La dictée en faute
Les professeurs de français devraient être des professeurs de mathématiques: ils passent leur temps à compter les fautes des élèves. (Ernest Abbé)
Voilà que la dictée est le nouveau dada de la ministre de l’Éducation. À ce train, on va retourner au grec et au latin. Dans ce contexte où souffle un vent de nostalgie, la présidente de l’Association québécoise des professeurs de français (AQPF), Arlette Pilote, a eu le courage de ses responsabilités en publiant une lettre d’opinion dans laquelle elle fait le point sur la valeur éducative de la dictée (Le Soleil : L’ouragan appelé… Dictée!). Elle rappelle que la dictée est d’abord et avant tout un moyen de diagnostic plutôt que d’apprentissage.
Mme Pilote souligne la complexité de l’écriture, qui va bien au-delà de l’orthographe et des terminaisons. De plus, elle dissipe certains mythes relativement à la qualité de la langue au Québec. Enfin, elle soulève plusieurs questions pertinentes pour une amélioration de l’enseignement et des apprentissages.
Parmi ce questionnement, toutefois, Mme Pilote décoche une flèche à l’endroit des nouvelles technologies et des correcteurs automatiques, demandant « pourquoi donc se forcer à apprendre les règles de grammaire alors que d’un simple clic, on va régler tout ça? » Moi qui utilise un correcteur automatique tous les jours, tant en français qu’en anglais, je n’en connais aucun qui règle toutes les fautes d’un seul clic. Au contraire, ils s’avèrent indispensables dans le développement continu de mon écriture. À chaque irrégularité que détecte Antidote, je dois analyser la faute et juger de la pertinence de la correction. Cet exercice de réflexion soutenu et répété contribue largement à ma connaissance de la langue.
L’excellent billet d’Amine Tehami me revient à l’esprit. Amine conclut son billet par une citation de Gabriel Garcia Marquez qui avoue candidement son incompétence orthographique. Un lecteur n’a pas manqué de souligner le travail de l’éditeur-réviseur. Or, les nouvelles technologies permettent justement d’avoir sous la main ses propres outils d’édition. Et à tout prendre, le monde a plus besoin de Garcia Marquezs que d’éditeurs.
Sitôt arrivé à l’école, je me suis empressé de souligner la position sur la dictée aux professeurs de français. La réaction fut immédiate : « Est-elle pour ou contre? » Après avoir expliqué que la réponse était nuancée, quoique généralement défavorable, j’ai reçu, en guise de remerciement, un « Ça ne fait rien… je continue à en donner. » Ce n’est pas tant l’entêtement qui m’a désarçonné, comme l’indifférence pour les raisons.
Les élèves, à qui j’ai demandé ce qu’ils pensent de la dictée, ont promptement répondu d’une seule voix : « On n’aime pas ça! »
Enfin, une jeune professeure de mathématiques avouait être championne de dictée à l’école parce que sa mère l’obligeait au même exercice à la maison. Aujourd’hui, par contre, elle multiplie les fautes, ayant perdu l’habitude. Comme quoi les connaissances ne durent généralement que le temps de leur usage. D’où l’importance de la méthode et des outils, voire d’inculquer le goût d’écrire, comme dans un blogue libre. Tout le monde ne peut pas être professeur de français.
(Image thématique : Secretary Takes Dictation from Her Boss in a Sumptuous Office, par Pierre Brissaud)
Par ricochet :
BonPatron : un correcteur en ligne
Mes 10 outils les plus utiles
TLMEP: de la poutine intellectuelle et une erreur dans la dictée (Le professeur masqué)
Vous pouvez suivre les commentaires en réponse à ce billet avec le RSS 2.0 Vous pouvez laisser une réponse, ou trackback.
Jusqu’à hier soir, vers 22h20, j’étais assez neutre sur le question de la dictée et sur sa valeur pédagogique. Mais c’était avant que je lise le tout dernier Daniel Pennac: « Chagrin d’école ». Ouf… Allez-y voir, je n’en écris pas plus !!!
Juste pour vous allumer, il dédie son ouvrage aux « sauveurs d’élèves ».
En fait, les professeurs de français devraient être des profs de maths parce qu’ils mesurent trois compétences, que chacune vaut un pourcentage de la note finale, qu’il y a la note école et la note pondérée du MELS et alouette! Et je ne parle pas des tables de conversion…
J’enseigne le français depuis 14 ans. Compter les fautes n’est qu’une partie de mon travail auprès de mes élèves. J’apprécie le contenu de leurs textes, observe leur structure de pensée, etc. Que ce soit en cote ou en note, je porte un jugement parce que je contrôle les paramètres de mon évaluation.
De plus, le français est plus que les fautes, mais ce sont les fautes aussi. L’acte d’écrire comprend la communication et le code grammatical. Quand Mme Pilote «souligne la complexité de l’écriture, qui va bien au-delà de l’orthographe et des terminaisons», ele a raison, mais je crains ce discours parce qu’il risque de nous ramener à l’époque réductrice où l’important était de communiquer, nonobstant la qualité de la langue. On a alors formé de magnifiques communicateurs… incapables d’écrire un texte sans qu’il soit truffé d’erreurs.
