ReadTheWords : de l'écrit à l'oral sur le Web
Toutes les langues humaines sont avant tout orales. (Alfred Dogbé)
L’oral est un mode de communication naturel. La plupart des espèces animales utilisent un langage. L’écrit, au contraire, est un moyen artificiel auquel des outils confèrent des propriétés supérieures à certains égards, mais par ailleurs déficientes. Or, de nouvelles technologies tendent à raccorder l’un et l’autre. Pendant que certains travaillent à convertir la voix au texte, d’autres parcourent le chemin inverse. Bientôt, l’on pourra sans doute fermer la boucle sans la moindre erreur.
Le dernier outil à venir à mon attention, ReadTheWords, est un service en ligne gratuit qui convertit un document écrit, incluant les PDF, en fichier audio Mp3 qu’on peut ensuite télécharger sur un iPod ou insérer dans un blogue (Jane’s E-Learning Pick of the Day : ReadTheWords). ReadThe Words permet même d’écouter des fils RSS. Pour l’instant, l’outil reconnaît trois langues : l’anglais, le français et l’espagnol.
Dans un contexte d’enseignement dirigé, cette application n’a qu’une valeur éducative limitée. Le plus souvent, on préférera lire un texte que l’écouter. Toutefois, elle trouve tout son sens dans l’autonomie d’apprentissage, alors que l’élève doit choisir les outils qui correspondent le mieux à ses besoins. Pour une présentation en anglais, par exemple, il voudra peut-être se faire l’oreille à une prononciation adéquate.
Plusieurs y verront une autre atteinte à la littératie. J’y vois plutôt de nouveaux moyens de stimuler la communication et l’apprentissage. La langue écrite est trop indispensable à l’approfondissement de la pensée, à l’art, à la transmission des connaissances et à la communication soignée pour ne jamais disparaître. Elle évolue donc en fonction des époques, dont elle est le reflet.
Mise à jour, 21 mars 2008 | Un message de l’équipe de ReadTheWords m’informe qu’ils sont conscients des anicroches reliées aux accents, tant en français qu’en espagnol, et qu’ils travaillent à corriger le problème :
We are continuing to experience problems with the Spanish and French readers, as they are not pronouncing certain accent marks. We are working diligently to correct these problems and hope to resolve them shortly.
(Image thématique : Figures of Speech # 7, par Karen Schifano)
Par ricochet :
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Je viens d’essayer Readthewords. J’aime l’idée de prendre un texte écrit (un billet, par exemple) et d’en faire un mp3, qui serait ensuite disponible en podcast. mais attention, il faut bien relire le texte que l’on copie-colle dans l’espace réservé à la conversion texte-voix. Il doit être exempt de caractères spéciaux et même de signes de ponctuation (ex. ? »!), sinon, le logiciel va les lire, ces caractères spéciaux, ce qui rend l’écoute pénible et inutile. Donc, mon verdict : potentiel intéressant mais limité.
En effet, le service en français ne semble pas tout à fait au point. J’avais effectué un test en anglais, sans problème, mais pas en français. Merci de signaler cette lacune de l’outil, Jacques.
Bonsoir François,
Avec ton billet, c’est la deuxième fois cette semaine que je lis que le langage oral serait naturel alors que le langage écrit serait artificiel.
Je ne suis pas linguiste, loin s’en faut! Mais je suis perplexe face à cette affirmation. Je ne vois pas la différence de « nature » entre le langage écrit et le langage écrit.
Si le langage oral nous parait plus naturel, il me semble que c’est seulement du au fait que son apprentissage précède l’écrit et qu’il est beaucoup, beaucoup plus utilisé.
Par ailleurs, l’oral comme l’écrit reposent essentiellement sur un code qui, dans les deux cas, est construit. La grande différence réside dans la connaissance objective du code.
