Le retard technologique du Québec en éducation
Toute destinée est une suite d’accidents à retardement avec le coup de grâce au bout. (Henri Fauconnier)
L’heure n’est plus aux subtilités. On me pardonnera ma rage, mais on ne retape pas un édifice sur le point de s’écrouler en ornant les fenêtres de jardinières ou en ménageant les susceptibilités du propriétaire. Que les théoriciens débattent de pédagogie, cela serait sain s’il y avait une volonté de co-construction plutôt qu’une obstination idéologique. Aux assauts des éducateurs s’ajoutent le bras de fer paralysant de l’État et du syndicat, la balourdise du système, l’autocratie du ministère, les fantaisies d’une ministre, les solutions fossiles des politiciens, et l’accablement des enseignants. Le dernier clou dans le cercueil nous vient de l’excellent reportage de Silvia Galipeau sur le retard technologique des écoles québécoises (La Presse : Le cartable ou le portable à l’école?).
Ce passage m’a fait sursauter : « Près de la moitié des Québécois de 15 ans n’utilisent jamais d’ordinateur à des fins scolaires. C’est le pire score du Canada. Et de l’OCDE au grand complet. » Comment le Québec en est-il arrivé à sombrer au bas-fond des 30 pays de l’OCDE? Pendant que la plupart des pays riches cherchent à imiter ceux qui innovent dans l’utilisation des nouvelles technologies à des fins éducatives (eSchool News : U.S. educators seek new ideas abroad), le Québec est tellement empêtré dans un quelconque renouveau pédagogique qu’il en perd tous ses moyens. Un peu de pragmatisme et de ressources matérielles de la part de nos grands penseurs ferait beaucoup pour stimuler l’innovation parmi les troupes.
Les chiffres ne disent pas tout. Il y a plus inquiétant encore que les faibles taux d’ordinateurs dans les écoles ou d’utilisation des jeunes à des fins scolaires. Il faut aussi dénoncer la pédagogie archaïque que l’on fait dans nos écoles des nouvelles technologies qui, dans bien des cas, végète au stade Microsoft Office. Les temps du seul apprentissage technique sont longtemps révolus; nous sommes à l’ère des réseaux sociaux, de la collaboration et de l’apprentissage éthique des technologies. Et l’on continue de priver les enseignants d’un ordinateur qui permettrait à ceux qui le souhaitent de rester modernes. Mais qui diable au ministère de l’Éducation a jamais pensé implanter une réforme en négligeant aussi bêtement les moyens de cultiver le changement?
Ne sous-estimons pas les apprentissages que les jeunes font de leurs ordinateurs personnels. Mais il s’agit là d’un socioconstructivisme débridé. Considérant la puissance des outils, nous devons nous interroger sur les conséquences de ses apprentissages sans supervision. À cet égard, il faudra prendre le temps de se pencher sur l’excellente étude que rapporte Mario et que je découvre ce matin à la sauvette (Mario tout de go : Ils sont jeunes, ils ont grandi au contact d’Internet et… ils agissent en sous-doués).
L’isolement du Québec fait en sorte qu’il ne peut pas se permettre de manquer d’audace. Au constat de la mondialisation, nous avons plus que jamais besoin de leaders qui savent bâtir des projets d’avenir. Nous devons bien cela à nos enfants, à qui nous imposons notre supériorité.
La question du financement des nouvelles technologies en éducation est un faux problème, car il s’agit d’un investissement à long terme dont les retombées, comme tout ce qui touche à l’éducation, profitent à l’ensemble de la société. L’enrichissement collectif à venir, sans compter les économies dans les services sociaux, défrayera largement les dépenses actuelles. Le financement de l’éducation est pour les économistes d’abord, ensuite les administrateurs.
La même logique vaut pour le système de la santé. Le rapport Castonguay fait beaucoup jaser, avec raison (La Presse : 13 recommandations, 13 réponses). La meilleure façon de financer l’augmentation des coûts dans le secteur de la santé est de voir à l’augmentation de l’enrichissement collectif. Par conséquent, on fera davantage pour le financement à long terme des hôpitaux en investissant dans l’éducation des jeunes qu’en imposant une cotisation annuelle pour consulter un médecin.
Plutôt que de services sociaux, parlons de projets de société. Du coup, notre avenir repose en grande partie sur celui de nos enfants.
