Pour reprendre la fameuse pub de E. F. Hutton, quand Gilles parle, les gens écoutent. Avec raison, comme il le démontre encore une fois dans son analyse sagace et caustique de l’intégration des nouvelles technologies de l’information en éducation au Québec (Jobineries: 2007, l’école et les TIC). Au lieu de pieuses résolutions, il sert un bon coup pied au derrière. Son portrait de la situation actuelle en souligne bien les ratés. Quoique ses solutions, par souci de réalisme, soient trop modérées pour combler le retard, je seconde ses prévisions: « Si la tendance se maintient, 2007 sera aussi décevante que les cinq ou six dernières années. Pour y changer quelque chose, cela prendrait une volonté, un leadership et une vision. »
L’éphémérité de l’information aujourd’hui a quelque chose d’attristant. Le flot quotidien d’information éclipse celui de la veille, comme les vagues qui battent la côte, inexorablement condamnées au reflux. Heureusement, le présent et l’avenir sont de plus puissants leviers d’écriture que le passé. Les rétrospectives ont néanmoins leur utilité. Darren Kuropatwa m’a d’abord donné l’idée de dresser une liste des 12 meilleurs billets de l’année (A Difference: Looking Back). Mais comme je crois aux vertus éducatives de la visualisation, j’opte plutôt pour une rétrospective de mes illustrations, principalement des cartes heuristiques (mind maps). Voici donc l’inventaire de mes schémas de l’année 2006, dans l’espoir de leur donner un deuxième souffle (les liens renvoient au billet original).
Les Canadiens lisent les blogues plus que tout autre pays occidental. Ils se situent en tête d’un palmarès de huit pays selon une analyse de comScore Networks (iMedia Connection: The Score: Blogs Gain Favor Worldwide). Près de 60 % des internautes canadiens ont visité un blogue en octobre, suivis des Espagnols (51 %) et des Français (46 %). Les Américains viennent loin derrière, au sixième rang, avec 36 %. La chose est d’autant plus étonnante que les grands médias américains parlent régulièrement des blogues, notamment durant les élections, et que plusieurssont parmi les plus connus, comme Boing Boing. Toutes les hypothèses sont permises. Est-ce que les Américains restent majoritairement attachés aux médias traditionnels, particulièrement la presse écrite et la télévision? Les Canadiens sont-ils plus anticonformistes et larges d’esprit? L’étendue du pays y est-elle pour quelque chose?
Les élèves n’en ont plus que pour Google. Son efficacité justifie amplement sa popularité. Mais quand ils ne trouvent pas du premier coup, ils ne savent plus à quel saint se vouer. Les opérateurs logiques sont fort utiles pour restreindre la recherche, mais en toute honnêteté, qui se donne la peine? Une autre solution consiste à changer pour des outils mieux adaptés aux novices. Quintura est un nouveau moteur de recherche qui exploite les nuages heuristiques (Knowledge-at-work: Social search – KM thinking). La visualisation des concepts connexes facilite le raffinement de la recherche. Quoique la technologie en soit encore à ses débuts, Quintura offre plusieurs fonctions utiles, comme l’ajout de mots pour raffiner la recherche, la suppression des mots, ou la sauvegarde des résultats de la recherche (utile pour des élèves). Par contre, la présentation des résultats laisse à désirer pour une évaluation rapide de la référence.
Je ne suis pas professeur de mathématiques. Néanmoins, le débat entre l’utilisation du calcul mental ou de la calculette symbolise en quelque sorte le différend entre les partisans et opposants à l’intégration des nouvelles technologies de l’information à l’école. En réaction à la piètre performance des élèves aux tests standardisés, certains prônent même le retour aux notions de base (New York Times : As Math Scores Lag, a New Push for the Basics). Or, nous savons tous la place démesurée accordée aux mathématiques dans une société absorbée par les sciences et le rendement économique. Mais comment faire la part des choses ? Et plus important encore, comment concilier le développement humain et une technologie de plus en plus envahissante ?
Il y a quelques années, le conseil d’établissement de mon école a dû débattre de l’achat de calculatrices graphiques pour les élèves de 4e et 5e secondaire. Le coût prohibitif de ces appareils, ainsi que les efforts de réduction de la facture scolaire, faisait en sorte qu’on ne pouvait exiger leur achat par les élèves. Après avoir débattu leur valeur pédagogique, alors même que les professeurs de mathématiques ne s’entendaient pas, il fut résolu que l’école achèterait quelques jeux de ces calculatrices à prêter aux élèves des enseignants qui en faisaient usage. Ce fut une solution d’accommodement, car le débat manquait de fondements.