En passant, la plupart des erreurs de nos élèves aujourd’hui ne sont pas reliées à d’obscures exceptions, mais à des éléments fondamentaux de la langue (accord des verbes simples, accords des noms et des adjectifs). De plus, on oublie constamment que ces élèves ont droit à une grammaire et un dictionnaire lorsqu’ils rédigent. Le fait qu’ils commettent autant d’erreurs alors qu’ils ont ces outils sous la main est, quant à moi, très révélateur.
La complexité de la langue française est une réalité incontournable, mais elle est un alibi confortable quand vient le temps d’aborder la qualité du français de nos jeunes.
Et les éternelles comparaisons avec le passé sont stériles quand on constate aujourd’hui tous les efforts que nous déployons et toutes les ressources mises à la disposition de nos élèves. Cessons de nous comparer avec les classes d’Émilie Bordeleau, s’il vous plait, et vivons dans le présent.
Si Mme Pilote soulève d’excellents questionnements quant à l’enseignement du français, elle oublie cependant toute la question de l’évaluation. Depuis que j’enseigne, nos élèves n’ont malheureusement pas besoin de savoir bien maîtriser le code grammatical et l’orthographe pour réussir une production écrite.
Tout le débat entourant la dictée est symbolique. Il vise à démontrer que certaines façons de faire dites traditionnelles peuvent aussi permettre des apprentissages et ne doivent pas être jetées aux orties comme certaines écoles l’ont fait.
Je respecte beaucoup l’opinion de Mme Pilote mais, selon moi, la dictée est plus qu’un outil diagnostic. Elle peut servir de modèle d’écrire, de pratique de lecture et d’observation de la structure d’un texte, d’identification et d’exercisation de règles propres à certains types de textes, pour ne nommer que quelques autres aspects de cette dernière.
Je suis tout sauf un enseignant prévisible. J’ai introduit la dictée dans mes séquences de cours parce qu’elle pouvait y jouer un rôle utile. je l’utilse, non pas de façon désincarnée, mais de façon signifiante.
Quiant à un éventuel retour au grec ou au latin, il y a bien l’étymologie qui permet à certains élèves de mieux écrire et de mieux comprendre le sens de certains mots.
Je continue à penser que les long textes où on utilise le dictionnaire sont meilleurs…
A luc :
J’aime beaucoup cette attitute responsable et autonome ou l’outil n’est pas une fin en soi mais une aide pertinente qui s’intègre dans un projet pédagogique…je me garderais bien d’émettre une opinion tranchée sur la question de la dictée…je tenais juste à souligner ce qui me semblait relever d’un équilibre dans l’approche !
« Je suis tout sauf un enseignant prévisible. J’ai introduit la dictée dans mes séquences de cours parce qu’elle pouvait y jouer un rôle utile. je l’utilse, non pas de façon désincarnée, mais de façon signifiante. »
Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain… il n’est indiqué nulle part qu’il fallait bannir les dictées dans le nouveau Programme de formation québécoise.
La dictée est souvent associée à de vieilles pratiques désuètes, des pratiques que nous avons vécues, voire subies dans notre enfance. Il est vrai que si elle est utilisée tout comme il y a 30 ans, soit pour classer les enfants en ordre, nommer les élèves qui ont mieux réussi à ceux qui ont le plus d’erreurs, cela n’aide pas vraiment à l’apprentissage, surtout pas à l’estime de soi.
La dictée a tout de même ses bienfaits. En fait, ce n’est pas tant le résultat qui compte, mais bien les erreurs et l’analyse que nous pouvons en faire. Cet outil permet de faire un bilan suite à un apprentissage. Il permet de voir les difficultés chez un enfant, soit s’il apprend globalement les mots ou s’il utilise des repères phonologiques. La dictée m’a forcée à remodeler mes pratiques d’enseignement des mots de vocabulaire. Je travaille actuellement à implanter de nouvelles pratiques dans la classe pour apprendre autrement les mots à écrire. Je’ parlerai plus longuement dans un prochain message.
Comme mon nom l’indique, François, j’ai la possibilité de jeter sur ce débat un regard extérieur. Depuis mon Afrique du Nord natale, il ne viendrait jamais à l’esprit de considérer la langue comme une dose d’huile de foie de morue–une épreuve désagréable sur le coup, mais bénéfique plus tard. Ni depuis l’Europe du Nord, apparemment. Dans mes recherches récentes, je suis tombé sur cette lettre qui m’a ému:
Que veut-on, en dernière analyse? Un outil de communication capable de rivaliser avec la langue de Fred Pellerin, ou une épreuve pour juger de la fibre morale de nos enfants?
François! Dommage que tu ne m’ai pas posé la question car moi j’adore les dictées… Le MELS fera bien ce qu’il veut, je sais que les profs vont garder leurs bonnes vieilles habitudes d’avant Réforme…
des dictées sur http://www.ladictee.fr
site découvert depuis peu
même si c’est pas votre dada !
cordialement