De passion et d'effort
Les passions ont appris aux hommes la raison. (Vauvenargues)
Il aura fallu un cri du coeur de Michel Dumais pour me tirer de ma torpeur. La passion qui s’en exhale non seulement me transporte, mais accuse l’un des problèmes les plus évidents en éducation : la retenue que la raison impose aux institutions. Je le constate à tous les échelons. Mais si les enseignants peuvent au moins arguer l’épuisement d’opérer au front, le stoïcisme sape le moral quand il émane de ceux qui ont la responsabilité de mener et d’inspirer. L’absence de leadership est une déchirure dans la grand-voile.
En parent qui affiche l’amour de ses enfants, Michel ose proposer des solutions. En dépit de quelques suggestions discutables, détail bien secondaire en début de discussion, il nous donne une leçon d’école vivante, un environnement dynamique qui valorise le dialogue, la collaboration, la communauté, les valeurs humaines l’individualité et la société, l’expérimentation et le changement. Non pas l’application mécanique d’un programme obligatoire. Je connais les ravages de l’uniformisation : le P.E.I. où j’enseigne a perdu son âme dès lors qu’il a succombé à la bureaucratie du nouveau programme de formation.
Si l’évolution du Web reflète l’essence de l’homme libre, les réseaux sociaux en sont une manifestation naturelle. Ils naissent d’un besoin d’association et de savoir. Pourquoi, par conséquent, l’école ne bénéficierait-elle pas de ce même élan vers la communauté, les rapports humains, et les savoirs signifiants (meaningful knowledge)?
Malgré toute l’importance de l’histoire, de la littérature et de la culture, celles-ci ne peuvent servir de fondements à l’éducation. L’étude des philosophes, des écrivains et des plus grands penseurs n’a jamais enrayé la guerre, la famine, les abus de l’industrie ou du capitalisme. Le fait que le siècle des Lumières ait débouché sur la révolution industrielle est l’une des plus grandes ironies de l’histoire. Le système scolaire qui en est issu manifeste les mêmes bourdes. Nous avons désormais les moyens d’un nouveau modèle fondé sur le dynamisme social plutôt que sur le pouvoir.
La raison seule a lamentablement échoué sur le plan de l’éducation. Comme pièce à conviction, je soumets la lettre du président de la Fédération des commissions scolaires du Québec (Le Devoir : Éducation : l’heure n’est plus à la critique mais à l’action). Sa teneur m’a semblé si fade et intéressé, si politiquement correcte, que je me suis contenté sur le coup d’un signalement dans Twitter. En exhortant de passer à l’action, André Caron ne propose pourtant que clichés et velléités. Pas l’ombre, malheureusement, du « leader positif et inspirant auprès de ses pairs » qu’il revendique des jeunes.
Clément Laberge, plus averti, n’a pas hésité à reprendre M. Caron quant à l’utilité de la critique en démocratie (Remolino : Éducation, critique et action). Pas de progrès sans aiguillons. Ne confondons pas critique et négativisme, un poison utile seulement lorsqu’il est administré homéopathiquement.
M. Caron vise juste, cependant, en recommandant de valoriser l’effort. Il faut toutefois prendre garde d’associer trop étroitement effort et réussite, comme c’est le cas dans sa lettre. L’effort est l’affaire du présent, contrairement à la réussite qui constitue un objectif à long terme.
Nous savons que l’effort est un meilleur gage de réussite que la perception de prédisposition ou de supériorité naturelle. Carol Dweck, de l’Université Stanford, a réalisé l’excellent schéma ci-dessous qui illustre les avantages de concevoir l’intelligence comme une faculté pouvant être développée par l’effort, plutôt qu’innée (Stanford Magazine : The Effort Effect; cliquez sur l’image pour un agrandissement ou faites apparaître une fenêtre contextuelle).
Je n’insisterai pas sur l’évidence de l’affectivité dans la motivation scolaire. Je me contenterai de remercier Michel de m’avoir ragaillardi en ce début d’année scolaire par l’exemple d’un parent qui fait preuve de leadership. Je remercie également tous ceux qui ont participé au camp sur la lecture à l’écran et qui ont si merveilleusement fait de l’apprentissage une fête. Ce sont ces gens-là qui attisent ma passion. Si ça venait aussi d’en haut, je serais aux anges.
Mise à jour, 26 août 2008 | Dans le sillage du billet de Michel Dumais, lire aussi cet autre excellent billet de Clément Laberge : L’utopique (mais pourtant nécessaire) cité éducative.
(Image thématique : Passion, par Shim Ah-Bin)
Par ricochet :
Lequel est le meilleur gage de réussite ? le Q.I. ou l’effort ?
Motivation, plaisir et gratification
La persévérance : cas célèbres
La rentrée, ma rentrée… (Mario tout de go)
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Te voilà de retour : à la bonne heure !
Je reconnais bien là le leadership qui rayonne au travers de tes mots et des actes !
« Concevoir l’intelligence comme une faculté pouvant être développée par l’effort » : un peu comme l’embonpoint ou le fait de toujours repousser l’idée de faire de l’exercice et de mieux manger.
L’déal, c’est de pouvoir faire les 2 (un esprit sain dans un corps sain).
« le P.E.I. où j’enseigne a perdu son âme dès lors qu’il a succombé à la bureaucratie du nouveau programme de formation. »
C’est un coup de masse ça et ça demande que je m’y arrête un de ces quatre. Tu sais, de la même façon on a vu des intiatives locales de collaboration famille-écoles-communauté mourir étouffées par des intiatives gouvernementales sensées les supporter: « Écoles en santé », « Stratégie d’intervention agir autrement », « Famille école communauté, réusir ensemble ». On remplace le « just enough, just in time » qui caractérisait ces initiatives locales par du tout preil pout tout le monde.
Écoute, merci pour le flash et bonne rentrée à toi !
Bien avant le death by PowerPoint, il y a eu le death by paperwork, un trou noir dont on ne réussit toujours pas à s’extirper.
En toute honnêteté, cependant, je dois reconnaître que l’école, grâce à un nouveau leadership, commence à remonter la pente. Je tâche d’y apporter ma maigre contribution.
«le P.E.I. où j’enseigne a perdu son âme dès lors qu’il a succombé à la bureaucratie du nouveau programme de formation.»
J’aurais même coupé ma phrase (en exagérant juste un tout petit peu) après le mot « bureaucratie » tout court. J’y ai longtemps cru, à cette âme du programme, mais plus du tout comme il est administré actuellement…