Des lectures récentes montrent que la question de l’usage de la calculette en classe n’est toujours pas résolue, comme en témoignent ces articles :
Quelques découvertes récentes, ainsi que des commentaires judicieux, m’ont amené à me questionner sur l’intégration des nouvelles technologies de la communication en éducation. En préconisant à la fois l’humaniste et la technologie, il me fallait concilier le dilemme.
D’abord, il y a eu ce commentaire [note de l’auteur : ce lien n’est plus actif] très pertinent de Christian Jacomino, appuyé de Gilles Jobin, en réaction à un billet sur la corrélation possible entre les difficultés en lecture, le décrochage et le suicide. Je me permets de rapporter ici les parties des deux commentaires qui soulignent la primauté des considérations humanistes.
Ce qui nous amène à considérer en outre le rapport au langage lui-même comme moyen privilégié de communication avec les autres. Nous avons besoin de la parole de l’autre davantage que du pain, et sans doute bien davantage encore que de l’ordinateur. Et quand cette parole nous manque, ce n’est pas seulement notre capacité d’apprendre à lire qui s’en trouve affectée, c’est aussi bien notre envie de vivre. (Christian Jacomino)
Ce qui est remarquable avec la lecture, c’est que, justement, on puisse y trouver cette « parole de l’autre » qui manque à notre vie. Combattre la pauvreté par la lecture est, me semble-t-il, une noble cause. (Gilles Jobin)
En même temps, je découvrais Soulver, un nouveau type de calculette qui fonctionne par intuition langagière. Sans être mathématicien, et peut-être justement parce que je ne le suis pas, je trouve la démonstration très impressionnante (voir aussi le vidcast). Tandis que les technologies évoluent vers l’intelligence artificielle, Robert Bibeau, par le biais d’edu-ressources [note de l’auteur : ce lien n’est plus actif], nous fait découvrir une méthode de multiplication manuelle qui nous rappelle toute l’importance des savoir-faire autonomes. Dans la même veine, Sylvain rapplique avec cette autre méthode manuelle (ne vous laissez pas désemparé par la pub militaire).
Je ne suis pas assez féru en apprentissage des mathématiques pour déterminer lequel de Soulver ou de la méthode manuelle est préférable. Les deux servent d’intermédiaire entre la compréhension du concept et l’habileté à l’appliquer. Par ailleurs, je suis porté à croire que la méthode manuelle est une étape plus propice à la compréhension dudit concept. Pour plusieurs apprenants, elle gagne sans doute à être enseignée avant l’usage de la calculette. Pour d’autres, cependant, elle peut favoriser l’apprentissage, ne serait-ce qu’en validant le résultat de l’opération. Simple réflexion d’enseignant plutôt que de mathématicien.
Dans la juxtaposition de la pensée et de l’outil, il est peut-être utile de distinguer (sans exclure) le naturel de l’artificiel. Le naturel (la compréhension) constitue dans le cas qui nous occupe la finalité, tandis que l’artificiel (l’outil) s’avère un moyen d’atteindre cette finalité. Précisons que dans l’exemple de la multiplication manuelle, le crayon et le papier constituent des technologies, au même titre que la calculette. La grande différence réside dans le savoir-faire. Dans la méthode naturelle, la technologie ne sert que de support, la main servant d’intermédiaire entre la pensée et la démonstration de la compréhension. La calculette, avec son intelligence artificielle, peut toutefois se substituer à la pensée. La compréhension peut n’être que factice. Par ailleurs, cela n’exclut pas que l’on utilise l’outil à des fins d’apprentissage, surtout si l’instrument facilite la compréhension.
Le rapport au savoir comprend une dimension affective. Si l’incompréhension et l’ignorance comportent leur lot de frustrations, une certaine jouissance jaillit du savoir nouvellement acquis. Le plaisir n’en est que plus grand quand les connaissances débouchent sur des savoir-faire. La satisfaction provenant de la compréhension me semble éminemment intrinsèque, tandis que celle qui découle d’un support technologique est aussi extrinsèque. Cela n’est pas mauvais en soi, car une satisfaction accrue favorise l’apprentissage. Dans bien des cas, il faut reconnaître que la technologie permet des savoir-faire qui dépassent le pouvoir de la main. À moins d’un talent exceptionnel, par exemple, un utilisateur peut réaliser une mise en page graphique que seul l’ordinateur lui permet.
