L'intelligence ne suffit pas aux enfants pauvres
Pauvreté n’est pas vice. Parbleu! Un vice est agréable.
(Paul Léautaud)
Il semble qu’une intelligence supérieure à la naissance ne favorise guère les enfants pauvres très longtemps. Une étude du Sutton Trust (Royaume-Uni) laisse entendre qu’entre trois et cinq ans les enfants des milieux riches rattrapent les enfants pauvres plus doués dans les tests de développement, les dépassant dès l’âge de sept ans (BBC : Bright poor children slip back’). On devine malheureusement ce qui advient des enfants pauvres dotés d’une intelligence moyenne. L’étude fait à nouveau ressortir le rôle cardinal de l’environnement, particulièrement de la famille, dans le développement cognitif.
La situation n’est pas nécessairement la même au Canada, et particulièrement au Québec qui s’est doté d’un vaste réseau de garderies. Néanmoins, il faut réagir quand un organisme comme les Nations Unies condamne le pays pour sa nonchalance à l’endroit des enfants pauvres (Canadian Press : Canada’s implementation of UN child-rights convention spotty: new report). On ne peut pas abandonner les enfants en perte de développement à leur sort. Il y a fort à parier que si c’était le corps qui était affecté, la médecine ferait une levée de boucliers. Les facultés mentales ne sont-elles pas aussi importantes que le corps? D’autant plus que l’éducation sauve la médecine de bien des maux.
Une société riche qui reste insensible aux conséquences des inégalités sociales qui pèsent sur les enfants, tel un mauvais sort, ne se rend-elle pas coupable de négligence criminelle? Il y a fort à parier que la même indifférence viendra nous hanter dans la vieillesse, alors que nous aurons besoin du soutien des enfants devenus grands.
(Image thématique : Poverty, par Pablo Picasso)
Par ricochet :
Des écoles publiques à deux vitesses
L’intégration économique pour accroître la réussite scolaire
Les ordinateurs à la rescousse de la pauvreté
La pauvreté serait le principal facteur d’échec scolaire
La pauvreté et le retard scolaire des adolescents
Étude : l’inné vs l’acquis dans la préparation à l’école
La famille, la plus petite des écoles
Comportements parentaux et influences sur les enfants
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Wow! Très bon texte d’opinion! Je relève ici-même un débat: l’éducation au Quéebec est suposément gratuite. Mais l’est-elle vraiment? Personnellement, mes parents ont payé 200$ pour chacun de leur 3 enfants…
Mon cher François, je suis touché chaque fois que vous ramenez ce sujet de la défavorisation. On en parle peu chez les blogueurs. Il en est quelquefois question chez vous et à l’occasion au Dernier restaurant.Je veux partager avec vous ce texte que j’ai publié dans un bulletin que nous distribuons à nos 3000 employés et à nos quelques 200 partenaires externes…J’apprécierais votre commentaire, lequel je tiens en haute estime.
Ça va comme suit:
« J’ai eu cette semaine entre les mains, une courte étude sur le décrochage scolaire à St-Jérôme. L’ancien St-Jérôme, celui d’avant la fusion, et le nouveau, celui d’après. Ce qui ressort de l’étude, c’est qu’on décroche beaucoup plus au centre-ville qu’en périphérie. C’est à Bellefeuille qu’on persévère le plus dans ses études. Mais, le taux de décrochage global y est tout de même de 28%. On parle de 20% chez les filles et de 37% chez les garçons. C’est beaucoup trop. En fait, un seul élève qui décroche, c’est déjà un élève de trop. Parce que derrière chaque chiffre, il y a une trajectoire de vie. En comparaison, au centre-ville, dans l’ancien Saint-Jérôme, on a 48% de décrocheurs ! Trente-huit pourcent des filles ne terminent pas leurs études. Côté garçons, c’est dramatique : 59% abandonnent sans obtenir de diplôme ou de qualification. C’est presque six gars sur dix.
Sans approfondir, l’étude relève aussi que le décrochage est en moyenne plus élevé du côté de la MRC d’Argenteuil qu’il ne l’est dans la MRC Rivière-du-Nord et dans la partie de la MRC de Mirabel qui fait partie de notre commission scolaire.
Dans ce labyrinthe de chiffres, il n’y a qu’ un fil conducteur : la pauvreté. Elle se manifeste et se décline de bien des façons, selon toutes sortes d’indicateurs. Mais partout où il y a plus de pauvreté qu’ailleurs, il y a plus de décrochage, moins de persévérance, moins de gens qui savent lire ou simplement tirer du sens d’un texte ordinaire. Les trois, pauvreté, décrochage et littéracie, sont si intimement liés que la lutte à l’un ou l’autre de ces problèmes pourrait s’inscrire dans un plan global pour combattre les deux autres.
Ce sont trois réalités tellement associées l’une à l’autre. Quand on est pauvre, on sait moins lire et moins on sait lire, plus on est pauvre, on est plus à risque de décrocher et quand on décroche, on est plus à risque d’être pauvre. Et qu’on ne se trompe pas, la pauvreté dont je parle ne concerne pas seulement une infime minorité de gens très distincts du gros de la population, mais bien une minorité fort importante d’individus qui, à bien des égards, ressemblent aux autres. Les pauvres, ce ne sont pas «eux, ces gens-là », les pauvres ce sont des membres de notre parenté, certains de nos voisins, de nos anciens camarades de classe ou de travail.
