Malade de corrections
Le malade ne guérit pas seulement de soins.
(Patrick Segal)
J’ignore combien savent que des enseignants se déclarent malades, à leurs frais, pour venir à bout de leurs corrections. Autour de moi, le phénomène affecte principalement les professeurs de langues, et plus particulièrement les professeurs de français. Comme professeur d’anglais, il m’arrive aussi d’y succomber. La situation est néfaste. L’accablement de la tâche sape l’enseignement. Le renouveau pédagogique même s’en trouve compromis, considérant le genre d’évaluation qui nous est imposée.
Pour plusieurs enseignants, la correction contribue largement à la lourdeur de la tâche. Or, celle-ci constitue, selon Joséphine Mukamurera de l’Université de Sherbrooke, l’un des principaux facteurs de l’abandon de la profession (L’Infobourg : Quand les profs décrochent…). Ainsi oppressés, les enseignants négligent d’autres facettes plus importantes de leur travail. Pourtant, le problème est bien connu :
La Presse : Les enseignants décrochent aussi
La Presse : Un enseignant sur quatre s’absente durant l’année scolaire
La Presse : Le quart des futurs instituteurs abandonnent avant de commencer
Le Soleil : Au secours des enseignants
Le Devoir (opinion) : Le malaise enseignant
Non pas que je sous-estime le travail des professeurs du primaire, mais l’enseignement au secondaire fait en sorte que le nombre d’épreuves à corriger est multiplié par le nombre de groupes d’élèves. En outre, la nature de la tâche varie en fonction de la discipline, et il est bien connu dans le milieu que les professeurs de langue ploient sous la correction. La pression sociale mise sur les professeurs de français pour sauver la langue ne fait qu’aggraver le faix. Mais les gestionnaires ou les syndicats, dans leurs convictions égalitaires, n’en font aucun cas.
(Image thématique : Comment les Indiens traitent leurs malades, par Jacques Le Moyne)
Par ricochet :
Réactions sur la lourdeur de la tâche
Qu’est-ce qui fait tant courir les profs ?
Facteurs de stress chez les enseignants
Vivement le repos
Le coût des examens
Garder le cap… (Les prunelles de la puce)
La gestion du stress en milieu scolaire… partie 1 (Cyberportfolio de Roberto Gauvin)
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Je me souviens bien de ton billet sur les coûts reliés à l’évaluation. Les coûts explosent à cause de l’augmentation du temps de correction. Et cela est clairement lié à la nature des sistuations d’évaluation qui sont proposées. Je te disais que le MELS avait pris la décision d’accorder statutairement l’équivalent d’une journée de libération aux enseignants de 6e années pour compenser le « temps supplémentaire » requis pour la correction de l’épreuve de production écrite… Ben voilà que le MELS a refait ses calculs: il considère que ça va lui coûter moins cher de mettre sur pied une correction centralisée, comme pour l’épreuvede 5e secondaire. Alors, on n’en sort pas: plus on va vers des épreuves qui vont porter sur une manoière d’évaluation des compétences, plus on va passer de temps à évaluer. Que faire ? L’évaluation et le temps qu’il faut y consacrer c’est vraiment le talon d’Achille de toute l’entreprise. C’est la 5e colonne, le cheval de Troie, le virus qui s’empare de la machine.
Est-ce que ça ferait une grosse différence si on se contentait d’enseigner sans se préoccuper de l’évaluation, au moins jusqu’au 1er cycle du secondaire ?
Comme ma colocopine enseigne le français au secondaire et ce, aux deux cycles, des montagnes de corrections, j’en ai vu plein notre table de cuisine, durant tou-ou-outes les so called vacances de Noël ; par ailleurs, cette dernière fin de semaine fort ensoleillée, elle l’a passée à corriger, tout comme la soirée d’hier, lundi : devinez ce qu’elle prévoit pour notre soirée de ce soir, mardi ?