À l’oral, le code est complètement intégré. Le locuteur ne connait pas nécessaire le code lui-même.( D’une certaine manière, on pourrait dire qu’il est compétent mais ignorant )
À l’écrit, une connaissance objective du code est absolument nécessaire pour former un message qui ait du sens.
Mais, comme je le mentionnais plus haut, mes connaissances en matière de linguitique sont tout de même limitées.
Désolé de vous contredire, André, mais il y a une réelle différence de nature entre l’écrit et l’oral.
L’oral vient naturellement; il n’a pas à être enseigné mais se développe d’instinct. Deux bébés perdus dans la forêt, sans le moindre langage, vont s’en développer un pour eux-même. (Un enfant perdu seul ne le fera pas puisque le langage est social.) Ils ne vont pas développer d’écriture.
Le langage humain, tel que nous le connaissons, date d’environ 40 000 ans et découle (en partie) de changements biologiques. L’écriture, quant à elle, n’a que 6 000 ans (c’est d’ailleurs ce qui marque, traditionnellement, la différence entre histoire et préhistoire) et résulte de changements culturels. Changements qui, par ailleurs, n’ont pas affecté la majorité des langues parlées à travers le monde, celles-ci n’étant pas écrites.
Ainsi, une langue parlée peut se passer d’écriture, mais la langue écrite a toujours à l’origine une langue parlée, même si celle-ci est depuis morte (je parle ici de langues naturelles, et non de constructions). Le code de l’écrit est en quelque sorte, à la source, un code de transcription de l’oral, même si, une fois établi, il tend à sa propre évolution. Comme vous le dite, il y a une grade différence dans la façon qu’on connaît ses deux aspects: consciemment et inconsciemment. Cette différence découle de la différence de nature.
Quoiqu’il existe des différences linguistiques entre l’oral et l’écrit, les principales différences me semblent ontologiques. D’une part, l’écriture nécessite le recours à un code artificiel dont l’évolution nous donne l’alphabet.
Une autre différence fondamentale réside dans le support à la communication. Contrairement à l’oral, l’écriture ne peut se passer d’un support physique, dans la plupart des cas technologique, qu’il s’agisse d’un stylet, du papier, ou d’un écran. L’écriture nécessite un moyen dont la qualité est artificielle. Dans le cas extrême d’un message écrit dans le sable du bout du doigt, l’homme aura tout de même dénaturé le support nécessaire à la communication.
Enfin, je remercie Marc André de partager avec nous, encore une fois, ses profondes connaissances du langage.
Marc-André,
Ne soyez pas désolé, je vous remercie plutôt de vos explications. Mon commentaire était un appel à des explications, pas la défense d’une thèse. Je connais mes limites. Toutefois, permettez-moi d’être un élève un peu obtus et très têtu.
Sur l’antériorité historique du l’oral sur l’écrit, rien à dire. C’est ainsi.
Sur l’autonomie de l’oral à l’égard de l’écrit, rien à dire non plus. Les faits sont là.
Sur la non nécessité de l’apprentissage de l’oral, un bémol. Vos deux enfants sont probablement le seul cas où l’apprentissage n’est pas nécessaire. Admettons qu’il s’agisse d’un garçon et d’une fille et qu’ils aient des enfants. Leurs propres enfants devront apprendre le langage de leurs parents.
Sur l’instinct de l’oral. Ne peut-on émettre l’hypothèse qu’il s’agisse davantage d’un instinct de la communication qui s’actualise d’abord dans la communication orale puisque cette dernière se présente comme première nécessité alors que le besoin de l’écrit ne se présente pas avec la même urgence?
Merci également à toi, François pour tes explications.
Comme vous voyez, une ou deux explications supplémentaires ne me seraient pas inutiles.
