Le point sur la réforme
L’heure est au bilan dans le dossier de la réforme. Le débat s’échauffe, au point que certains veulent en faire un enjeu électoral. Le récent référendum dans le canton de Genève sur le retour des notes chiffrées (L’actualité : Le retour des notes) a probablement servi de tremplin à cette idée. La pression monte sur le ministre Jean-Marc Fournier pour intervenir, ce qu’il a fait hier en annonçant 12 mesures pour aider les écoles, suite aux recommandations de la table de pilotage chargée de faire le point sur la réforme. Je m’en voudrais de ne pas souligner quelques faits récents sur la question.
D’abord, l’excellente participation de Martine St-Germain qui résume, sur Les carnets Dédalus, quatre événements du colloque La Nouvelle gouvernance en éducation où on a fait état de la réforme :
- Regards croisés sur les réformes québécoises ;
Regards croisés sur le leadership et le travail collaboratif au temps des réformes éducatives ;
Conduire une réforme de l’éducation : analyse d’une expérience ministérielle ;
Synthèse du grand témoin : Paul Inschaupé.
D’un autre côté, La Presse publie aujourd’hui, sous la plume de Marie Allard, une série d’articles sur les mesures que le MELS entend prendre pour aider la réforme, de même que les réactions du milieu :
- La réforme de l’éducation revue et corrigée ;
Les 12 travaux du ministre ;
«Le ministre n’a rien compris» ;
Trop peu, trop tard, disent les enseignants.
Il est difficile de ne pas faire un lien entre le reportage de Marie Allard et le deuxième billet de Martine St-Germain (Regards croisés sur le leadership et le travail collaboratif au temps des réformes éducatives). Je comprends mal comment le ministre de l’Éducation peut faire la sourde oreille aux doléances de tout un regroupement de professeurs. Nous sommes aux antipodes de la collaboration, que la centralisation de l’éducation au Québec ne favorise guère.
Les principaux opposants à la réforme dénoncent surtout ses effets néfastes sur les élèves en difficulté. Et si c’était vrai ? Pourquoi ne pas permettre aux écoles des milieux défavorisés plus de latitude pédagogique, notamment avec l’enseignement explicite, pour composer avec une situation certainement très difficile. Je doute que l’enseignement explicite soit la solution au problème, mais c’est en expérimentant qu’on le saura vraiment et qu’on réussira à faire progresser l’éducation.
Par ricochet :
Les affres de la réforme
Attaques contre la réforme
Un syndicat d’enseignants pour la réforme
Le jargon de la réforme
Regard intuitif sur la notion de compétence (Jobineries)
Compétences transversales dites-vous ? (École et société)
With us or against us… (Remolino)
Les compétences transversales : concept dépassé ou mal formulé? (Mario tout de go)
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« Et si c’était vrai? »
C’est la première fois que je vois quelqu’un favorable à cette réforme envisager, même hypothétiquement, la possibilité que la détérioration chez les élèves de milieux défavorisés puisse être vraie. Je vous félicite pour cette ouverture d’esprit que je n’ai pas vue souvent. Et je suis d’autant plus content que vous terminez votre message par cette affirmation:
« mais c’est en expérimentant qu’on le saura vraiment et qu’on réussira à faire progresser l’éducation. »
Encore une fois bravo! Vous avez tout à fait compris ma position dans ce débat.
Proposition d’intervention: une seule école, une équipe d’experts, un an ou deux de travail de préparation (je ne connais pas un manuel scolaire de français ou de math décent permettant de faire un enseignement explicite), et une intervention ciblée uniquement sur les élèves du premier cycle du primaire (intervention de deux ans maximum). Pas question d’intervenir dans 10 écoles à la fois, pas question d’intervenir à tous les niveaux du primaire. Il faudrait le faire uniquement lorsque nous aurons démontré des effets tangibles, mesurables, et appréciables après la fin du premier cycle, et si possible après une seule année.
Et si une telle tentative échouait, alors pas question de diffuser le modèle d’intervention ou le matériel à d’autres écoles. Donnons-leur cependant une chance de retravailler leurs matériels pédagogiques, leurs interventions, etc. et de réessayer à nouveau, mais encore une fois, auprès de cette seule école.