Par contre, je ne la vois pas s’absenter pour corriger, mais je ne doute pas que certains le font…
Aussi, quand j’ai lu l’@rticle écrit par François hier, sur la nécessité de repenser même le calendrier scolaire, ce qui nous a @mené au calendrier dit équilibré, qu’on expérimente à l’école Bernard-Grandmaître, je me suis dit que des deux semaines de so called vacances répartis tout au long de l’année aideraient les surchargés enseignants du français à se tenir à jour dans leurs innombrables corrections…
Mis à part les remplacements de plusieurs jours qui peuvent occasionner de la correction, voici donc une des bonnes facettes de la suppléance : il y en a pas de correction ! Cependant, vu de mon angle partico-pratique de suppléant, cinq vacances de deux semaines réparties sur l’année scolaire créeraient possiblement cinq jolies payes de $0, ou encore 10 demies-payes…
À moins qu’on réforme aussi la façon, disons, cavalière, avec laquelle on traite les suppléants, ces possibles futurs enseignants, pour ceuzent qui tofferont la run…
Le problème avec les congés de « maladie » est double.
1-Certains enseignants (dont moi) en utilisent une partie pour pouvoir corriger. Non-sens évident… (Sujet de ce billet)
2-Ces congés de maladie, supposément monnayables, ne le sont en fait pas du tout depuis au moins 10 ans. Dans le but évident d’économiser à court terme, le gouvernement de l’époque avait conclus une entente de quelques millions de dollars (100?) stipulant entre autres que les congés de maladie non utilisés seraient versés dans une banque que l’enseignant pourait éventuellement utiliser avant sa retraite. Connaissant déjà des cas de banques de congés accumulés qui se sont révélées caduques (impossibilité de récupérer ce temps pour les enseignants sur le bord de la retraite – cas documentés, dont un en cour – un ancien collègue de département de François), la plupart des enseignants ne désirant pas « perdre » ces congés (alors que, majoritairement, ils les monnayeraient s’ils en avaient la possibilité) les prennent donc en s’absentant… Le gouvernement voulait récupérer des sous, mais il a engendré de l’absentéisme…
Ceci dit, tous les enseignants précaires (non permanents) peuvent monnayer leur banque de congés de maladie, par contre.
Français
An fais, je ne voudrè pa agravé le faix que tu es faite d’un t un x, en te le soulignant…
Indeed, you may auto-destruct this mess@ge, if you wish…
D j O-:
Le calembour est intentionnel, faix en place de fardeau. Merci quand même, DjO.
P.-S. Navré de me limiter à un commentaire aussi laconique après tant d’excellentes réactions.
Oui, je connais plusieurs profs qui prennent congé pour corriger. Je l’ai fait trois ou quatre fois cette année déjà. Comme le souligne Sylvain, la façon de gérer les congés pousse d’ailleurs les enseignants à les prendre de toute façon.
Si les profs de français du secondaire ont plusieurs groupes, ceux du primaire ont plusieurs matières différentes à évaluer. De même, la comparaison s’avère tout aussi difficile entre les profs du secondaire eux-mêmes puisque la longueur des textes à corriger varie selon les niveau.
En fait, toute comparaison est boiteuse. Ni le syndicat ni le gouvernement ne voudra d’ailleurs ouvrir cette boite de vers. Ce sont les profs qui se débrouillent pour trouver des issues à ce problème.
De plus, avec le Renouveau, les situation d’apprentissage sont plus longues et plus complexes. Les critères d’évaluation ne sont pas toujours faciles à maitriser et il faut courir après les gamins qui s’absentent.
