Les commissions scolaires sous le couperet
Bureaucrate : L’une des pièces maîtresses du char de l’État : le frein. (Albert Brie)
Mieux vaut tard que jamais (mea culpa). Il aura fallu beaucoup de temps à la blogosphère éducationnelle pour réagir à la proposition de l’ADQ d’abolir les commissions scolaires et d’accroître l’autonomie des écoles en renforçant les rôles des directions et des conseils d’établissement (voir son programme; PDF). À tout le moins, le concert de voix réclamant la dissolution d’un organisme public, notamment celles des principaux intéressés, justifie le débat. Dommage que nous ayons laissé les grands quotidiens prendre l’initiative du débat public. Mais enfin, battons le fer pendant qu’il est chaud; la question risque fort d’être refroidie au lendemain de la défaite anticipée de l’ADQ.
Le Québec se complaît dans une structure scolaire vieillissante. Si je ne m’abuse, les derniers grands changements remontent au rapport Parent (1963-64). Sans minimiser l’extraordinaire courage ministériel du renouveau pédagogique, l’évolution sociale et la gestion des fonds publics nous obligent aussi à repenser la structure de nos institutions. Malheureusement, les propositions des autres partis en matière d’éducation (PLQ, PQ, PVQ, QS) ne sont que des cautères sur une jambe de bois. Sans adhérer à la ligne de l’ADQ, je lui reconnais néanmoins le mérite de ne pas servir que des banalités.
L’affaire n’aurait pas pris une telle importance sans la popularité inattendue de l’ADQ dans les sondages. Il était amusant, durant le débat télévisé, d’entendre Jean Charest et André Boisclair ridiculiser bêtement la proposition de Mario Dumont, sachant que la Finlande, l’un des systèmes les plus performants au monde, confie la gestion des écoles aux municipalités (Current Concerns : What We Can Learn from Finland: Facts and Reflections on the PISA Study; Canoë : Zéro bureaucratie). Ni l’un ni l’autre n’a la vision et la trempe d’un Jean Lesage. Depuis le combat de coqs, l’appui de la Fédération québécoise des directeurs et directrices d’établissement d’enseignement (FQDE) a donné du lustre à la proposition adéquiste.
Avant de me lancer dans la mêlée, j’ai voulu m’assurer que les raisons évoquées il y a deux ans tenaient toujours la route (voir La caducité des commissions scolaires). Depuis, j’ai eu l’occasion d’en parler avec des collègues et des représentants syndicaux qui n’ont manifesté aucune opposition. J’ai également été ravi de lire une directrice d’école tenir le même discours (Le Soleil/L’Infobourg : « Les commissions scolaires ne devraient pas exister »). À la relecture de mon billet, il semble aujourd’hui que les raisons sont tout aussi valables :
- déboires de l’école (réforme, violence, TIC, formation, etc.)
restrictions budgétaires
formation universitaire des enseignants
formation universitaire des directeurs d’établissement
scolarité des parents; implication au conseil d’établissement
exemple et expertise des écoles privées en autonomie de gestion
inefficacité des commissaires
la mise en place des projets éducatifs d’école
l’avènement des nouvelles technologies de la communication
Malgré l’heure tardive, je suis ravi de voir la discussion s’échauffer. L’unanimité de ma blogosphère, surtout, me réconforte. Elle confirme ma prénotion quant à l’opinion générale des enseignants, quoi qu’en dise le syndicat (CSQ : Sept autres syndicats de l’enseignement demandent une rétractation). Position légitime considérant l’absence d’un vote syndical ou parti-pris politique? Toujours est-il que les attaques ont fusé de toute part (par ordre chronologique) :
- FQDE : L’éducation, une priorité pour qui? (PDF)
Les politiciens réagissent en promettant des ressources plutôt de que faire confiance aux établissements. [...] En soi, une telle approche ne reconnaît en rien les caractéristiques des régions: beige d’un bout à l’autre du Québec.
- Le Devoir : Les commissaires d’école sont-ils encore utiles ?