S’ils réussissent, ils devront alors travailler à démontrer que leur modèle d’enseignement peut être généralisé à une plus grande échelle, soit à 4 ou 5 écoles différentes, avec une formation adéquate des enseignants, mais une supervision moins grande que dans le projet pilote. Ils devront par la suite tenter de mettre en forme leur intervention avec comme objectif d’en faire un « package » robuste de type « Duncan Hines » (c.-à-d. une recette avec des ingrédients et instructions simples où le succès est assuré même en dépit de variations).
J’aimerais bien me prêter à cet exercice, d’autant plus que c’est précisément l’objet de ma dernière demande de subvention avant de quitter le milieu de l’éducation (j’avais soumis une proposition de recherche-intervention dans une école du quartier Hochelaga maissoneuve). Je serais même prêt à reprendre du service et faire un retour dans le monde de l’éducation si un tel projet était mis en branle.
Ceci dit, ne croyez-vous pas monsieur Guité que l’on se retrouve devant un double standard? Connaissez-vous de pareilles expérimentations sur des pédagogies socioconstructivistes ou autres ayant été réalisées au Québec avant l’implantation de notre réforme? Et si nous obtenions des résultats probants, croyez-vous réellement que cela changerait quelque chose au débat actuel? Ne croyez-vous pas au contraire que les gens qui ont nié la pertinence des données produites par la table de pilotage elle-même, nierait également la pertinence des résultats d’une évaluation d’un modèle à ce point contraire à leur vision de l’éducation? Malheureusement, j’ai bien peur que cela ne change pas grand-chose au débat actuel. Mais je tenterais l’aventure malgré tout!
Et si on demandait également à ceux qui ont voulu implanter cette réforme de participer à une telle expérimentation en prenant en charge une autre école de milieu défavorisée avec une équipe d’experts, en leur donnant également les ressources nécessaires pour expérimenter de la même façon?
Je connais une école primaire en milieu défavorisé où on se questionnait depuis des années quant à la façon de redresser la situation en lecture. On avait là , une équipe d’enseignantes expérimentées, au premier cycle du primaire, dont les élèves avaient de grandes difficultés en lecture. Un nombre anormalement élevé d’élèves en arrachaient. Faisant fi des façons de faire qui portaient l’imprimatur de sa commission scolaire (approche globale), et au risque de se mettre à dos l’équipe des conseillers pédagogiques en français, la direction de l’école a pris sur elle d’envoyer, avec leur accord, ses enseignantes suivre une formation à l’extérieur de la commission scolaire. Une formation donnée par une équipe qui a produit du matériel pour l’enseignement explicite de la lecture et qui s’appuie sur l’approche syllabique. Après deux mois, ces enseignantes expérimentées ont pu voir une différence. C’est peu dire. La démarche est toujours en cours. Ce qui étonne et en fait, jette à terre là-dedans, c’est qu’on doive être délinquant dans sa propre organisation quand on se questionne sur les meilleures façons de faire apprendre les élèves. Et pourtant, dans ces classes, les élèves sont actifs, utilisent leurs connaissances en lecture pour résoudre des problèmes, vivre des projets… Une école active, mobilisée, ouverte sur sa communauté. Ha oui, en plus, dans cette école, la direction a aussi poussé l’odieux au point de réintroduire les notes dans son bulletin, juste parce les parents comprennent mieux comme ça. Un bel exemple de pragmatisme inspiré et inspirant et des enseignants qui font sauter les tabous et les vaches sacrées. Mais surtout des gens qui ne revendiquent pas le droit à l’irresponsabilité, mais qui se prennent en charge, avec l’appui de leur direction et de leur communauté, pour les enfants. La loi leur donne des choix, ils les ont fait. Le ministre dit qu’en matière d’approche pédagogique ils ont le choix, ils l’assument.
petite question ? est-ce le programme d’enseignement explicite de lecture développé par un collègue Christian Boyer ? Car j’ai travaillé à l’implantation de ce programme lorsque j’étais à la Poly de la Pocatière et nous avions eu un grand succès !