Enfin, je crois qu’il est un peu téméraire de relier le phénomène de l’abondon des jeunes enseignants et celui de la correction. Tout d’abord, ces enseignants décrochent alors qu’ils enseignent dans différentes disciplines. Ensuite, d’autres facteurs me semblent plus importants pour expliquer ce phénomène:
- sélection très généreuse des étudiants lors de l’admission (parmi les cotes R les plus faibles de toutes les facultés universitaires);
- formation universitaire parfois inadéquate des nouveau enseignants, notamment en gestion de classe et en soutien aux élèves en difficultés;
- encadrement pédagogique et personnel des nouveaux enseignants inexistant de la part des employeurs et des directions d’école;
- pénurie actuelle de personnel enseignant entraînant l’embauche de candidats plus à risque de décrocher;
- taux de décrochage similaire à bien d’autres professions (sélection naturelle?);
- il existe beaucoup de jeunes bons enseignants qui sortent de nos universités, mais pas assez pour combler les besoins actuels;
- de façon absurde, certains jeunes enseignants intéressants décrochent alors que d’autres parfois moins bons mais plus téflon demeurent malheureusement dans le système.
La quantité de correction n’est pas unique aux enseignants de langue, quoique l’on en pense. Si je regarde la situation d’évaluation qui a été envoyée par le MELS pour l’Histoire de 3e, cela va comme suit:
Compétence 1 : les élèves doivent se poser 5 à 6 questions.
Compétence 2 : ils doivent rédiger un texte d’environ 200 mots
Compétence 3 : un texte de 100 mots.
Avec 140 élèves, je m’attends à des heures et des heures de plaisir dans les prochaines semaines.
Probablement que mes collègues de français vont avoir une correction semblable, mais ils ont environ 50-60 élèves de moins que moi.
Je ne dis pas que leur travail est plus facile, mais avec le renouveau, la longueur des SAÉ ou SÉ fait en sorte que la correction est définitivement plus longue qu’avant, il est de plus en plus difficile de faire des examens à choix multiples.
M. Noppen,
Pour en avoir discuté avec des collègues en histoire, vous avez entièrement raison dans votre constat.
Presque entièrement raison : je me dois de nuancer…
J’ai presque 130 élèves en français (4 groupes bien pleins à 6 périodes chacun – ce ne sont pas toutes les écoles qui sont passées à 8 périodes…)
Les productions écrites comportent environ au moins une centaine de mots de plus chacune que le total des mots que vous aurez à lire. (Quand les élèves respectent les « quotas »…)
Je suis bien d’accord que votre temps de correction a augmenté, mais celui des enseignants de français consacré à la correction est encore très élevé.
Qui a le temps de correction le plus élevé ? Je ne veux pas jouer à ce jeu : ça risque de finir par « mon père est plus fort que le tien »
Sans vouloir donner dans les comparaisons, comme le recommande sagement Sylvain, je crois aussi que Mathieu a raison de souligner la quantité de correction désormais exigée des professeurs dans les disciplines autres que les langues. La réforme a en effet rendu plus complexe la quasi-totalité des situations d’évaluation.
Au collégial,en français, la correction consiste 1) à évaluer la qualité du contenu des textes, comme dans toutes les matières, 2) à relever les fautes, souvent d’une manière qui incite l’étudiant à comprendre ses erreurs, et non pas seulement en les biffant, 3) à donner des conseils et à critiquer la structure et la rédaction du texte.
En outre, le ministère de l’Éducation a l’intention de nous faire évaluer dans quelle mesure l’étudiant applique des stratégies de révision de ses textes et s’il a apporté les corrections justes à son texte. Cela fait un 4e aspect à évaluer, non?
Dans mon cégep, nous avons 125 étudiants en français à la session d’automne (16 heures de cours) et 95 à l’hiver (12 heures de cours).
Les textes ont 750 mots dans le premier cours, 800 dans le second et 900 dans le troisième. Ce sont des minimums.
Pour bien faire, il faudrait qu’un étudiant rédige trois textes dans une session, mais c’est impossible à corriger, de sorte que nous demandons deux textes, plus un exercice qui en vaut environ la moitié.
Il faut aussi corriger des exercices ou des travaux d’équipe, plus de petits tests, souvent.
Nous avons cessé d’espérer de l’aide. Certains, dont je suis, gardent l’espoir en cherchant des moyens de corriger moins, tout en faisant mieux apprendre. Mais ça aussi, ça demande du temps.