Les connaissances ne garantissent pas la pensée scientifique
La science ne sert guère qu’à nous donner une idée de l’étendue de notre ignorance. (Félicité de Lammenais)
Le Québec et les États-Unis, notamment, s’inquiètent du désintéressement des jeunes pour les sciences et la technologie. Une nouvelle étude devrait intéresser les réformistes, tout comme les tenants de la primauté des connaissances en éducation : des chercheurs concluent en effet que les connaissances scientifiques ne mènent pas nécessairement à une pensée scientifique (Ohio State University Research News : Study: Learning science facts doesn’t boost science reasoning).
Les chercheurs ont comparé les résultats de près de 6000 étudiants en science et ingénierie d’universités chinoises et américaines. Quoique les premiers réussissent beaucoup mieux que les seconds dans les tests de connaissances, ils s’équivalent sur le plan du raisonnement scientifique.
Si la finalité de la science, au-delà de la compréhension, est la découverte, le raisonnement et la méthode priment les connaissances déclaratives. Le savoir, à lui seul, n’est rien; l’activation du savoir est tout, comme un diamant extrait de sa gangue. Sans diminuer l’importance de la matière, son traitement dans le creuset de la pensée est la magie qui crée de nouveaux savoirs. Du coup, l’analyse, la synthèse, la critique et la méthode sont des composantes plus chères à la science que les atomes de connaissances.
Dans la même veine, une professeure de l’Université d’Illinois, Brenda M. Trofanenko, soutient que l’emphase sur l’apprentissage par coeur des connaissances géographiques aux États-Unis est largement responsable des lacunes des Américains en matière de géographie (University of Illinois at Urbana-Champaign News Bureau : Rote memorization of historical facts adds to collective cluelessness).
Il appert que la mémorisation ponctuelle constitue une piètre stratégie pédagogique quand on sait que le cerveau possède ses propres mécanismes d’oubli. Un élève ne saurait se rappeler ad vitam aeternam ce qu’on lui a montré une fois ou deux, en comparaison du professeur qui réutilise constamment la même information. Par ailleurs, une société entièrement constituée de professeurs courrait à sa perte.
(Image thématique : Science Is Measurement, par Henry Stacy Marks)
Par ricochet :
De la passivité des connaissances
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Cela me rappelle l’histoire (apocryphe) de ce professeur de physique qui disait à ses étudiants du bac : « Je vais vous dire beaucoup de choses au cours de la session; la plupart seront vraies, certaines seront fausse. À vous de faire la part des choses. »
Façon intéressante d’encourager les étudiants à penser par eux-mêmes…
Un fameux professeur de sciences, j’en conviens. Je n’ai pas eu tant de chance.
Cette citation de F. de Lammenais rejoint un schéma attribué à Jean Fourastié dans une programmation d’un cours que j’ai suivi en classe de terminale et qui représentait par trois disques de plus en plus grands l’évolution de la connaissance scientifique. Le commentaire disait qu’en proportion de leur déploiement, ces surfaces avaient une circonférence qui augmentait d’autant. Or qu’était cette circonférence si ce n’est la séparation entre ce que le monde scientifique sait et ce qu’il ignore.
Plus le savoir de l’individu augmente, plus la conscience de son ignorance devrait humblement augmenter en proportion.
C’est Jean Gabin qui chantait à la fin de sa vie : « Je sais… que je ne sais pas ! »
Les limites de la science, il me semble, sont illustrées par le postulat selon lequel elle ne peut ni mesurer l’étendue du savoir, ni celle de l’ignorance.