Chez nous, les conséquences de la pauvreté sont plus évidentes dans certaines écoles que dans d’autres et nous avons, au fil des ans, tenté d’ajuster la répartition de certaines ressources pour tenir compte de cette réalité. Nous avons par exemple choisi d’allouer une partie des postes d’orthopédagogues dans les écoles primaires en tenant compte des indices de défavorisation. Au secondaire, depuis cette année, un peu plus de dix postes d’enseignants sont aussi répartis en tenant compte de cette dimension, même chose pour les postes d’enseignants-ressources et certaines allocations financières. Et c’est sans compter de nombreux projets ou programmes dont l’objectif premier est de tenter de compenser les effets de la défavorisation sur l’un ou l’autre des aspects de la réussite éducative : Agir Autrement, Famille-École-Communauté (FECRE), Agir Tôt, maternelles 4 ans, Éveil à la lecture et l’écriture (ÉLÉ), etc.
Nous concevons tous que malgré toute la bonne volonté que traduisent ces mesures à la pièce, il faudra faire plus. Il faudra se donner une politique et un plan d’action pour contrer les effets de la défavorisation dans nos écoles afin de consolider et d’orienter l’ensemble de nos efforts. Il est souhaitable que cette politique et ce plan d’action prennent appui et en même temps viennent enrichir les efforts de lutte à la pauvreté de l’ensemble de nos communautés. Ces enfants dans nos écoles, il faut aussi les voir comme des professionnels, des techniciens , des gens de métier, tous temporairement constitués en étudiants et qui se préparent à devenir les artisans d’une communauté meilleure. Le Conseil canadien de développement social a bien établi l’effet du niveau socioéconomique sur le développement des enfants : les revenus faibles et précaires empêchent les enfants de devenir les adultes dont notre société a besoin, dotés d ‘une bonne santé, de la capacité d ‘apprendre, de gagner leur vie et d ‘établir de bonnes relations avec les autres.
Certes, le rôle de l’école est de les préparer, mais ce n’est pas juste à l’école de le faire. En ce sens, la lutte à la pauvreté, ce n’est pas juste le travail de l’école. L’entrée dans la pauvreté aussi bien que la sortie dépendent de la dynamique entrecroisée de tous les aspects de la vie des individus et des familles: éducation, santé, emploi, situation conjugale et parentale, logement, vie de quartier et communautaire, name it…
Par ailleurs, dans ce genre de travail, qui met à contribution tous les acteurs et les parties prenantes de notre collectivité, il faut que chacun fasse du mieux qu’il le peut ce qu’il sait le mieux faire. Or, ce que nous, des écoles, pouvons faire de mieux pour briser le cycle de la défavorisation, et augmenter la persévérance dans les études, c’est de se donner les meilleurs outils possibles pour apprendre à lire aux jeunes, pour leur donner le goût de lire. Et ça débute au primaire. Voilà pourquoi cet élément devrait nécessairement, à mon sens, se trouver au cur de toute politique qui prétendrait contrer les effets de la défavorisation, rétablir l’égalité des chances et combattre l’abandon scolaire et l’exclusion sociale.
Bien sûr, on dira qu’au Québec, pour ce qui concerne la lecture, on n’est pas pire qu’ailleurs. Des études ont en effet démontré que le niveau de littéracie chez les 16-25 ans au Canada dépasse celui des États-Unis, sans toutefois rejoindre celui de plusieurs pays européens. Ce qui ressort chez nous par contre, ce sont les écarts en fonction du niveau socioéconomique. Pour prendre un raccourci, je dirais que nos riches lisent quelquefois mieux que les riches des pays qui nous ressemblent, mais que nos pauvres lisent moins bien que les leurs.
Il ne s’agit pas de se lancer dans des débats inutiles sur les méthodes d’enseignement de la lecture. Ce débat, dans la plupart des pays occidentaux, est clos de toute façon. On sait ce qui fonctionne, à quel moment du cheminement scolaire, pour quels enfants. Il s’agit de prendre ses responsabilités pour éviter à tout prix que ne se creusent les écarts en bons et moins bons lecteurs, et ce, dès le début du primaire. Tous les systèmes éducatifs du monde, que l’entrée à l’école primaire s’y fasse à cinq ou à six ans, ont comme attente que les enfants sachent lire à la fin de leur première année d’école. Au Lac St-Jean, pour mesurer les impacts des moyens mis en place pour mieux apprendre à lire aux enfants, on tient compte du pourcentage d’élèves fonctionnels en lecture à la fin de la première année.
Les efforts que nous déploierons devront donc être mesurés, évalués régulièrement. En ce sens, il faudra se donner les moyens de mesurer et d’évaluer la performance de nos élèves en lecture, et du coup, la qualité et l’impact des moyens que nous utilisons, particulièrement en milieu défavorisé et avec des clientèles plus à risque.
Les liens entre la littéracie, la pauvreté, la santé et la qualité de vie sont tous très bien documentés. Chez nous récemment, les liens entre les problèmes en lecture, le retard scolaire et le décrochage ont été démontrés. Nous savons aussi que c’est dans les milieux défavorisés que le problème est le plus aigüe. Voilà donc les défis auxquels nous sommes confrontés. Voilà donc la contribution que notre région, bien légitimement, est en droit d’attendre de ses écoles : contribuer, en faisant ce qu’elle sait faire le mieux, au développement social et à l’essor du potentiel des individus, et leur insertion dans une communauté active à laquelle ils pourront un jour eux aussi contribuer pleinement.
Nous ferons notre part en apprenant à nos jeunes à lire, du mieux qu’on peut, avec les meilleurs outils disponibles, les approches les plus efficaces, pour que ces mêmes jeunes soient ensuite capable de lire pour apprendre, pour découvrir le monde et réclamer leur part de l’héritage de tous ceux qui étaient là, avant eux. Ça commence par maîtriser l’alphabet, les sons, les syllabes, les mots. Ensuite, le langage écrit, et puis tous les autres langages : celui des sciences, des arts, de la technologie, celui du cur, des gestes et des émotions. »