«[La Fédération québécoise des directeurs d'établissement d'enseignement] trouve réjouissante l’idée de vouloir distribuer plus de ressources humaines et financières à l’école, de réduire la structure administrative, de miser sur l’autonomie de l’école, d’enrichir les responsabilités du conseil d’établissement et de renforcer le rôle de leader en gestion pédagogique du directeur d’école.»
- Le Devoir : Les commissaires n’ont pas aimé la sortie des directeurs d’école
- Le Dernier restaurant : Commissions scolaires: ça continue… Michel Le Neuf’ (pseudonyme) s’insurge contre le président de la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ) qui brandit odieusement la menace de la paie des directeurs; de plus, il rappelle que la FCSQ est un service public qui n’a pas autorité sur son sort.
Les commissions scolaires, c’est accessoire, ça n’a pas de caractère obligatoire. C’est avant tout une structure de services et de représentation. On a beau dire que ça fait partie de notre histoire, les crucifix dans les classes aussi ça faisait partie de notre culture. L’existence des commissions scolaires, ça ne peut pas être un prélable à la discussion, ça devrait, au meilleur des cas, être une des conclusions possibles de cette discussion.
- Le Professeur masqué : Dehors les commissaires… Un professeur anonyme s’indigne du mépris dont font preuve certains commissaires à l’endroit des enseignants. Je ne peux qu’entériner cette affirmation, ayant été témoin plusieurs fois de leur condescendance.
Puis, il y a ceux qui sont là pour passer à la caisse et en retirer un profit personnel. On se souvient de tous ces reportages du journal de Mouréal ou l’on explique les avantages que se donnent parfois ces petits Ceauscecu de la démocratie scolaire. J’en ai même déjà entendu un suggérer qu’il devrait être rémunéré au même titre qu’un élu municipal… Rien de moins!
- Variations sur thèmes : Abolir : totalement ou partiellement ? Sylvain Bérubé dénonce la lenteur et l’incohérence des décisions quand elles sont soumises aux caprices des commissions scolaires.
Avec tous ces délais et cette bureaucratie inutile dans ce cas-ci, on se retrouve avec des ordinateurs qui arrivent désuets (et qui l’étaient déjà au moment de la commande) et qui ont coûté le double (ou presque) de ce qu’ils valent !
- École et société : Les commissions scolaires encore remises en question. André Chartrand fait le point sur la situation et souligne la discordance entre la faible représentativité des commissaires et leur pouvoir décisionnel.
D’abord la très faible participation aux élections scolaires mine considérablement la légitimité des commissaires. Par ailleurs, d’aucuns doutent de la pertinence d’une structure avec sa lourdeur bureaucratique. S’ajoute à cela l’appel des économies possiblement réalisées avec la suppression de cette structure. Tout cela sans oublier les scandales récents concernant les dépenses de certains commissaires. Pour finir, la très grande centralisation des pouvoirs au sein des commissions scolaires conjointes à une démocratie anémique a fini par créer une culture de mainmise sur l’éducation.
- Mario tout de go : Au lendemain du 26 mars en éducation au Québec. Mario Asselin examine les répercussions syndicales de la proposition de l’ADQ.
Au même moment, les syndicats prennent position contre la décentralisation et se positionnent contre tout ce qui peut donner plus de pouvoir aux écoles. Si le PQ ne fait pas une bonne performance lundi prochain, il y aura des lendemains difficiles pour la CSQ et les FAE dans ce contexte.
- Remolino : La nécessaire évolution des structures scolaires… Clément Laberge souligne le caractère simpliste de la proposition de l’ADQ et dénonce le mutisme des villes (hormis un bref communiqué (PDF) de l’Union des municipalités du Québec).
Elles n’auraient pas d’opinion? Je ne peux pas le croire. Ce serait un dramatique déficit de réflexion et de vision.
