Obstacles aux TIC pour un prof technophile
L’invitation est trop alléchante pour ne pas mordre à l’hameçon. Une étudiante à l’UQAM lance un appel auprès des enseignants pour connaître leur avis sur les difficultés d’intégration des nouvelles technologies de l’information en éducation. Comme le sujet m’intéresse vivement, et dans un esprit de coopération entre chercheurs et praticiens, je n’allais pas laisser passer si belle occasion. Je présenterai le point de vue d’un technophile qui se bute à l’immobilisme. Je procéderai par paliers, non pas pour éclabousser les fonctionnaires, mais parce que leurs décisions ont un impact sur ma pratique.
On me reprochera de traiter la question uniquement sous l’angle des problèmes, sans aborder les aspects positifs. J’accepte d’emblée la critique. Je tâche de me centrer sur la question. Par contre, je tâcherai d’apporter quelques pistes de solution.
Je n’aime pas les publications acrimonieuses. Mais au-delà de la tolérance permise, je crois qu’il est de notre devoir d’exprimer son mécontentement. Surtout quand il y va de l’intérêt public. Le plus difficile est de ne pas sombrer dans l’acharnement et le radotage, tout en évitant de laisser les émotions ternir l’objectivité.
Voici donc mon avis sur les obstacles à l’intégration des nouvelles technologies en éducation. (Cliquez sur l’image ci-dessous pour un agrandissement, ou téléchargez la version PDF.) Il va de soi que cette analyse n’est qu’un artefact, celui d’un enseignant qui s’interroge sur sa pratique.
Ministère :
Leadership : absence de volonté politique.
Ressources déficientes : les besoins matériels sont trop grands en infrastructures de toute sorte.
Absence d’incitatifs : les enseignants doivent payer tous les équipements et la plupart des logiciels de leur propre poche, sans même avoir droit aux déductions fiscales dont bénéficient les travailleurs autonomes.
Myopie dans l’intégration des TIC : les nouveaux manuels scolaires représentent certainement l’exemple le plus évident de manque de vision au regard des nouvelles technologies.
Finalité du marché du travail (par opposition à l’individu) : par conséquent, les TIC à l’école se limitent à l’ordinateur de bureau et à l’enseignement des logiciels de bureautique.
Commission scolaire :
Leadership : absence de volonté pédagogique.
Ignorance des enjeux éducatifs reliés aux nouvelles technologies.
Formation : formation aux nouvelles technologies offerte au compte-goutte, laquelle ne réussit pas à suivre l’évolution ; formation tournant autour des habiletés de base ; priorité accordée aux débutants, ce qui est compréhensible, sauf que les autres sont laissés pour compte ; approche axée sur la technologie plutôt que l’intégration pédagogique.
Centralisaton : autoritarisme dans les choix technologiques, notamment dans l’achat de l’équipement informatique et les systèmes d’exploitation.
Filtres internet : interdiction d’accéder à certaines sources d’information, pourtant inoffensives, à partir de l’école.
Direction d’école :
Leadership : absence de volonté collaborative.
Ressources financières : budgets insuffisants pour l’achat d’équipements ou de logiciels.
Le renouveau pédagogique : l’implantation de la réforme semble monopoliser tout le temps et les maigres ressources de la direction.
Technicien en informatique :
Leadership : aucune autorité reconnue.
Le seul point positif au tableau.
Surmenage : sollicité de tout bord, tout côté j’ignore combien de temps il pourra tenir le coup.
Collègues (enseignants) :
Manque d’équipement : les enseignants ne disposent pas d’ordinateur personnel ; communauté de pratique appauvrie ; maigre partage de matériel didactique conçu par les enseignants.
Lourdeur de la tâche : peu de temps pour faire l’apprentissage des TIC ; aucun temps reconnu pour la création de matériel didactique numérisé.
Résistance au changement : les pratiques traditionnelles se prêtent mal à une pédagogie qui intègre les TIC.
Préjugé défavorable : la majorité des professeurs associent les TIC à un alourdissement de la tâche et à une panoplie de problèmes d’ordre technique.
Élèves :
Technophobie : certains élèves éprouvent une aversion naturelle pour la technologie.
Modèles d’apprentissage : les élèves ont aussi leurs préjugés à l’endroit de l’apprentissage, ayant déjà plusieurs années d’expérience scolaire au primaire ; il n’est pas toujours facile de les convaincre de l’utilité d’intégrer les TIC et d’expliquer « à quoi ça sert », puisqu’il faut souvent entrer dans de longues explications.
Irresponsabilité : considérant la quantité d’élèves qui utilisent les ordinateurs de l’école, les bris et le chapardage sont monnaie courante ; peut-être les élèves feraient plus attention s’ils étaient responsables d’un équipement personnel.