« et nous avions eu un grand succès ! »
Je suppose que vous vouliez dire « LES ÉLÈVES ont eu du succès. »
Est-ce que je me trompe en pensant plutôt qu’il s’agit plutôt de manuels publiés par « Les Productions Petit Poucet »?
http://www.laroue.ca/
Je n’ai pas vu le matériel, mais cela m’intrigue énormément.
M. Jobin,
Tout d’abord, on peut dire «nous» quand on a établi un lien fort avec les élèves…
Ici, n’enlèvez pas à M. Bissonnette le fait qu’il s’est fixé des objectifs dans le cadre de son projet et qu’il les a atteints. Il parle d’une équipe, de gens qui ont travaillé fort en coopération. Il dit «nous». Je trouve ça bien plus intéressant que «moi».
J’espère sincèrement que quelqu’un relèvera le défi de monsieur Péladeau. Cela fera certainement avancer les choses.
Toutefois, je ne suis pas certain qu’un duel soit la meilleure façon de desservir l’éducation. Le but ne doit pas être d’assurer la victoire d’un camp ou de l’autre, mais bien de faire gagner l’élève. Et si, par exemple, la meilleure solution se trouvait plutôt dans la complémentarité des méthodes ? Je complique le problème, je sais. Mais les solutions ne sont pas toujours simples.
Pour l’instant, je penche davantage du côté de la liberté pédagogique décrite par monsieur Le Neuf. Les éducateurs les plus près des élèves sont souvent les mieux placés pour déterminer ce qui sied aux élèves. Ils sont aussi plus aptes à adapter leurs méthodes dès que des problèmes se manifestent. Heureusement qu’un professeur n’a pas à attendre un décret ministériel chaque fois qu’il prend une décision pédagogique
Vous croyez que nous serions en mesure d’obtenir une subvention du MELS pour ce type de projet?
Vous dites: « Et si, par exemple, la meilleure solution se trouvait plutôt dans la complémentarité des méthodes ? »
Seule une vision superficielle de la pédagogie permet d’évoquer la complémentarité des méthodes. Tous les modèles font une certaine quantité d’enseignement explicite ou direct, de projets, de travail coopératif, etc. et à cet égard, tous les modèles se ressemblent. Mais faire de l’enseignement direct, ce n’est faire du « Direct Instruction » à la Englemann, faire des activités ou l’enseignant fait un exposé explicite, ce n’est pas faire de l’Enseignement Explicite à la Rosenshine. Faire des projets, ce n’est pas non plus nécessairement faire une pédagogie par projet.
La différence entre ces modèles vient de l’importance relative de ces différentes activités, leur séquence dans un enseignement et de leurs fonctions. Et lorsqu’on examine les recommandations des promoteurs des différents modèles, on arrive à des conclusions totalement contradictoires quant à ces fonctions, séquences et importances.
Quant à la liberté académique, je veux bien, mais c’est bien difficile pour un enseignant de faire un enseignement explicite sans le matériel nécessaire pour le faire, avec un directeur et des conseillers pédagogiques qui voient à l’application de l’orthodoxie socioconstructiviste et qui dénoncent toutes les pratiques qu’ils considèrent être la source du problème, alors que l’enseignant croit que ces pratiques font plutôt partie de la solution. Pas facile non plus quant au cours de sa formation des maîtres on lui a répété qu’ « enseigner » c’est pas la bonne façon de faire apprendre. Pas facile avec toute la propagande que l’on lui impose sous le couvert de « formation continue », d’atelier de perfectionnement et quant il se fait dire que si les élèves échouent plus souvent maintenant qu’autrefois, c’est de la faute de ceux qui n’ont pas implanté correctement les principes de la réforme.
Croyez-vous vraiment qu’en ces temps, l’enseignant est vraiment libre de faire ce qu’il veut dans sa classe?
Et pourquoi alors insister sur le maintien de cette réforme si l’on admet le principe que l’enseignant peut faire ce qu’il lui plait? Dehors les conseillers pédagogiques! À bas l’accréditation du matériel scolaire par le MELS! Abolissons Vie Pédagogique, qui n’est qu’une info-pub du MELS pour cette réforme! Seulement alors pourra-t-on commencer à parler de réelle « liberté pédagogique ».
