L'incohérence du P.E.I.

ChevalNatureAbsurdity.jpgIl y a deux sortes d’abus : ceux qui naissent de la logique d’un régime, et ceux qui naissent de son incohérence. (Gilbert Cesbron)

Je sors d’une présentation pénible pendant laquelle la direction de l’école avait la tâche ingrate d’exposer à l’ensemble des enseignants une ébauche de la maquette des cours pour l’année prochaine. Avec l’arrivée du prétendu renouveau pédagogique, les changements affectent principalement le 4e secondaire. Les ukases du ministère ne laissent malheureusement que très peu de marge de manoeuvre à la direction. Par conséquent, nous avons assisté aux récriminations usuelles des corps disciplinaires qui revendiquent chacun plus de temps d’enseignement. Sauf au P.E.I., où tout est prédéterminé.

Quelques observations d’abord sur les revendications des professeurs, dans l’ensemble légitimes. Le système ne sait plus comment composer avec l’explosion des connaissances, des savoirs, des disciplines et des compétences. Tout ce beau monde continue de se disputer 36 blocs de cours, étalés sur 9 jours, dans un cadre immuable. Devant si peu d’élasticité, la chaudière commence à surchauffer. Sans compter que des disciplines comme l’éducation physique maintiennent leur frugalité de 2 périodes par cycle de neuf jours au moment où les besoins n’ont jamais été aussi criants.

Le problème de l’exiguïté de la maquette tient largement à la vieille compartimentation disciplinaire. Or, il n’y a plus assez de blocs pour l’ensemble de la matière. La seule solution est d’abandonner l’inflexibilité des solides pour la fluidité de l’interdisciplinarité et de l’individualisation. La beauté des fluides est dans leur liberté de forme et leur mixtion. La maquette est un casse-tête administratif en grande partie parce que l’on reste coincé dans de vieilles pratiques. Poursuivant sur l’analogie des blocs disciplinaires, l’expression anglaise think outside the box n’a jamais été plus appropriée.

Je suis sidéré que l’on fasse si peu de cas des élèves dans l’élaboration de la grille des cours. Il faut bien une logique d’administrateur plutôt que d’éducateur pour justifier l’absence de choix en fonction de la majorité. Les nouvelles technologies, pourtant, pourraient assouplir un cadre de fonctionnement en fonction des besoins des élèves, plutôt que d’obliger ceux-ci à se mouler à la rigidité du cadre organisationnel.

Le problème est encore plus grand au Programme d’éducation internationale, alors que tous les cours ont déjà été arrêtés de la première à la cinquième année. Pour mousser ce qui appert de plus en plus comme un programme élitiste, on a déjà décidé, dans l’éventualité d’un choix et sans égard pour la spécificité de l’élève, du cours le plus difficile, notamment en anglais et en mathématiques. Comme le dénonçait une enseignante, la vocation humanisante du P.E.I. est abandonnée aux impératifs des sciences et de la technologie, à la compétition et à l’égocentrisme. L’humanisation cède le pas à l’aliénation.

L’incohérence du P.E.I. se manifeste plus particulièrement dans la négation de ses fondements. La philosophie du P.E.I. repose sur la primauté d’apprendre à apprendre. Mais comment, d’une part, justifier l’admission à un programme qui repose sur la nature de l’apprentissage à une élite intellectuelle? Pis encore, comment valoriser la notion d’apprendre à apprendre dans un programme où tout le parcours est réglé d’avance? Est-ce que le choix de cours n’est pas intrinsèquement relié à la notion d’apprendre à apprendre? Je signale, au passage, que l’autonomie, définie comme la « capacité de se prendre en charge, d’effectuer des choix et d’assumer la responsabilité de ses actions », constitue l’une des cinq valeurs fondamentales du projet éducatif (PDF) de l’école. Comme quoi les grandes idées ne sont que poudre aux yeux.

Un directeur adjoint s’est rabattu à plusieurs reprises sur les exigences de la SÉBIQ. C’est là, il me semble, que le bat blesse : l’autorité décisionnelle est reléguée à un organisme extérieur. Nous avons la bureaucratie facile au Québec, comme ailleurs. Mais dans le cas présent, il faut rapatrier le leadership à proximité des élèves.


(Image thématique : The Nature of Absurdity, par Michael Cheval)


Par ricochet :
Des écoles abandonnent le P.E.I. : je suis d’accord

Projet pilote d'écoles autonomes

Voici le genre d’initiative dont j’espère obtenir des échos à l’avenir : des écoles du district scolaire de Toronto se voient accorder plus d’autonomie pour mieux composer avec les milieux multiethniques et monoparentaux aux prises avec la pauvreté, une puériculture inadéquate et les gangs de rues (Globe and Mail : The little school that could). Les trois écoles qui participent à la phase initiale du projet, Firgrove, Nelson Mandela et Willow Park (quatre autres écoles s’ajouteront bientôt), seront associées à la faculté d’éducation de l’Université York et recevront une aide financière pour faciliter le virage. Ça, c’est une réforme !

