Il est hélas devenu évident aujourd’hui que notre technologie a dépassé notre humanité. (Albert Einstein)
Toronto est sous le choc après qu’un jeune se soit introduit dans une école pour tuer un élève avec une arme de poing (Cyberpresse : Fusillade mortelle dans une école de Toronto). La ville, par ailleurs, semble envahie par les armes à feu (National Post : Toronto is a city of guns, councillor says). Faut-il s’en étonner dans une jungle urbaine où un pistole s’obtient au prix d’un iPod, à proximité de nos voisins du sud qui les dispensent comme ils vendent des autos. Le Québec, comme nous savons trop bien, n’est pas à l’abri des armes à feu. De fait, nous nous entourons de technologies qui sèment la violence.
L’artificiel est foncièrement une dénaturation, une violence en soi dans la mesure où ce changement rompt l’équilibre entre l’être et l’environnement. L’Homo faber est le champion incontestable de la fabrication d’objets pour faciliter son rapport à l’environnement. Par cette faculté, il s’est élevé au sommet de la chaîne alimentaire, le grand mammifère le plus répandu de la planète. D’un point de vue anthropocentrique, l’Homme retire de la technologie des bénéfices immenses, jusqu’au moment où celle-ci se retourne contre lui (armement, réchauffement climatique, etc.).
La violence faite à la nature n’est pas le seul danger qui guette l’Homme. Certains produits de la technologie sont intrinsèquement dangereux, en ce qu’on leur confère une puissance capable d’enlever la vie d’une seule convulsion de l’esprit. L’automobile et les armes à feu en sont les exemples les plus évidents. Mais il y a aussi un degré de violence dans tous les petits objets que nous créons et qui, quoique bénéfiques, nous affaiblissent dans la dépendance au confort. Il reste que l’Homme est un être créatif, par conséquent technologique, et qu’il serait fallacieux de le considérer autrement que par ce qui le caractérise.
Je crois utile, toutefois, de distinguer les inventions qui contribuent volontairement à hausser la qualité de la vie, telle l’aspirine, de celles qui ont le pouvoir de l’amoindrir chez autrui, comme une arme à feu. C’est d’ailleurs pourquoi celles-ci doivent être légiféré. Néanmoins, la plupart d’entre elles ont d’abord été créées pour faciliter l’existence. L’automobile a largement amélioré la vie des individus, mais demeure néanmoins l’une des principales causes accidentelles de décès. Au nom de la liberté, on ne remet pas en question la logique d’autoriser des bolides sur la voie publique, comme si la liberté était une chose absolue, ou que le droit de voter était un laissez-passer à l’ineptie.
Les nouvelles technologies de la communication ne font pas exception. Leur potentiel est tel qu’on n’hésite pas à les confier à des enfants. Malheureusement, leurs avantages sont assombris par les écarts de conduite de quelques-uns, tant jeunes (cyberbullying) qu’adultes (pédophilie), qui en utilisent le mauvais tranchant. Les jeunes surtout, eux qui baignent dans les nouvelles technologies avant l’âge de la raison, sont facilement enclins à déverser leurs frustrations dans Internet sans réaliser l’indélébilité de leurs attaques. Des écoles n’ont d’autre choix que de réagir légalement (BBC : Students criticise staff on net); j’ai même dû intervenir ce matin pour rappeler à une élève le côté éthique des évaluations en ligne.
Immanquablement, la réaction des autorités est de resserrer les mesures de contrôle, de plus en plus par des moyens technologiques. Le gouvernement veut installer des radars photo sur les routes (Le Soleil : Un autre pas vers les radars photo), le RTC envisage d’installer des caméras de surveillance dans les autobus de la ville de Québec (Le Soleil : Des caméras dans les bus), les chauffeurs d’autobus scolaires réclament eux aussi des caméras (Le Soleil : Du calme, vous êtes filmés !), tout comme les autorités municipales de Toronto (Globe and Mail : Beef up surveillance now, school trustees urge). Tout le monde n’en a plus que pour les technologies de surveillance. Il ne suffit pas que les écoles censurent Internet. Personne ne semble voir que l’excès de technologie à des fins de sécurité constitue une menace plus grave que le problème visé, le remède pire que le mal.
Il y a un réel danger à contrer la technologie par la technologie. C’est une spirale qui nous asservit immanquablement. Il faut se garder de sacrifier la liberté au profit de la sécurité. Surtout la sécurité confiée à l’autorité des gouvernements. Il y a une ligne que je ne suis pas disposé à franchir, celle qui incombe à chaque individu d’assumer son rôle de citoyen et d’élever la voix pour dénoncer les écarts de conduire dans la communauté. Ou bien on s’en charge, ou on accepte d’en confier la responsabilité aux gouvernements. Inévitablement, c’est tendre à la coercition et à l’uniformité.
La vie a toujours comporté une part de risque. Le risque, par ailleurs, est inhérent à la créativité. On peut même avancer que la vie est l’adaptation au danger. Si nous nous définissons par l’usage de nos technologies, il revient à l’école d’y préparer les élèves, principalement dans la quête de sens et la délimitation du risque. Éliminer tout danger équivaut à dénaturer l’Homme en contraignant graduellement les limites de la liberté, jusqu’à l’étouffement. D’un point de vue social, il n’y a pas de pire violence.
Mise à jour, 6 juin 2007 | Dave Pollard se penche également sur le rapport de l’homme à la technologie (How to Save the World : The Thing about Technology). Un excellent texte dans lequel il défend la thèse selon laquelle la technologie crée éventuellement des problèmes insoupçonnés.
Mise à jour, 16 octobre 2007 | La recherche d’un professeur de l’Université de Montréal indique que les enfants ont des comportements plus violents que les adultes parce qu’ils n’ont pas encore appris les conséquences des gestes agressifs (BBC : Young ‘more iolent than adults’). Ceci laisse croire que le cyberbullying dont font preuve les adolescents est également la conséquence d’un manque de maturité.
(Image thématique : Machine Age, par Iris Hauser)
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