Le sentiment d'appartenance à l'école et les TIC


LandseerAttachment.jpgLe silence est un refus d’appartenir. (Camille Laurens)

Il y a belle lurette que je n’ai entendu parler de sentiment d’appartenance à l’école. Serait-ce que le sujet est désuet, ou que le secondaire ait abandonné tout espoir d’intéresser des adolescents à l’école? Pourtant, la littérature n’a pas jeté la serviette. J’ai retrouvé une tapée d’allusions au sense of belonging, notamment dans le rapport danois Explaining Student Performance (PDF) issu de PISA, TIMSS et PIRLS. Au Québec, Martha Kaufeldt en fait mention dans un article de la revue Virage (PDF) intitulé L’enseignement et le fonctionnement du cerveau; le Conseil supérieur de l’éducation aborde également le sujet dans un avis pour une meilleure réussite scolaire, de même que Réginald Grégoire sur le thème des communautés d’apprentissage.

Le sentiment d’appartenance existe chez certains élèves, certes, mais je crois qu’on peut l’étendre à une majorité. Après tout, selon Glasser, l’appartenance constitue l’un des cinq besoins fondamentaux, (Roberto Gauvin : Créer un milieu propice à l’apprentissage). Il n’y a qu’à voir l’attrait naturel pour les réseaux sociaux et le drame du rejet pour s’en convaincre. Le rapport sur l’école communautaire remis au MELS ne manque d’ailleurs pas de mettre en évidence le sentiment d’appartenance dans un contexte plus large.

L’appartenance est une relation affective qui repose en grande partie sur des affinités. Or, les jeunes ne s’identifient plus beaucoup aux écoles vieillissantes, à des contenus souvent dénués de sens, à des pratiques qui, contraires aux intentions du renouveau pédagogique, sèchent l’interaction, et à des outils désuets. En apprivoisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication sur une base personnelle (sinon pour les enseignants, du moins pour les élèves), l’école amortirait simultanément tous ces irritants. Les élèves ont besoin de croire en l’utilité des choses, l’un des facteurs de la motivation scolaire. Le parfum de l’apprentissage, c’est la modernité. Malheureusement, les élèves éprouvent pour l’école tout le respect qu’ils portent à un vieux livre.

Le Centre d’apprentissage du Haut-Madawaska constitue un merveilleux exemple de contribution des nouvelles technologies au sentiment d’appartenance à l’école. En visitant l’endroit, cela saute aux yeux. Pour un aperçu à distance, il faut voir la tapée d’exemples que son directeur, Roberto Gauvin, a rassemblés pour une conférence au Kenya (Cyberportfolio de Roberto Gauvin : Habari Nairobi). Il est impensable qu’une école élémentaire puisse arriver à tant de résultats sans un attachement réel de la part des élèves.

Le sentiment d’appartenance ne s’enseigne pas, il faut le cultiver. Cela nécessite une écologie communautaire de l’apprentissage, comme au C@HM. Cette culture, naturellement, doit être nourrie et irriguée par un flot constant d’engagement, auquel les nouvelles technologies servent d’infrastructure. Dave Cormier a raison d’affirmer qu’il faut tendre à une dynamique simple et naturelle :

Successful ecologies either have to be so simple that they are transparent, or have a training system that is useful or transparent.

La présence des nouvelles technologies ne suffit pas à créer un milieu d’apprentissage dynamique. Leurs usages sont nombreux et les plus simples, c’est-à-dire les succédanés numériques du papier, ne sont pas ceux qui profitent le plus aux élèves. Le changement de paradigme en éducation s’applique également aux nouvelles technologies, comme l’observe Sonia Lefebvre de l’UQTR (L’Infobourg : De l’enseignant à l’élève : y a-t-il un changement de paradigme avec les TIC?).

L’attrait d’une communauté, si nécessaire au sentiment d’appartenance, sera renforcé par la cohésion de ses membres. L’isolement et le quant-à-soi professionnels qui caractérisent les enseignants ne font rien pour donner l’impression d’une famille. Le mur qui les éloigne de la direction n’ajoute qu’à l’éclatement. Et que dire du clivage entre jeunes et vieux enseignants, auquel Jean-Pierre Proulx faisait allusion en abordant la question du soutien professionnel. Les élèves ne sont pas dupes de ces différents. En tant qu’instruments de maillage social, les nouvelles technologies peuvent certainement contribuer à rapiécer le sentiment d’unité.

