier continuera à s’accentuer avec ces investissements massifs du privé.
Hélas, les universités ne font que suivre le courant. Il est absolument regrettable que ces institutions de haut savoir ne jouent pas un rôle plus socialement engagé. Les universitaires, élus dans une sorte d’académie ou de sénat, une sorte de pendant du gouvernement, constitueraient un forum intéressant pour faire contrepoids aux chimères des politiciens.