Les marchands du temple
Il n’est pas marchand qui toujours gagne.
(Pierre Gringore)
Dans un commentaire sur les tableaux interactifs, Jacques Cool me fait réaliser l’ampleur du marketing que déploient les compagnies de matériel didactique. Tout l’argent investi en éducation représente une cible de choix pour l’entreprise privée, malgré la pauvreté des écoles en comparaison des hôpitaux. Il n’y a pas de mal, bien sûr, à ce que les compagnies inventent de nouveaux produits. Je m’inquiète cependant de les voir vendre leur salade aux gestionnaires, eux qui ne démontrent pas toujours la plus grande vision pédagogique dans l’achat du matériel.
Parmi les problèmes qui calent l’éducation, il faut souligner le fossé entre le pouvoir administratif et le savoir pédagogique. Les commissions scolaires, notamment, sous la férule des commissaires, prennent des décisions en fonction d’une conception archaïque de l’apprentissage. Le MELS ne fait mieux en limitant le matériel didactique relié au renouveau pédagogique aux manuels imprimés. Il faut trouver une façon de faire migrer les budgets de matériel didactique vers les utilisateurs, tout en les rendant imputables des dépenses.
En complément du commentaire de Jacques, Gilles Jobin, qui n’a va pas par quatre chemins dans son évaluation du tableau interactif, confirme que l’enseignement centré sur l’élève (ou le paradigme de l’apprentissage) est un concept encore bien mal compris.
Mise à jour, 13 juillet 2008 | Bruno Devauchelle s’interroge lui aussi sur la délicate relation entre le commerce et l’éducation (Veille et Analyse TICE : Logiques commerciales, logiques scolaires ???). Par ailleurs, j’en profite pour souligner le phénomène du school improvement industry‘ que David D’Arrusso, dans un commentaire ci-dessous, porte à notre attention.
(Image thématique : Le Marchand de Venise, par Alexandre Cabanel)
Par ricochet :
Le grand mensonge du marketing scolaire
Du moi au toi (Jobineries)
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Vous devriez ajouter à votre liste certains directeurs d’école et certains gestionnaires. Vous seriez surpris, en fait je ne le crois pas quand j’y pense, du nombre de manuels inutilisés dans nos écoles, de matériel didactique mal entretenu au point ou il devient inutilisable après quelques années.
Cette mauvaise gestion des fonds publics est difficile à démontrer parce que ceux qui gèrent sont aussi ceux qui contrôlent l’information.
Ce billet n’est pas sans me rappeler certains travaux du chercheur américain Brian Rowan. Celui-ci a produit quelques textes sur le rôle de ce qu’il qualifie de la « school improvement industry » dans le secteur de l’éducation aux États-Unis. Selon l’auteur, cette industrie est en partie responsable du caractère à la fois envahissant et inefficace du changement en éducation.
Si la situation américaine n’est pas entièrement transférable au cas québecois, il demeure que ces recherches trouve une certaine résonance, particulièrement lorsque l’on considère la force du milieu de l’édition scolaire au Québec et sur le caractère quelque peu anarchique du « marché » de la formation continue, où malgré le peu d’argent disponible à cet effet, on trouve tout et son contraire, le meilleur et le pire…
Les travaux de Rowan portent essentiellement sur l’industrie du manuel scolaire et du testing, ainsi que sur sur celle de la formation continue. D’autres travaillent sur les entreprises de « shadow education », ces services de tutorat de plus en plus populaires aux États-Unis et dans le ROC.
Il serait à mon avis également intéressant d’avoir davantage de recherche sur le rôle des grandes entreprises de TI dans le changement en éducation. En effet, ces entreprises, en cherchant à imposer leurs logiciels et leur matériel, déterminent de plus en plus les pratiques des enseignants.Or, ces pratiques reflètent-elles les changements désirés dans les politiques locales et nationales?
Voir:
http://www.springerlink.com/content/x5t5270n02507n52/
Je comprends tout à fait le débat qui vous anime en ce qui concerne le TBI, son aspect hyper-commercial et pseudo-pédagogique. Je ne suis pas un ardent défenseur du TBI dont je trouve l’utilisation assez fastidieuse, demandant beaucoup de concentration, de temps de préparation. Le travail sous la lampe est de plus, fatigant pour les yeux.