Transport de fichiers : les élèves arrivent parfois avec leur travail fait à la maison sur un support (une disquette, par exemple) ou dans un format incompatible avec les ordinateurs de l’école.
Utilisateur (moi-même) :
Précipitation : tendance à vouloir intégrer les TIC trop rapidement.
Individualisation : le fait de permettre la différenciation au regard de l’utilisation des TIC ne fait qu’étendre la gamme des solutions possibles.
Intrusion : les TIC permettent aux élèves de me joindre en tout temps, ce qui entraîne des intrusions après les heures d’école, en soirée et le week-end ; naturellement, l’inverse est aussi vrai, ce qui s’avère un avantage.
Non reconnaissance de temps : les collègues sollicitent régulièrement mon aide pour du dépannage informatique non pas que cela me dérange, au contraire, mais le temps que j’y consacre n’est nullement reconnu par l’employeur.
Culture : la culture qui prévaut dans les écoles ne favorise guère l’émergence des communautés de pratique si utiles dans le cas des nouvelles technologies; d’une part, les enseignants chérissent leur indépendance dans la classe et, d’autre part, il existe une rivalité tacite qui fait le plus souvent obstacle à la collaboration.
Devant tant d’obstacles, on ne s’étonnera pas des difficultés qu’éprouvent les enseignants à intégrer les nouvelles technologies de la communication dans leur pratique. En ce sens, l’intégration des TIC a subi le même sort que la réforme : de belles intentions, sans ressources appropriées, menant inévitablement à l’inertie.
Il appert que l’injection de ressources financières et matérielles réglerait une bonne partie du problème. Mais c’est un voeu pieux. Considérant la pénurie des ressources, il importe de les gérer autrement que par distribution administrative équitable. Le dénominateur commun, quoique plus égalitaire, n’est pas nécessairement plus rentable. Force est de constater que la dilution des ressources a été un échec. Peut-être la concentration a-t-elle plus de chance de réussir.
Quand les ressources sont rationnées, je crois que la réussite du changement passe par la concentration des moyens auprès de ceux qui ont la volonté de réussir. La motivation est un bien meilleur gage de réussite que la quote-part. En misant sur les éducateurs prêts à se rendre imputables des sommes investies, on aura plus de chances de faire avancer l’intégration pédagogique des nouvelles technologies, en plus de tracer de profonds sillons.
Mise à jour, 18 juillet 2007 | Le schéma a été légèrement modifié pour faire place à une autre contrainte affectant les enseignants, soit la culture.
Par ricochet :
Intégrer les TIC en classe
Hypothèse sur les TIC en éducation
L’intégration des TIC en éducation progresse
Un cas concret d’intégration des TIC à l’école
Les TIC : un indicateur de réussite scolaire
Pourquoi les profs ne bloguent pas
Quoi ? Les CS ont des surplus budgétaires !
L’intégration des TIC : la métaphore du crayon
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Bonjour M. Guité. Merci pour ce billet, je m’en servirai.
J’aimerais une explication (pour mieux comprendre, je suis un formateur ;o)) quand vous dites: «approche axée sur la technologie plutôt que l’intégration pédagogique.»
Merci encore.
Encore une fois, un billet très utile qui saura influencer plusieurs personnes.
La situation à mon école fait en sorte que je me retrouve tout à fait dans ton diagramme. Surtout en ce qui a trait à l’incompatibilité des programmes. Juste un exemple : la plupart des ordinateurs fonctionnent encore avec Windows 98, alors que d’autres sont sur Windows XP.
Mais il est vrai aussi que l’on passe beaucoup de temps à résoudre des petits problèmes techniques de nos collègues, ce qui nous gobe du temps et qui n’est aucunement reconnu. Et bien souvent, on règle tous les problèmes d’un ou deux de nos collègues.
En réponse à Pierre, que je salue au passage : Mon commentaire ne porte évidemment que sur mes propres expériences avec la formation aux nouvelles technologies de l’information. Chaque fois, il m’a semblé qu’on se contentait de nous montrer le côté technique du sujet, c’est-à-dire le comment ça marche. Je ne me souviens pas que l’on ait jamais abordé, ou si peu, l’utilisation pédagogique que l’on pouvait en faire, soit le à quoi cela peut servir, comment cela peut faciliter les apprentissages. Mais à la décharge de ceux qui donnent la formation, je reconnais que le temps est précieux quand il faut payer la suppléance des participants et que l’on a peu de considérations pour les discussions de ce genre.
Enfin un merci à Mathieu qui seconde mes observations. Il est toujours rassurant de penser qu’on ne divague pas trop.