Je me disais que vous ne vous offusqueriez point de ma mise au point
« Sur la non nécessité de l’apprentissage de l’oral » En fait, je voulais plutôt parler de l’apprentissage formel, structuré. Fait intéressant par rapport à l’apprentissage de la langue de ses parents: le cas du passage d’un pidgin à un créole. Le pidgin est une langue ad hoc: un mélange « sur le tas » de deux ou plusieurs langues, sans vrai grammaire. Le créole quant à lui est une langue à part entière. On peu passer d’un à l’autre en une génération. Par exemple, des Anglais débarquent à Taiti et les deux peuples construisent une simili-langue pour se comprendre, mélange d’anglais et de taïtien. Mais là où ça devient intéressant, c’est ce qui se produit avec leurs enfants: ils entendent ce pidgin et en font un créole, une langue avec sa grammaire propre, structurée selon ses propres principes.
Je suis d’accord qu’il s’agit d’un instinct de communication plus général que seulement linguistique ou même oral (d’ailleurs les enfants sourds, s’ils y sont exposés, vont apprendre la langue des signes bien avant d’écire — plus rapidement même que les entendants apprennent à parler).
Diable! Vos explications, même courtes, me donne à penser qu’une soirée à discuter le bout de gras avec vous autour d’une bière serait agréablement instructive, Marc-André. Encore une fois merci de vos généreuses explications.
Me permettrez-vous une autre question? Le passage d’un pidgin à un créole répondrait-il à un besoin d’une plus grande fonctionnalité (efficacité) de la langue en question? Sinon, qu’est-ce qui motive cette formalisation spontanée?
Par ailleurs, et dans un tout autre ordre d’idée, votre distinction implicite entre apprentissage formel, structuré et … apprentissage en contexte (?) me paraît fort intéressante. Dans les multiples débats qui entourent le concept d’apprentissage dans le cadre de la réforme scolaire, il me semble que cette distinction devrait être davantage mise à profit.
Merci encore.
Beaucoup plus qu’à simplement communiquer, la langue sert à exprimer du sens; aussi bien à l’interne qu’à l’externe (quand on y pense, on parle beaucoup plus à soi-même qu’à autrui). Celle-ci nous offre une représentation, un modèle de l’univers auquel nous sommes confrontés; il s’agit, pour la très grande majorité d’entre nous, de l’outil le plus puissant que nous ayons pour ce faire. La langue permet d’appréhender la réalité, de filtrer notre expérience pour en tirer du sens. Pour ce faire, elle doit détenir une certaine structure.
Dans le cas des locuteurs d’un pidgin, ceux-ci possèdent déjà cet instrument; leurs enfants (si le pidgin est la principale « langue » à laquelle ils sont exposés) n’ont pas ce luxe, et doivent donc donner (inconsciemment) une forme plus structurée à cette langue, s’ils veulent en tirer le plus profit.
L’humain possède un besoin instinctif d’ordonner le monde qui l’entoure, de donner un sens à son expérience et la langue permet un premier débroussaillage de celle-ci, donnant une forme aux éléments pour les rendre manipulables (même si cela se fait par la suite sans langage). En ce, même si les structures linguistiques comme telles ne le sont pas, l’instinct de langage est inné.
La langue découle d’un apprentissage informel, d’une reconstruction inconsciente à partir des données disponibles. L’enfant qui crée un créole ne se dit pas « la langue de mes parents n’a pas de structure propre, je vais lui en donner une. »; il extrapole une structure de ce qu’il entend, ce qui fait que ces compatriotes et lui arrivent sensiblement au même résultat. Il tisse une toile à partir du matériel qui lui est donné. C’est la même chose avec un enfant francophone : il recrée la langue qu’il entend. La différence étant que cette langue ayant déjà sa grammaire, si sa recréation diverge visiblement, il pourra se la faire corriger (ou non).
Pour l’écrit, il y a déjà une structure sur laquelle plaquer le code auquel l’apprenant est exposé, l’apprentissage est donc beaucoup plus formel. Même si la langue écrite diverge de sa contrepartie orale, elle s’appuie à la source un code de correspondance avec celle-ci.
Et pour la bière (ou autre boisson), bien d’accord! François peut te transmettre mes coordonnées.