J’ai par contre du mal à cerner comment il sera possible de fermer la chaine numérique pédagogique si d’un coté l’élève (apprenant) possède un ordinateur et de l’autre coté, le professeur ne possède qu’une craie ou un marker ! C’est donc plutot à cette question qu’il va falloir répondre à plus ou moins court terme. Et là je ne vois pas beaucoup de questions apparaitre à ce sujet, ni de pistes de reflexion. Ne pas doter le pédagogue d’un outil dynamique lui permettant de laisser des traces numériques d’un travail en temps réel, c’est à mon avis, amputer l’acte pédagogique d’un aspect fondamental et interdire à l’élève ( apprenant ) de disposer de ces memes traces numériques me semble un pari assez hardi sur l’enseignement de ce siècle.
Si le TBI n’est pas la panacée, s’il en est encore à des balbutiements et si les entreprises dépensent des fortunes pour devenir leader d’un marché à coup d’arguments plus ou moins pertinents, c’est sans doute que la numérisation complète de l’acte pédagogique est en cours et c’est sans doute à cela qu’il faut réfléchir.
Si l’on ne veut pas que l’enseignement se transforme en un vaste supermarché, avec promos et prets à consommer, « tout en un » alléchants, le travail du professeur dans l’instant doit etre mis au premier plan. Peut-etre existera-t-il des formes duales d’écriture, avec trace physique et avec trace numérique, mais en ce qui concerne l’acte monstratif, je ne pense pas que l’on puisse passer outre cette numérisation.
Je ne crois pas que cette numérisation de l’acte pédagogique soit la solution à tous les maux et que l’on résolve le problème de la différenciation. Elle s’inscrit simplement dans la mutation complète des supports ( au meme titre que les blogs, le son, la vidéo et le papier ), raz de marée qui emporte actuellement tout sur son passage.
Envoyer un élève au tableau et lui permettre , à lui ainsi qu’à tout un groupe de conserver la trace de ce passage me parait très interessant et porteur de sens. Cette trace, consultable à postériori, de façon individuelle ou collective, qui peut-etre laissée brute ou corrigée par le groupe et débatue avec le professeur me semble assez novatrice et j’ai toujours bien des difficultés à percevoir comment il est possible de réaliser ce type d’expérience sans outil numérique grande échelle en classe.
Si d’un coté, on voit bien le professseur magistral qui semble vous effrayer, de l’autre on peut entrevoir un travail de groupe que l’on peut construire et déconstruire à loisir, dont la base est la relation qui s’installe dans l’instant et la mémoire qui se garde dans le futur. Rien que pour cela je pense que la place du TBI dans l’enseignement est à repenser entièrement, autrement que par les prismes réducteurs du commerce et des logiciels préinstallés qui n’apportent pas tous les bénéfices attendus. Un autre point interessant qui va toujours dans le sens précédent est que l’on peut partir d’une base qui n’est pas vierge et l’alimenter par la suite, la différenciation peut se faire a-posteriori en proposant aux élèves, différents états d’avancement du travail en sauvegarde. Une base commune ( donc fédératrice) et un retour différent, me parait ainsi une piste à envisager aussi.
Je ne pense pas avoir fait le tour de la question mais simplement avoir ouvert la porte à certaines questions qu’il est légitime de se poser si l’on veut que le débat soit complet.
Je suis témoin, comme Luc, de la gabegie des manuels scolaires. À mon avis, le problème est aggravé par le fait que les enseignants se tournent en désespoir de cause vers le seul type de ressource autorisé, c’est-à-dire les manuels. Mais ils sont vite déçus du peu d’intérêt manifesté par les élèves.
Je remercie David de nous faire part de cette étude, mais surtout d’un phénomène, la school improvement industry‘, que j’ignorais et que je trouve très très intéressant.
La réaction d’Olivier témoigne d’une belle réflexion pédagogique. En soi, cela justifie l’utilisation du tableau blanc interactif dans la mesure où il permet à l’enseignant de progresser dans sa pratique. À la condition qu’il sache faire preuve de pareille lucidité. Je suis d’accord avec Olivier quant à l’importance du support numérique. Cependant, ce support peut très bien être assumé par l’ordinateur portable du professeur (la plupart des modèles utilisés au Québec nécessitent le branchement à un ordinateur et à un projecteur multimédia). Tout réside bien sûr dans la maîtrise de l’utilisateur. Mais puisqu’on s’écarte du sujet de ce billet, je renvoie ici à la discussion sur les TBI dans cet autre billet.