Je vous salue moi également M. Guité.
De on côté, quand je «donne» une formation j’essaie de mettre les gens en action avec les TIC autour d’une S.A.. Donc lors d’un retour (à la fin de la formation) on peut assez facilement répondre aux questions: «à quoi cela peut servir, comment cela peut faciliter les apprentissages»
et faire des liens avec le programme de formation.
Pour en savoir plus sur notre façon de faire (un peu de pub ;o)): http://recitmst.qc.ca/article.php3?id_article=224
Merci encore M. Guité pour ce billet.
Encore moi, j’ai publié ce billet sur le blogue du RÉCIT: http://recit.org/index.php/2006/11/14/vue_globale_des_problemes_a_integrer_les
Bonne lecture!
Le problème, c’est que donner les moyens à ceux qui veulent et pas aux autres va à l’encontre d’un principe très cher à nos syndicats qui dit que tout doit être absolument égal (égalité mathématique) et non nécessairement équitable (égalité de traitement d’une situation selon le contexte…)
(Je vais m’attirer des foudres avec ça
Ceci sans compter les jalousies exacerbées par de tels privilèges qu’aurait pu accorder une direction dans un tel contexte culturel (La culture de l’égalité mathématique…)
Ça me rappelle le comportement d’une collègue me « dénonçant » à la direction, à cause de l’utilisation d’un portable dans le cadre d’un projet qui s’est heurté à une série de bogues sur un certain serveur (pas école)… et qui a fini par être carrément abandonné (Sans commentaire !)
« Je vais m’attirer des foudres avec ça »
Foudres, je ne sais pas. Je dois tout de même dire que j’estime que vous sombrez dans le lieu commun et la généralisation abusive.
Dans mon école, j’ai été le premier enseignant à qui la direction a fourni un portable. Lorsque j’en ai fait la demande, je l’ai faite en présentant un argumentaire qui mettait en relief les réalisations déjà en place en classe et en quoi le portable devenait justifié pour la poursuite de l’intégration des TIC dans mes classes. C’est la direction qui a évoqué le problème du précédant et de la jalousie.
C’est moi qui, en guise de solution, ai suggéré l’établissement d’une politique école avec des critères pour l’obtention d’un portable.
Au moment des événements, j’étais président du syndicat local depuis quelques années déjà.
Aujourd’hui, presque tous les enseignants de cette école ont un portable fourni par l’école.
Voilà pour une anecdote qui fait contrepoid à la vôtre. Laquelle a une portée plus générale selon vous?
Il est vrai que l’égalité est une valeur importante dans le monde syndicale et quant à moi, c’est une excellent chose. Par ailleur,sans nier certains dérapages, 15 années d’expérience du milieu syndical m’ont permis de constater que cette valeur est généralement mise en oeuvre avec les nuances, l’intelligence et le jugement qu’il convient.
Je l’ai déjà écrit ailleurs, le milieu syndical n’est pas à l’abri de la critique et ne se montre pas toujours raisonnable ou à la hauteur, loin s’en faut! Mais ce n’est pas non plus ce cloaque idéologique que d’aucuns se plaisent à décrire.
« Lorsque j’en ai fait la demande, je l’ai faite en présentant un argumentaire qui mettait en relief les réalisations déjà en place en classe et en quoi le portable devenait justifié pour la poursuite de l’intégration des TIC dans mes classes. »
Intéressant. Il y cependant, à ce que j’ai constaté, une très grande majorité d’enseignants qui ont mis en relief des réalisations, qui avaient un bon argumentaire, etc. et qui ont été tout simplement bafoués. À force de perdre des batailles, on préfère peut-être choisir une autre guerre.
Si le MELS ne comprend pas que le programme de formation implique un ordinateur par prof, ordinateur qu’ils peuvent contrôler à leur guise, alors cette fameuse compétence transversale TIC n’est qu’une illusion. Et ici, ce n’est pas une question d’égalité mais de rigueur pédagogique. La seule manière de comprendre que l’ordinateur est un générateur d’idées est d’en générer avec lui. Quand l’enseignant aura « compris » (vécu) la puissance créatrice de l’outil, je ne peux m’imaginer qu’il ne voudra pas faire connaître cette expérience à ses élèves. Et c’est là que le « tough fun » pourra prendre sa place : apprendre est délicieux mais il faut s’attendre aussi à souffrir un peu. Aujourd’hui on entoure tout de ouate, et on s’éloigne à la moindre difficulté : il faut absolument enseigner la persévérance et la patience aux enfants. L’ordinateur est un outil idéal à cet effet.
Il est très tôt ce matin, et je sens que je me suis un peu éloigné du sujet. Sorry !