La FCSQ se démène comme un diable dans l’eau bénite. La page d’accueil de son site internet comprend pas moins de quatorze notices sur le sujet. Voyant l’éclat du couperet, elle ne joue pas franc-jeu. J’en prends à témoin le communiqué dans lequel elle situe à 5 % seulement la part des budgets qui vont aux coûts des services administratifs. En examinant de plus près le tableau (PDF) qu’elle présente en appui, au demeurant très flou et minimisant ses services administratifs, il appert que la FCSQ inclut dans les services aux élèves les salaires du personnel scolaire. Inutile de préciser que l’inclusion de la masse salariale brouille les chiffres. Par ailleurs, les 23 % affectées aux « dépenses activités de soutien » (bibliothèques, informatique, perfectionnement des enseignants, etc.) sont précisément les sommes que les directeurs réclament pour disposer de plus d’autonomie et de souplesse dans la gestion des écoles.
Les commissions scolaires disposent par ailleurs d’actifs qui pourraient aider les écoles. Il est difficile de sympathiser avec une commission scolaire qui a vendu des terrains pour financer la rénovation de son siège social, à un coût dépassant les 6 millions $, pendant que des élèves fréquentent des écoles décrépites et infestées de vermine. Ici encore, les commissaires ont donné leur aval.
Toute la poussière soulevée par la proposition de l’ADQ me semble obnubiler le coeur du problème : il ne s’agit pas de débattre de l’abolition ou non des commissions scolaires, mais plutôt de la pertinence des solutions de rechange. On ne saurait supprimer impitoyablement les commissions scolaires sans voir aux mécanismes de transfert des fonctions administratives. Dans l’éventualité où les municipalités en hériteraient, il faudra prévoir une aide gouvernementale, ne serait-ce que pour ne pas leur refiler des bâtiments délabrés. Il faut aussi assurer la même qualité des ressources en région et dans les campagnes, comme dans le modèle finlandais (Current Concerns : What We Can Learn from Finland: Facts and Reflections on the PISA Study). Une fois les craintes dissipées, il y a fort à parier que la résistance s’affaiblira. Rappelons que le but n’est pas d’abord de faire des économies, mais d’accroître la réussite scolaire.
Pour terminer sur une note positive, l’occasion est belle de raviver le projet d’écoles communautaires (PDF). Ironie du sort : la FCSQ est favorable audit projet (Le Devoir : Éducation – Des écoles ouvertes et communautaires). En visant plus haut et plus loin, pourquoi ne pas miser sur le concept de cité éducative si cher à Clément? Les grandes réalisations jaillissent des grandes idées.
(Image thématique : Chains of Office, par Thierry Poncelet)
Par ricochet :
La caducité des commissions scolaires
Des écoles communautaires pour le Québec ?
La décentralisation des écoles (sans commission scolaire)
Quoi ? Les CS ont des surplus budgétaires !
La bureaucratie est cause de maladie mentale
Le chaos appliqué à l’éducation
La communauté au secours de la réussite scolaire
Vous pouvez suivre les commentaires en réponse à ce billet avec le RSS 2.0 Vous pouvez laisser une réponse, ou trackback.
Excellent billet, M. Guité!
Honnêtement, je ne pense pas que ce soit le mécanisme (les commissions scolaires)qui soulève vraiment des vagues comme ceux qui les gèrent: commissaires, dg et autres.
Disons que les médias ont fait les choux gras de certains comportements inappropriés. les dirigenats auraient dû s’autodiscipliner, mais ils ont préféré fermer les yeux et faire du dommage control. Aujourd’hui, la situation commence à leur échapper et ce n’est pas le pétulent André caron qui semble à même de bien saisir la situation.
Abolir les CS, mais pour les remplacer par quoi?
Excellent billet qui fait un tour pas mla complet de la situation ! Et qui souligne la nécessité d’une RÉFORME de la structure ! Verra-t-on cette réforme avant notre retraite ? Pour ma part, c’est dans plus de 20 ans, je peux peut-être espérer un tantinet…
Bravo M. Guité,
Superbe retour « historique » sur la courte histoire des commissions scolaires.