Il est rafraîchissant de voir des écoles miser sur la participation de la communauté. Il est tout aussi valorisant de voir qu’on fait confiance au professionnalisme du personnel pour mener la barque. La mer est houleuse, cependant, dans ces milieux défavorisés, et le cap ne sera pas facile à garder.

Je crois fermement en la décentralisation des systèmes scolaires. C’est pourquoi je prône une école communautaire, dans l’esprit d’une cité éducative si chère à Clément. Après avoir formé, à grands frais, des professionnels de l’enseignement et de la gestion, il est temps d’étendre leur marge de manoeuvre.

Certains objecteront que les écoles du projet pilote jouiront d’une aide financière qui faussera les résultats. Sans doute peut-on allouer de semblables ressources à toutes les écoles en allégeant l’appareil administratif, notamment en se débarrassant des commissions scolaires, pour ensuite redistribuer les économies aux instances locales.

On ne saurait réussir une réforme de l’éducation sur la seule base des méthodes pédagogiques. Il faut aussi secouer l’appareil administratif.

Mise à jour, 04 septembre 2010 | Le magazine Good contient attire notre attention sur un reportage du Christian Science Monitor (School teachers in charge? Why some schools are forgoing principals) qui se penche sur l’émergence d’un courant scolaire qui, pour accroître l’autonomie des enseignants, dispense les écoles d’une direction (Good : What’s the Advantage of a School Without a Principal?).


Par ricochet :
Écoles communautaires
La caducité des commissions scolaires
Définitions de la communauté
Augure des Cités éducatives à venir
Des écoles communautaires pour le Québec ?

La caducité des commissions scolaires

Le temps est venu d’abolir les commissions scolaires. Les déboires de la réforme, le cafouillis de l’intégration des TIC, la croisade contre les écoles privées, et la débandade au ministère de l’Éducation, dont le fiasco des prêts étudiants n’est que la dernière manifestation, témoignent de la nécessité de réorganiser le système de l’éducation. …

Force est de constater que les nombreux problèmes qui affligent l’éducation au Québec résultent de nombreuses années de restrictions budgétaires. Le secteur de l’éducation crie famine. Cependant, tout le monde réclame plus d’argent. À qui donner la becquée ? De fait, j’ai beau retourner la question dans tous les sens, je ne vois qu’une solution : redistribuer les ressources autrement.

La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) a causé tout un émoi, récemment, en proposant « que le gouvernement du Québec mette fin au financement public du réseau d’écoles privées et qu’il réinvestisse ces sommes au sein du réseau public. » La proposition a fait couler beaucoup d’encre, comme en font foi la tapée d’articles dans Le Devoir d’aujourd’hui :

Tout compte fait, il ne sert à rien de tirer en rafale sur les écoles privées. La cible la plus visible n’est pas toujours la bonne. De surcroît, on risque de faire plus de mal que de bien. On peut douter des économies après que l’on ait relogé tous les élèves et absorbé le coût social de l’hécatombe des institutions en faillite. Par ailleurs, les écoles privées sont une source de diversité et d’émulation dont on ne saurait se passer. Il faut plutôt regarder ailleurs, notamment dans les châteaux forts des commissions scolaires qui engloutissent des sommes considérables, pour un bénéfice, somme toute, bien maigre.

À une époque où les enseignants étaient formés à l’école normale et où la communauté n’avait guère les ressources humaines pour superviser la qualité de l’éducation, les commissions scolaires représentaient un maillon important entre le gouvernement et les écoles. Les choses ont bien changé. Les enseignants sont maintenant des professionnels avec un diplôme universitaire. En outre, la génération des parents d’aujourd’hui est issue de l’école obligatoire et chaque village, si petit soit-il, a son lot d’universitaires. Ainsi, chaque communauté dispose des ressources humaines capables d’assurer la gouverne des écoles.

Dans ce contexte, la centralisation de l’éducation, avec autorité déléguée aux commissions scolaires pour assurer l’administration locale, est une aberration. Reconnaissons à l’État le rôle de déterminer les principes et les grands objectifs en matière d’éducation. Pour le reste, il faut faire confiance au milieu, à la condition de leur donner aussi les moyens. À cet effet, les écoles privées ont bien démontré la capacité des établissements indépendants de bien gérer l’éducation.

De plus, les conseils d’établissement témoignent de l’efficacité de la communauté à collaborer à la gestion des écoles. La volonté aussi est manifeste, bien au-delà des élections scolaires pour élire les commissaires. Le taux de participation à ces élections frôle le ridicule ; sans compter la politicaillerie des élus qui font généralement peu de cas des élèves.