Enfin, on appartient à une communauté quand on la sent authentique et collant à son identité. Ce n’est pas toujours le cas des écoles soumises aux contraintes d’un pouvoir qui leur échappe. Elles gagneraient à s’affranchir de ce que William Spady appelle les fardeaux bureaucratique, industriel et féodal (Harold Jarche : What is weighing down learning?). Par conséquent, nous sommes encore loin de l’école communautaire.

(Image thématique : Attachment, par Sir Edwin Landseer)


Par ricochet :

La communauté au secours de la réussite scolaire

Des écoles communautaires pour le Québec?

Sortir les élèves de la classe: exploiter l’environnement

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4 réponses

  • J’ai lu votre billet avec intérêt. Et vous avez tout à fait raison en ce qui concerne le défi que l’école a à relever pour rejoindre les jeunes dans leur environnement et les intéresser à apprendre, découvrir et manipualer. Certes, les gens associent les TI, particulièrement Internet, et qu’aux jeux vidéo, musique, chat, youtube et cie. Pourtant il y a des tas de choses qui peuvent être faites sans ou avec ces items.

    L’équipe de Québecjeunes.com anime Les Ateliers Clique sur toi! à l’école La Lancée situé dans le Centre jeunesse de Montréal. Hé bien! visitez le webzine et vous découvrirez une explosion de talents. Il s’agit de jeunes âgés de 16-17 ans, ayant un Secondaire 1 ou moins, aux prises avec des problèmes de comportements jugés graves. Donc parmi les plus handicapés sur le plan scolaire.

    Or, ces jeunes se sont investis à fond dans l’expérience réalisant des documents d’information dont la qualité est comparable à celle des professionnels oeuvrant pour les grands portails du web.

    Tout en s’amusant, on retrouve dans toutes nos activités les mêmes étapes que pour la réalisation d’un travail scolaire ou professionnel : recherche, rédaction, présentation, évaluation. Pour nous :

    - La webmestrerie, le webjournalisme et la webédition sont des activités qui favorisent le développement personnel, social et professionnel des jeunes: sensibilisation aux réalités quotidiennes, ouverture sur la vie, la société et les diverses cultures, découverte de l’environnement local, de l’information nationale et de l’actualité internationale.

    - Ce sont aussi des moyens de structuration intellectuelle : lire et étudier des articles, découvrir et confronter des points de vue différents, découvrir et comprendre ce qu’est une information (notion d’objectivité) et une opinion (notion de subjectivité).

    - Ce sont des moyens formateurs particulièrement riches dans le domaine de la lecture (découverte de journaux, de leur contenu et de leur forme) et de l’expression écrite (écriture de presse, mise en page, illustrations). Ils s’exercent à la construction de plusieurs projets (petits et grands) avec répartition des tâches, élaboration de méthodes de travail et gestion du temps.

    - Publier un webzine donne un statut aux personnes participantes et met en valeur leur travail, car leur production sera lue par des milliers de jeunes et d’adultes d’ici et d’ailleurs (moyenne de visites : 1 000 par jour). Imaginez leur fierté lorsqu’ils en parlent avec leurs parents ou leurs amis et que ces derniers verront les documents qu’ils ont mis en page.

    - En répétant ces petits succès, en revivant l’appréciation de l’équipe puis la reconnaissance de leur milieu régulièrement, ils nourrissent leur estime de soi.

    - Avec Clique sur toi !, ces jeunes sont élevés au statut de créateurs de leur média de prédilection. Considérés souvent comme étant en difficultés ou défavorisés, selon le milieu, les personnes participantes produisent quand même des documents d’une qualité comparable à celle que l’on trouve sur des grands sites.

    - Les ateliers sont en quelque sorte un mini stage professionnel qui aide les jeunes à se familiariser aux rouages du marché du travail, à relever des défis dans un contexte de production, à faire partie d’un groupe d’appartenance positif, à vivre des réussites individuelles et collectives et d’être valorisés par leurs pairs et des adultes significatifs.