À ce que je lis, j’ai atteint mon but : provoquer un peu, avec un cas bien étalé, sans rien mettre en relief à côté, ce que André Chartrand appelle « affectueusement » « généralisation abusive »…
D’ailleurs, nous avions commencé une discussion sur le syndicat, M. Chartrand et moi, il y a un an de cela, environ…
Ceci dit, je base quand même ce que j’ai dit sur un exemple on ne peut plus concret, mais il est évident qu’on ne peut généraliser avec un seul cas. Mais j’en ai d’autres en banque qui vont à peu près dans le même sens. Parfois (J’ai bien dit « parfois »…), à force de trop vouloir protéger tel ou tel droit ou privilège du syndiqué, on commet des abus au nom de l’égalité (mathématique) et au détriment de la pédagogie et des élèves. Mais je m’éloigne peut-être un peu ici…
Je suis bien content que le projet impliquant l’achat d’un portable ait fonctionné pour vous. Ça fait contrepoids à mon exemple et ça prouve qu’on peut continuer d’espérer arriver à quelque chose (avec force persévérance et convictions !), peut-être un an ou deux avant ma retraite, soit dans 15-16 ans (?)… (J’ironise un peu
Mais d’ici là, en attendant, je crois bien que, si je veux que mes journées continuent de n’avoir que 24 heures et que mes proches ne se mettent pas à me vouvoyer, je devrai passer à autre chose. Ou encore, plus « simplement », je devrai consacrer une bonne part de mon budget à l’achat d’un portable par moi-même, sans aucune déduction fiscale possible : belle égalité ;-/
Pour en revenir aux syndicats (ou à certains intervenants syndicaux, plutôt) ce que je leur reproche, c’est de ne pas tenir compte, parfois ou souvent – selon les lieux, du contexte dans lequel le jugement doit s’exercer. Il y a parfois une façon de faire qui pouvait être très justifiée et utile, voire nécessaire, en 1950, 1960, ou 1980, mais qui doit être adaptée pour les années 2000… Mais quand je vois le résultat des dernières négos, je perds un peu espoir… (Pourtant, je me suis impliqué dans la chose syndicale pendant plusieurs années, mais ces temps-ci, mon espoir est moins grand, c’est tout. Et c’est ce que je voulais partager ici…)
Je ne qualifierais pas les liens suggérés par Pierre de « pub » Quoique j’apprécie sa modestie, ils constituent d’excellents compléments au sujet.
Malgré l’intervention d’André, à qui on pardonne sa sensibilité syndicale, je suis plutôt de l’avis de Gilles et de Sylvain relativement aux ordinateurs portables à la disposition des enseignants. Ceux-ci ne devraient pas avoir à se mettre à genoux, ni faire des pieds et des mains pour faire des demandes écrites sans garantie de réussite, pour obtenir un portable. Les professeurs devraient avoir droit aux outils de travail appropriés et ne pas avoir à dépendre des caprices des gestionnaires.
En 1994, d’abord par le réseau Fidonet (http://fr.wikipedia.org/wiki/Fidonet) ensuite par Internet, j’ai entamé de la correspondance soclaire (réseau K12-français) entre ma classe et une classe d’immersion française de NY… Quand j’y repense aujourd’hui… :+))) des 8086, nec20, 8088, ré-assemblés par mes soins avec un budget de +- 120 à l’époque… pas de connection à l’école, transfert sur disquettes, communication modem 2400, connection sat avec NY… Appui de mon directeur, tentative d’extension du projet… : »Nous ne saurions participer à des réseaux que nous ne pouvons contrôler… » fut la réponse… J’ai continué, bien entendu, d’utiliser les pc comme outil dans ma classe, pour le reste, j’ai laissé tomber. Bien sûr..
12 ans après… je ne peux qu’adhérer à ce que tu as écrit précédemment François:
« La querelle entre les réformistes et ses opposants ne m’intéresse plus que du coin de l’oeil. La question primordiale est ailleurs, c’est-à-dire comment former les jeunes à la société de demain. Les échauffourées sur les mérites des diverses méthodes pédagogiques ne valent que pour un système scolaire déjà empêtré dans le passé. L’avenir m’intéresse davantage. Une éducation qui fait abstraction des moyens contemporains n’a que peu d’emprise sur les élèves. Et nous connaissons l’accélération de l’évolution technologique. Le retour aux méthodes traditionnelles revendiquées par certains opposants de la réforme (mais pas tous), est non seulement aberrant, mais suicidaire à long terme. »
Je ne crois pas que j’aurais fait preuve de tant de persévérance. Pas étonnant que tu aies réussi à passer au source libre ;-D