Cet interminable exposé, malheureusement trop alambiqué, m’amène à postuler quelques principes pour l’intégration des nouvelles technologies de l’information en éducation. Cela n’a rien de prétentieux. C’est un simple effort de synthèse que je présente comme un document de travail (a work in progress, comme disent les Anglais). Je me ferai un devoir de les modifier, dans l’éventualité où les lecteurs voudront bien y jeter plus de lumière.
Principes d’intégration des TIC en milieu scolaire :
1. La technologie doit servir l’utilisateur sans le déshumaniser. Les nouvelles technologies ne sauraient porter préjudice à l’intégrité de l’élève dans ses dimensions physique, affective, intellectuelle, sociale ou spirituelle. L’élève, dans sa nature comme dans sa finalité, détient la primauté sur la technologie.
2. La technologie doit seconder la pensée sans se substituer aux savoirs essentiels. Un élève doit pouvoir faire la démonstration, oralement, par écrit ou dans l’action, qu’il a acquis un savoir considéré essentiel. Quand les technologies sont appliquées à un savoir-faire, elles ne sauraient court-circuiter la compréhension des étapes importantes du processus. Si le savoir en question concerne les nouvelles technologies, la règle s’applique aux outils technologiques connexes qui peuvent se substituer audit savoir.
3. La technologie doit faciliter les savoirs. Qu’il s’agisse de connaissances déclaratives ou de savoir-faire, les technologies doivent optimiser leur acquisition ou leur objectivation. Ainsi, la motivation peut s’avérer un facteur efficace.
4. La technologie doit se conformer au développement de la personne. L’usage des technologies pour exécuter des tâches répétitives encourt un risque d’abrutissement. C’est vrai également des tâches manuelles, sauf que les nouvelles technologies ont la propriété de le faire en rafale, soit à un rythme peu naturel.
5. La technologie ne doit pas contraindre la liberté dans le choix des moyens. On ne saurait imposer le recours aux nouvelles technologies en lieu et place d’une méthode manuelle. Un élève qui préfère s’acquitter d’une tâche manuellement doit avoir la liberté de le faire. Il revient à l’élève de faire les choix technologiques qui correspondent à la nature de la tâche et en fonction des critères d’évaluation.
6. La technologie ne doit pas entraver l’épanouissement social. Il revient aux parents et aux éducateurs d’être vigilant pour voir à un usage équilibré des nouvelles technologies de la communication, tout en reconnaissant leurs propriétés à favoriser les réseaux sociaux.
Il est difficile de définir des principes très spécifiques au regard de l’utilisation des nouvelles technologies de la communication, considérant leur variété et leur ubiquité. Par ailleurs, la vitesse de leur évolution rend quasi impossible l’établissement de règles strictes. Personne, d’ailleurs, ne veut s’embarrasser d’une réglementation. Je crois plus utile de s’en tenir à des principes généraux qui subordonnent la machine à l’Homme, tout en confiant les détails au jugement des utilisateurs.
Soulignons à nouveau que ces principes s’appliquent à l’éducation. La distinction est importante, car je crois important de limiter l’exercice aux années de formation pendant lesquelles la personne, et principalement le cerveau, est en développement. On situe aujourd’hui cette maturité à environ 25 ans. Ce qui ne veut pas dire que leur application est absolue. Il y a une question de degrés et de jugement qui exigent sans doute une application plus rigoureuse des principes en bas âge.
Mise à jour, 10 décembre 2006 | La participation de Pierre m’a amené à ajouter un paragraphe en fin de texte pour mettre en évidence le cadre éducationnel de l’exercice. Mais surtout, sa réflexion très pertinente a entraîné une modification du 2e principe, que je limite aux savoirs essentiels.
Mise à jour, 24 avril 2007 | Pour une perspective philosophique des nouvelles technologies, voyez d’abord la conférence de Michel Serres sur leur originalité, puis celle d’Edgar Morin sur le thème de l’intelligence de la complexité.