Le seul questionnement qui me vient: doit-on « obligatoirement » les remplacer? On semble vouloir faire des changements mais ces changements se traduisent à nouveau par une nouvelle structure, est-ce vraiment nécessaire?
Personnellement, je crois que de plus en plus les milieux ont les ressources afin de s’assurer du bon fonctionnement de ses ressources scolaires, mais cela ne fait pas encore l’unanimité…
Dire que dans certaines écoles ont fait de la vente de chocolat pour pouvoir acheter des livres décents pour la bibliothèque de l’école…est-ce cela l’efficacité et l’efficience des commissions scolaires?
Bonne réflexion!
D’un point de vue citoyen, une formule qui amènerait le gouvernement du Québec à confier une partie de la gestion des écoles aux municipalités pourrait favoriser le retour à une dynamique locale plus communautaire (intergénérationnelle et… transversale!) en offrant la possibilité d’ouvrir (au sens propre) l’école et ses installations aux activités éducatives, culturelles, technologiques et sportives organisées pour toute la collectivité. L’appellation ministère de l’Éducation, des Loisirs et des Sports prendrait alors tout son sens… (Utopie d’un lendemain d’élection!)
À entendre parler la FCSQ, leurs services sont indispensables. Et pourtant, les enseignants n’en ont rien à cirer. Différend hallucinant, n’est-ce pas? Dans la majorité des cas, les enseignants sont aussi déconnectés des commissions scolaires que les paysans l’étaient du château féodal. Ah oui! j’oubliais… ce sont les CS qui signent les chèques de paye! Gare à moi.
Dans certaines écoles, des professeurs sont même déconnectés de la direction. Alors, vous pensez bien que la CS… peuh!
« il ne s’agit pas de débattre de l’abolition ou non des commissions scolaires, mais plutôt de la pertinence des solutions de rechange. »
Cette phrase résume bien le débat. On remplace par quoi? Par mieux ou par pire?
Je me ferai une opinion quand je saurai ce qu’on propose pour remplacer. Dire qu’on va décentraliser vers les écoles, est une fausse réponse. On sait bien qu’il faudra plus que cela. On peut bien décentraliser vers la petite école de village mais y aura-t-on gagné au change?
Dans tout ce débat, il faut réfléchir avant de proposer LA solution. C’est là ou l’on constate que la solution adéquiste pêche par sa trop grande simplicité.
Ainsi, dans certains cas, envoyer des employés au secteur municipal risque de coûter plus cher puisque les conventions collectives y sont plus avantageuses. Ça m’étonnerait que les employés des villes accepteraient qu’on harmonise leurs conditions de travail à la baisse comme on l’a fait dans le cas des fusions de certaines CS.
Non, le gros problème avce les CS, ce sont les dirigeants et les commissaires qui ont manqué de discernement quant à leur dépenses personnelles. D’ou la réaction du public et des électeurs… En plus, le PLQ et le président de la Fédération des CS du Québec s’entendent comme larrons en foire, alors il n’y a rien pour amener un peu de remise en question des CS du côté gouvernemental.
Si l’on parle des CS en elles-mêmes, la seule chose qu’on puisse leur reprocher vraiment, à part le faste de leurs dirigeants, c’est d’avoir coupé des postes de conseillers pédagogiques lors des fusions. Mais n’était-ce pas là ce qu’on voulait: fusionner pour couper des emplois? C’est juste qu’on a coupé dans les services aux enseignants et qu’on a aménagé quelques tablettes dorées pour des hauts fonctionnaires et des dirigeants. Rien de très cohérent…
On ne réussira jamais à faire l’unanimité sur cette question. De toute façon, c’est préférable ainsi, car les solutions varieront forcément en fonction du milieu.
Ce qui m’effraie le plus, personnellement, c’est l’absence de changement. J’ai le profond sentiment que le Québec est en train de s’enliser dans un marasme structurel, par peur du risque. Or, nous vivons à une époque où le changement, ou plutôt l’adaptabilité, est une question de survie. Il ne faudrait pas que le Québec se retrouve, comme la France, pétrifié par sa bureaucratie.