L’appareil bureaucratique des commissions scolaires coûte très cher à l’État. Il appert que l’investissement n’est plus rentable et que la somme serait utilisée à meilleur escient si elle était redistribuée dans les écoles. Pour faire une analogie, malheureusement sarcastique, il faut éliminer les profiteurs entre le donnateur et les sinistrés.

En plus d’une population plus scolarisée, plusieurs facteurs justifient l’autonomie des communautés à gouverner les écoles. D’abord, celles-ci se sont toutes dotées d’un projet éducatif et d’un plan de réussite qui constituent les fondements d’une bonne gestion. Ensuite, les technologies de l’information assurent un lien direct entre les instances gouvernementales et les écoles, particulièrement au regard des ressources éducatives ; sans compter qu’elles permettent un réseautage plus étendu que les commissions scolaires. Sans ces dernières, il est même fort à parier qu’on assistera à un rapprochement des écoles publiques et privées. Enfin, il n’existe pas de moyen plus dynamique d’établir l’interaction avec la communauté, interaction si chère à la réussite de la réforme.

Cette réforme de l’éducation, à laquelle j’adhère, nécessite également une réforme de la structure administrative. Pour éviter les dérapages, et compte tenu de l’ampleur des fonds publics investis, un appareil de supervision doit être maintenu. Je suggère que les commissions scolaires soient remplacées par un seul bureau régional, relevant du ministère de l’Éducation, et qui assurerait le relais entre ce dernier et les écoles. Le mandat de ces bureaux serait fort limité (perception des taxes scolaires, supervision de la qualité des services, quelques services complémentaires pour répondre aux besoins des écoles). Les économies ainsi réalisées seraient considérables. Au besoin, le bureau régional pourrait assurer la tutelle des écoles déficientes ou de celles qui, faute de moyens, en font la demande.

Plusieurs traiteront cette proposition de ridicule. J’entends déjà la clameur provenant des administrateurs scolaires. Cependant, la situation exige des solutions radicales. Le moment n’est plus au rabibochage, mais à l’innovation.

Mise à jour, 26 janvier 2008 | Il n’y a pas qu’au Québec où on remet en question la pertinence des commissions scolaires. Aux États-Unis, Matthew Miller conclut également que les commissions scolaires sont une structure qui a fait son temps (The Atlantic : First, Kill All the School Boards).

Mise à jour, 15 avril 2009 | Voici qui n’est pas pour rallier le public à la cause des commissions scolaires : le Journal de Montréal affirme que la FCSQ « garde dans ses coffres un «coussin» d’environ 400 000 $ de fonds publics et verse à ses dirigeants des salaires de hauts fonctionnaires. » (Canoë : Surplus et gros salaires). Je reproduis ci-après le tableau des salaires et des dépenses le l’équipe de dirigeants de la FCSQ.

    salairesfcsq

Mise à jour, 17 janvier 2010 | Dans une analyse sévère du coût des commissions scolaires au Québec, l’économiste Paul Daniel Muller de l’Institut économique de Montréal dresse un bilan qui évalue à une centaine de millions de dollars par année les économies que la province pourrait faire en se débarrassant de cette structure administrative (Argent : Les commissions scolaires : une institution à réformer). On notera, malheureusement, l’absence de références quant aux sommes avancées. Par ailleurs, Muller recommande, avec une certaine sagacité, que cet argent serve non à des économies, mais soit réinvesti dans la lutte au décrochage.

Mise à jour, 06 février 2011 | Deux articles de blogue, coup sur coup, étayent la thèse d’une autonomie décentralisée. D’abord, un billet de Jean-Paul Jacquel qui analyse le sujet dans une perspective européenne (Solution de continuité : Que peut signifier plus d’autonomie pour les établissements scolaires?). Plus près de nous, un résumé du livre de deux professeurs de l’Université Concordia, Autonomy in the Workplace: An Essential Ingredient to Employee Engagement and Well-Being in Every Culture, qui souligne les bénéfices de l’autonomie (Planet techno science : Quand liberté rime avec satisfaction des employés) :

Les travailleurs qui bénéficient d’une certaine autonomie – c’est-à-dire qui se sentent libres et responsables de leurs choix professionnels − sont plus heureux et productifs.


Par ricochet :
S’affirmer aux dépens des écoles privées : invitation au dialogue ! (Mario tout de go)

Un directeur avec du cran

On ne peut pas accuser Pedro Garcia de manquer de culot. Ce directeur d’un district scolaire du Tennessee, qui ne fait pas l’unanimité, invite parents, élèves et autres à évaluer son travail à l’aide d’un sondage en ligne. J’aimerais avoir le temps, et le courage, d’en faire de même. Mieux vaut encaisser un coup sec qui laisse une contusion palpable, qu’un mal invisible et nécrotique.