Une autre théorie sur le retard des profs aux TIC
Mon bon ami, toute théorie est sèche, et l’arbre précieux de la vie est fleuri. (Johann Wolfgang von Goethe)
Parmi la multitude de raisons évoquées pour expliquer l’inertie des enseignants à prendre le virage technologique, il faut ajouter, il me semble, un conditionnement à l’apprentissage linéaire. Dès le départ, la formation universitaire les prépare à une méthode où les savoirs sont compartimentés et séquencés selon un ordre cartésien. Cette logique est encore renforcée quotidiennement dès qu’ils débutent dans le métier, affermie par la culture pédagogique et la praxis des manuels.
Or, le cerveau, contrairement à une machine, n’opère pas de façon aussi élémentaire; il est fait pour traiter simultanément une multitude de signaux disparates. L’obsession d’une didactique discursive explique, en partie, les limites actuelles de l’école à l’apprentissage. La raison n’expose jamais autant son ignorance que quand elle cherche à dresser la nature.
Cette méthode linéaire, largement influencée par le livre, suit les enseignants dans leur formation continue, notamment aux nouvelles technologies. Mais l’usage de ces dernières n’est pas toujours aussi simple. À commencer par l’organisation des applications en menus, elles font appel à une structure conceptuelle beaucoup plus ramifiée et interreliée; en passant au Web, elle devient encore plus connective. D’ordonnée, elle devient enchevêtrée, quasi neuronique.
Je crois déceler chez bon nombre d’enseignants une difficulté à se représenter schématiquement l’ensemble des fonctionnalités utiles des applications. Il y a fort à parier que les élèves qu’on habitue aux cartes heuristiques auront une pensée plus radicante. Quant aux enseignants, plusieurs sont gravement handicapés par leur incapacité à modifier leur rapport au savoir; on a oublié de les préparer à apprendre à apprendre.
Plus inquiétant encore, cette conception ordonnée de l’apprentissage est trop lente au regard de l’évolution. Non pas qu’elle soit inutile, sauf que la méthode doit aussi s’enrichir de nouvelles pratiques. Le progrès n’est pas seulement affaire d’industrie, mais de pensée.
(Image thématique : It’s Just a Theory, par Larry Brown)
Par ricochet :
Future génération de profs (débranchés)
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Le fossé technologique entre le MELS et les jeunes
L’intégration des TIC en 2007: piètre bilan
Notre retard des TIC en éducation
Un portable, pas un portail
Le retard technologique du Québec en éducation
Constructivisme, socioconstructivisme et connectivisme
Le connectivisme (néo socioconstructivisme)
5 composantes de la connectivité
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Ce billet me fait penser à une vision que j’ai souvent : celle d’un cerveau en phase d’activité intense avec des flux lumineux qui partent dans tous les sens et des étincelles à plein d’endroits…cette vision m’aide à apprivoiser ce qui semble se passer en moi !
La question se pose peut-être dans le rapport entre l’explication et l’activité. Un enfant qui apprend à parler le fait au gré d’une activité qui ne suppose pas la conscience des règles grammaticales mises en jeu dans la formation des énoncés. Autrement dit, l’activité linguistique la plus intense et la plus créative n’est pas une activité métalinguistique. Or la plupart des professeurs voudraient que les enfants appliquent des règles qui leur ont été communiquées au préalable, expliquées au préalable, et dont ils auraient une conscience claire. Les nouvelles technologies permettent de faire et d’apprendre en faisant, et c’est à cela, me semble-t-il, que répugnent beaucoup de nos collègues. Ils sont bien du côté de Descartes, alors que le fondement de la modernité se trouve plutôt chez Leibniz.