Les enfants-rois (sans les manières souveraines)
Il n’y a pas de fumée sans feu. Trop de gens ont à se plaindre de l’inconvenance des enfants aujourd’hui pour qu’il ne s’agisse pas d’un phénomène important. Je ne suis pas étonné que les psychologues s’en mêlent, car je subis ce genre d’agression tous les jours à l’école, malgré le fait que j’ai affaire à une clientèle privilégiée. À tel point que le sujet est devenu une véritable ritournelle dans la salle des enseignants. Judith Warner, auteure de Perfect Madness: Motherhood in the Age of Anxiety, s’est intéressée à la question dans un article du New York Times : Kids Gone Wild.
Les points saillants de l’article :
Un sondage indique que seulement 9 % des adultes américains considèrent les enfants respectueux des autres adultes en public.
Un autre sondage révèle que le tiers des enseignants ont sérieusement songé à quitter la profession en raison du comportement intolérable des élèves. (J’appartiens à cette catégorie.)
Les éducateurs se sentent impuissants : près de 80 % des enseignants ont entendu des élèves brandir des menaces de poursuites judiciaires, et la moitié affirme ne pas pouvoir compter sur les parents ou la direction d’école pour renforcer la discipline.
Selon des psychologues, les parents seraient largement responsables du manque de savoir-vivre de leurs enfants :
- - les parents ambitieux et soucieux du statut social exercent des pressions pour que les enfants réussissent mieux, et non pour qu’ils se comportent mieux ;
- les sports de compétition sont plus populaires que jamais ;
- l’obsession de la réussite fait en sorte que l’on valorise le succès ; les devoirs scolaires ont augmenté de 50 % ces 25 dernières années ;
- les parents sont trop fatigués pour enseigner les conventions sociales ;
- pour plusieurs parents, les enfants sont un antidépresseur, leur moment de soleil dans la journée ; ils n’ont nullement envie de crier ou d’admonester leurs enfants pour leur montrer comment se comporter.
À ces considérations, j’ajoute les points suivants :
La dévalorisation de la profession d’enseignant dans l’échelle sociale.
Le peu de respect que les jeunes ont pour l’école, ce qui finit par retomber sur les éducateurs.
La baisse démographique, laquelle produit inévitablement des enfants-rois ou égocentriques.
Le bombardement d’informations émancipées dans les médias (magazines, télé, Internet, etc.) sur des cerveaux dont le stade de développement n’a pas la maturité nécessaire pour bien les assimiler.
Par ricochet :
L’école, lieu d’éducation ou d’Éducation
Les ados, les blogs, et les bêtises
La fin de l’autorité scolaire absolue
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J’ajouterais une autre donne sociologique qui me semble des plus importantes (surtout pour le père de quatre que je suis) : les enfants dérangent. Que ce soit au restaurant, au musée, au salon funéraire ou même à l’épicerie, les enfants dérangent. Un enfant qui rit ou bouge dérange. Un enfant exaspère tant notre monde pressé et si conscient de la bienséance craint le sursaut.
Un enfant qui court dans un supermarché reçoit (et ses parents d’en faire aussi l’objet, les mauvais parents) soupirs et regards exaspérés. Tais-toi, tiens-toi droit, ne cours pas, ferme ta bouche quand tu manges, cesse de crier. L’enfant dérange et il est traité comme tel. L’enfant ne respecte pas les codes sociaux nous obligeant à faire le moins de vagues possible. L’enfant existe et vit sa passion sans le contrôle qu’apporte la responsabilité. Passion contenue. Passion déçue. L’enfant ne connaît pas! Explosion de vie!
J’ajouterais de surcroît que dans notre société où travail et carrière priment, l’enfant dérange autrement. L’enfant nous empêche de manger au restaurant, l’enfant est malade, l’enfant coûte cher, l’enfant prend son temps JE SUIS EN RETARD! L’enfant est tous les jours un obstacle et est traité comme tel. Notre société n’aime tout simplement pas ses enfants! L’enfant traité, jour après jour, comme un obstacle doit bien sûr intégrer cette donnée. Je suis niais, je suis dans le chemin. Notre société n’aime pas ses enfants, je crois juste de croire que ça explique au moins en partie pourquoi tant d’enfants n’aiment pas notre société et lui rendent bien!
Avec tous ces enfants des banlieues, vivant dans un monde d’adultes qui cherche à limiter toujours la place qu’ils prennent (parcs, trottoir, hockey dans la rue, etc.), je me demande bien pourquoi si peu de voitures brûlent.
Je me demande François, comment faites-vous pour enseigner dans un programme qui met l’accent sur les notes et à tout point, vous vous y opposez? Pour en revenir à un aspect où vous dites que les parents mettent l’accent sur les notes, je crois que ce sont les professeurs qui mettent l’accent sur ce point. Si tu as pas en haut de 75 j’appelle tes parents, si tu réussis pas tu coule. Les menaces fussent de toute part.
Les profs ne se comportent pas toujours mieux. Quand nous sommes en examen, ils rentrent dans une salle de classe et se mettent à parler avec le surveillant, ils nous interdisent de boire de l’eau et eux ils le font, si on arrive en retard ils le notent et quand ils arrivent en retard ils ne s’excusent pas… Ce n’est pas grave, c’est toujours eux qui ont le dernier mot et l’autorité. Je ne crois pas que nous puissions critiquer les adolescents, ils ne font que s’exprimer car ils n’ont pas le temps de le faire ailleurs. Les devoirs arrivent de partout et occupent tout notre temps. Les enfants sont ce que la société veut bien en faire.
Effectivement, Charles-Antoine (Sacco), il n’est pas facile de concilier épanouissement des enfants et conventions sociales. Et pourtant, l’apprentissage de ces conventions, aussi contraignantes soient-elles parfois, relève de l’éducation. La vie en société nécessite forcément le sacrifice de certaines libertés individuelles quand celles-ci se heurtent aux besoins d’autrui. Malheureusement, ce sont toujours les plus faibles qui écopent, c’est-à-dire les enfants, les vieillards, et les pauvres (malgré le spasme des cocktails Molotov).
Tu as raison d’affirmer que nous avons resserré l’étau autour du champ d’exploration accordé aux enfants. Néanmoins, cela n’excuse pas le manque de respect, chez qui que ce soit. L’âge constitue certainement un facteur, car on pardonnera plus facilement à un enfant qu’à un adolescent.
Ta question est fort pertinente, Louis-Vincent. Il se trouve que j’ai beaucoup de difficulté à composer avec les exigences du système scolaire au regard de l’évaluation. Mais à ce que je sache, le problème est omniprésent. Pour y échapper, il faudrait que je quitte l’école. J’ai bien essayé une fois, mais sans trop de succès.
Je comprends ton irritation à l’endroit des profs qui ne prêchent pas par l’exemple. Je trouve ton commentaire intéressant en ce qu’il fait valoir que les jeunes peuvent ressentir autant d’irritation du comportement des adultes que vice versa. Le dialogue est sans doute une solution, mais on ne prend plus le temps de s’arrêter pour parler des choses importantes.
P.-S. Tous mes compliments pour la qualité de ton écriture ; tu fais des progrès splendides !