Je me suis toujours senti libre de faire ce que je veux dans ma classe, dans la mesure où ma pratique s’appuie sur des considérations professionnelles. L’avènement de la réforme n’y a rien changé. Quand je regarde autour de moi, j’aperçois une telle variété de moyens pédagogiques qu’on ne saurait prétendre à l’unité d’une méthode. C’est bien désolant, direz-vous. Mais ce n’est pas la conséquence de la réforme. La situation prévalait bien auparavant. Le fait est que l’appareil scolaire est tellement lourd et si dénué de ressources qu’il est pratiquement impossible à gouverner dans une seule voie.
Ce qui me ramène à la complémentarité des méthodes. Je crois deviner que vous préconiser une seule méthode, soit l’enseignement explicite, bien définie, campée dans la discipline professionnelle, et ne souffrant pas d’écarts de méthode. J’espère me tromper, car cela réduirait l’enseignant à un rôle de technicien. Je ne crois pas, par ailleurs, qu’une même méthode sied à tous les élèves. Quoi qu’il en soit, nous ne serions pas plus avancés, étant donné que nous remplacerions un système monolithique par un autre. Nous nous heurterions aux mêmes difficultés administratives que la réforme actuelle, ainsi qu’à la résistance des professeurs qui n’y croient pas.
Enfin, je sens à nouveau le besoin de préciser que je ne suis pas un partisan de « la réforme ». Je crois cependant à la quête du bien, notamment en éducation, quelque forme qu’elle doive prendre.
M. Guité,
Votre raisonnement est en partie vrai.
Personnellement, réforme, pas réforme, j’en prends, j’en laisse du renouveau, comme bien des enseignants d’ailleurs. Des projets, de l’explicite, du travail en équipe: il est vrai que l’enseignant a toujours eu le choix des méthodes pédagogiques.
Avant la réforme, le prof qui aimait la pédagogie par projet pouvait en faire dans sa classe. Sa seule contrainte: la forme des évaluations.
Aujourd’hui, je peux faire du magistral ou de l’explicite, mais l’évaluation n’en tient pas compte. Un test de grammaire à choix de réponses ne va pas à proprement parler avec une compétence.
La façon d’évaluer a changé et les profs sont généralement prisonniers des modes d’évaluation, quels qu’ils soient.
En créant un nouveau paradigme d’apprentissage, on a aussi créé l’évaluation qui l’accompagne. Le problème, en écriture par exemple, c’est que la réforme n’est pas plus rigoureuse dans les grille d’appréciation que ne l’étaient les grilles de correction d’autrefois.
Comme enseignant, je suis obligé de tenir compte du mode d’évaluation par compétence et aussi des grilles d’appréciation.
De plus, le non-redoublement et la différenciation pédagogique sont des concepts reliés à l’évaluation qui viennent également exercer une influence dans ma classe. Le non-redoublement se traduit, selon plusieurs ensiegnants, par une baisse du niveau des élèves tandis que la différenciation entraîne une surchage de travail.
Pour quelques collègues avec qui j’en ai discuté, la différenciation sert davantage à intégrer administrativement dans les classes des élèves en difficulté qu’à s’assurer de leur réussite.
L’enseignant est maître dans sa classe, mais sa souveraineté est limitée, si l »on peut dire.
Est-ce qu’un élève peut doubler son année scolaire selon la réforme et si, non, c’est quoi les mesures prisent lors de son entrer scolaire lors de la prochaine année pour cette élève déjà en difficulté
Je ne suis probablement pas la meilleure personne pour répondre à cette question, considérant que j’enseigne au secondaire et que les élèves de mon programme ne sont pas sujets au redoublement. Votre directeur d’école saura vous répondre mieux que moi.
Toute la question du redoublement dans le cadre de la réforme est assez floue, ce qui est assez incompréhensible considérant l’impact sur les enfants, les parents et les professeurs. Généralement parlant, la réforme est réfractaire au redoublement des élèves. Reconnaissant le manque de clarté au sujet du redoublement, le ministre de l’éducation a présenté un projet de loi le 14 juin 2006 pour rectifier la situation. À ce que je sache, le projet de loi n’a toujours pas été adopté.
Quant au suivi des élèves en difficulté d’apprentissage, il n’existe pas non plus de politique claire à ce sujet. Mon expérience m’a appris que cela est généralement laissé à la discrétion des enseignants.