Mise à jour, 25 février 2008 | Martin Bérubé, qui s’y connaît en matière de formation éducationnelle sur l’utilisation des nouvelles technologies, publie à son tour une longue réflexion sur le sujet de ce billet (Fabulations réelles dans un monde virtuel : Changer de perspective pour changes les choses!). Martin, plus pragmatique que je ne le suis, pose l’excellente question à savoir ce que l’on doit maintenant faire. Ma réponse, essentiellement, reconnaît que notre action se situe hors du paradigme systémique, et que nous devons continuer ainsi, au risque d’être happé par la norme. Dès lors, les réseaux remplacent le système.
(Image thématique : Five Minutes Late and Two Bucks Short at the Cha Cha, par Rosson Crow)
Par ricochet :
L’intégration des TIC en 2007: piètre bilan
TIC : le Canada en perte de vitesse / motivation scolaire
Pourquoi les TIC dans les écoles [vidéo]
Rentabiliser les TIC / l’éducation à long terme
Notre retard des TIC en éducation
Les TIC : un tremplin à la formation post-secondaire
Les défis technologiques du 21e siècle
L’intégration des TIC au Québec (École et société)
Ma visite à l’APTICA… mai, c’est bien trop loin! (Mario tout de go)
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«Plutôt que de services sociaux, parlons de projets de société. Du coup, notre avenir repose en grande partie sur celui de nos enfants.»
Avec une vue dont la longueur n’excède JAMAIS 4 ans, comment veux-tu que ce genre de projet à moyen et long terme se fasse ? Il y a de ces instants où la lucidité fait mal (et je ne parle pas de Lucien Bouchard et cie!)…
Hier soir, j’ai préféré jouer à l’autruche et… être dans la lune
Froid et belles images garantis !
« l’accablement des enseignants »…
Pour donner le coup de barre technologique, il n’y a pourtant rien à espérer du politique (empétré dans ses stratégies électoralistes) ni du gouvernemental (engoncé dans ses habitudes rassurantes). Le souffle ne peut venir que de l’intérieur, des enseignants et des écoles elles-mêmes. Nos ‘Glorieux’ viennent de nous donner toute une leçon à ce chapitre en ne se laissant ni abattre ni battre mardi dernier malgré l’avance adverse de 5 buts : ils ne doivent cette victoire qu’à eux-mêmes…
Il faudrait peut-être commencer à songer à une autre approche en ce qui concerne l’enseignement des NT.
Par exemple: une approche centrée sur un cycle particulier du secondaire, avec enseignants qualifiés et motivés, budget ciblé.
Dans le moment, trop d’ordinateurs poussièreux traînent dans les classes.
Je suis d’accord avec vous, il faut sortir de l’impasse actuelle. Cela nécessitera à mon avis un mariage entre idéaux et pragmatisme.
Lecture complémentaire suggérée, qui indique la base du système finlandais qu’on vante tant ces temps-ci.
Sans une philosophie de base, une manière de penser claire qui donne l’importance à CHACUN au lieu de vouloir continuer de voir l’école comme une « machine à saucisses » (ou machine à diplômés), à voir aussi les TIC comme une belle « bébelle » bureautique (Office = bureau, non?) à faire de beaux petits PowerPoint, sans ce grand revirement de situation, donc, le système actuel d’éducation court à sa perte ou, comme le chien qui tourne en rond, court après sa queue…
Le temps de la révolution industrielle est révolu. Alors arrêtons de fabriquer de beaux petits bien-pensants en série !
J’aimerais vous féliciter, François, pour la justesse de vos propos, votre jugement et votre énergie à maintenir cet élan vers l’avenir de notre jeunesse. J’apprends beaucoup en vous lisant!
Mille mercis à Guy de ce compliment. Quand je reçois ce genre de commentaire, j’ai l’impression de ressentir la même fierté que l’élève aux propos approbateurs du maître. Du moins, si ma mémoire ne me fait pas trop défaut.
Sylvain et moi sommes non seulement à la même école, mais de la même école de pensée. Je crois que c’est l’aboutissement inévitable de quiconque a apprivoisé les nouvelles technologies à des fins d’apprentissage. Une autre question de l’antériorité de la poule et de l’oeuf : avons-nous adopté les nouvelles technologies en raison de notre insatisfaction du régime scolaire, ou sommes-nous insatisfaits de l’école pour sa négligence des nouvelles technologies?
Enfin, j’abonde aussi dans le sens de Michele qui préconise un usage plus localisé de l’utilisation des nouvelles technologies en fonction de la détermination des enseignants.