    La raison de ce succès revient évidemment à Internet, le média de leur génération. Notre seul mérite est d’avoir créé des projets qui capitalisent sur cet intérêt. Nous misons sur leurs talents d’internautes et les aidons à transposer les applications de ces talents dans les autres domaines de leur vie : personnelle, académique, sociale et professionnelle. Les jeunes participants retrouvent ainsi le goût de réussir en vivant une passion, en goûtant au succès et à la reconnaissance et finissent par croire aux «Je suis capable», «Je peux le faire» et «J’en vaut la peine».

    Tout cela à cause des TI.
    Serge Daigneault
    http://www.quebecjeunes.com

  • Bonjour ta question des technologies permettant de construire un sentiment d’appartenance m’a fait rebondir sur mes réflexions relativement anciennes concernant à la question des technologies à l’école (le texte date de 6 à 8 ans en arrière… et il ne concerne pas que la question des technologies actuelles). J’écrivais alors :
    En conclusion, on peut relever que l’institution scolaire est fort réceptive et friande des nouvelles technologies. Dans quelle mesure, cette attitude de “happy few“ vise-t-elle à se défausser des critiques portant sur son immobilisme ? Dans quelle mesure également cette attitude dénote-t-elle de son intégration dans le marché capitaliste et dans les politiques industrielles ? Dans quelle mesure, du côté des enseignants, les nouvelles technologies permettent-elles de rendre encore supportable la pédagogie frontale plutôt que l’évolution pédagogique ?
    2007 : Fétichisme des technologies à l’école au même titre que le fétichisme de la marchandise cher au marxistes ?

    L’ensemble du texte Réflexions sur les Médias et technologies à l’école

    Parallèlement, mes sentiments à la suite de visites récentes dans des établissements secondaires secondaires résonnent en un constat tout à fait comparable à tes propos suivants : ”Or, les jeunes ne s’identifient plus beaucoup aux écoles vieillissantes, à des contenus souvent dénués de sens, à des pratiques qui,[…], sèchent l’interaction, et à des outils désuets. ”
    D’une manière ou d’une autre, je ne vois pas comment les choses pourront durer encore longtemps en l’état ou alors dans le cadre d’une société entièrement castratrice à l’égard de sa jeunesse.
    Cette dernière perspective d’une société castratrice n’est pas impossible non plus en suivant certaines tendances politiques et sociétales. Ceci dans un contexte où de plus en plus ce sont les électeurs de plus de soixante ans qui font les élections et les gouvernements.
    La poursuite d’un projet émancipateur de l’école n’en est que plus nécessaire et urgent.

  • Formidable, Serge! Je ne crois pas que l’on puisse faire un plaidoyer plus vibrant de l’utilisation des nouvelles technologies pour habiliter des jeunes souvent désemparés de la vie. Un coup d’oeil aux Ateliers Clique sur toi devrait suffire à convaincre les plus sceptiques non seulement de l’apprentissage qui s’y fait, mais de la fierté qu’en retire les auteurs. Je suis persuadé que c’est un salut pour plusieurs. Je tâcherai de braquer les réflecteurs sur le webzine dans un prochain billet.

    « Une société castratrice », j’adore l’expression de Lyonel. Je retiens également la conclusion de ses réflexions sur l’ordinateur à l’école :

    Il est difficile de prédire si l’ordinateur permettra véritablement de modifier les pratiques pédagogiques et d’innover à ce niveau. Sur ce plan-là, il serait préalablement nécessaire que les acteurs économiques et sociaux modifient leurs conceptions sur le savoir et la manière dont on apprend.

  • Merci pour le compliment François. Pour compléter ce témoignage, voici celui que les jeunes du projet ont donné en entrevue à Ados-Radio, le 30 0ctobre dernier.

    Lien http://www.quebecjeunes.com/bullesModule/itemviewContainer.php?ID=336

    Et si vous avez aimé, n’hésitez pas à voter pour la niouze. Les jeunes vont l’apprécier.

    Merci.



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