Mise à jour, 04 août 2010 | Dans une conférence aux Chaires de recherche du Canada, Andrew Feenberg de la Chaire de recherche du Canada en philosophie de la technologie présente 10 paradoxes de la technologie résumés par Mind-o-licious (10 Paradoxes of Technology) et que je traduis succinctement :
1. Le paradoxe des parties et du tout
2. Le paradoxe de l’évidence
3. Le paradoxe de l’origine
4. Le paradoxe du cadre (frame)
5. Le paradoxe de l’action
6. Le paradoxe des moyens
7. Le paradoxe de la complexité
8. Le paradoxe de la valeur et du fait
9. Le paradoxe de la démocratie
10. Le paradoxe de la conquête
Mise à jour, 29 décembre 2010 | Au constat de la pénurie d’articles relatifs à l’éthique des TIC, je prends note de ce billet de Doug Johnson qui présente une douzaine de conseils sur le sujet : A dozen ways to teach ethical and safe technology use. J’apprécie particulièrement l’approche participative de l’enseignant dans le respect des apprenants.
1. Que les TIC soient ressaisies dans une logique d’institution (dans le sens de conventions sociales) plutôt que dans une logique de service.
2. Que l’horizontalité des échanges n’écarte pas l’exigence de vérité.
3. Que la multiplication des images n’abolit pas la capacité à construire du symbolique.
4. Que cette utilisation ne fasse pas oublier les fondements anthropologiques de l’entrée dans l’écrit.
L’invitation est trop alléchante pour ne pas mordre à l’hameçon. Une étudiante à l’UQAM lance un appel auprès des enseignants pour connaître leur avis sur les difficultés d’intégration des nouvelles technologies de l’information en éducation. Comme le sujet m’intéresse vivement, et dans un esprit de coopération entre chercheurs et praticiens, je n’allais pas laisser passer si belle occasion. Je présenterai le point de vue d’un technophile qui se bute à l’immobilisme. Je procéderai par paliers, non pas pour éclabousser les fonctionnaires, mais parce que leurs décisions ont un impact sur ma pratique.
Les ressources associées au Web 2.0 ont actuellement la cote (eSchool News : A paradigm shift for school software?). En regardant autour de moi, toutefois, je constate qu’on les utilise fort peu. Hormis quelques outils collaboratifs, je les néglige moi aussi. Leur lenteur et la rigidité des produits m’exaspèrent. En toute justice, je reconnais que ces outils n’en sont encore qu’à leurs débuts ; bien malin celui qui peut prédire comment ils évolueront. Pour l’instant, je préfère les applications qui reposent sur mon ordinateur, comme Pathway, un merveilleux logiciel pour Mac qui permet de condenser une recherche à l’aide de Wikipedia.
Ce que les sorciers du MIT concoctent ne transforme notre quotidien que beaucoup plus tard. L’intérêt réside justement dans le fait qu’ils ouvrent une fenêtre sur l’avenir. La vidéo ci-dessous illustre les usages à venir des nouvelles technologies de l’information en science et en éducation (Eide Neurolearning Blog : Sketching at MIT Video). Le présentateur ne manque pas de souligner les avantages de cette technologie sur le papier (ou le tableau noir). De plus, un professeur y verra immédiatement l’utilité de l’animation et de l’interaction sur le plan de la compréhension. Mais surtout, je suis frappé de l’incapacité des universités à préparer les futurs enseignants aux technologies de demain. L’école ne fait guère mieux avec les élèves.
Une nouvelle étude démontre l’efficacité des technologies de l’information comme outils d’apprentissages quand elles sont utilisées judicieusement et appuyées d’une formation et d’un soutien adéquats (eSchool News : Ed tech has proven effective). Les auteurs de l’étude (PDF) concluent également que les éducateurs ont sous-estimé les difficultés d’intégrer les nouvelles technologies, tout en surestimant leur rapidité à produire des résultats. Selon John Bransford et Ann Brown, spécialistes de la cognition et éditeurs de How People Learn, l’usage des nouvelles technologies doit mettre en jeu tant les connaissances tacites (celles qui sont acquises, mais difficilement articulées) que les connaissances explicites (celles qui sont facilement articulées et clairement définies).
Le cyberespace prend de plus en plus l’allure d’un monde parallèle. La popularité de MySpace a donné lieu à MyDeathSpace, une poignante collection de jeunes cybernautes happés dans la fleur de l’âge, incluant la couverture médiatique de leurs décès (source : Couros Blog). Les nécrologies ne devraient pas intéresser que les vieillards. Morbide, certes, mais néanmoins un moyen puissant de sensibiliser les jeunes aux dangers qui les guettent, eux qui se croient invincibles ou pour qui la mort n’est qu’une considération lointaine. Les causes de décès sont effarantes : overdose, combat, travail, noyade, meurtre, auto, moto, suicide, etc.