Des écoles abandonnent les portables pour élèves


ArikhaTools.jpgSi l’homme ne façonne pas ses outils, les outils le façonneront. (Arthur Miller)

Des écoles américaines commencent à retirer les ordinateurs portables des mains des élèves après un constat d’échec (New York Times : Seeing No Progress, Some Schools Drop Laptops). Les dirigeants évoquent la stagnation des résultats scolaires, les coûts associés au programme, l’engorgement de la bande passante et les actes de délinquance tels que la triche, le piratage et la collecte de porno. C’est inévitable si on doit confier aux élèves un outil plus puissant qu’un système vieillissant, sans modifier les pratiques. On ne peut pas introduire des ordinateurs dans la classe en perpétuant des méthodes directionnelles et en espérant que les élèves vont sagement réduire l’utilisation de l’outil à des fonctions de bureautique. L’apprenant, dans son individualité, est de nature curieuse.

Le problème vient du fait que l’ordinateur n’est pas spécifiquement conçu pour l’apprentissage, et encore moins pour les apprentissages proprement scolaires. Ses fonctions débordent de la finalité de l’école. Les élèves sont aux commandes d’un outil d’adulte. Sans la compréhension et la métacognition relatives à l’outil (essence, finalité, éthique, intelligence émotionnelle, apprendre à apprendre), c’est une arme. Cette métacognition fait non seulement défaut aux élèves, mais elle manque également aux professeurs et aux gestionnaires. Cependant, elle se développe le mieux à l’usage, d’où l’importance de commencer dès l’enfance avant que l’adolescence s’en mêle. Mais encore faut-il un accompagnement et une supervision éclairée.

On a tort de mesurer l’efficacité des portables scolaires aux jalons d’anciennes mesures académiques. Car l’apprentissage ne se résume pas aux connaissances des tests standardisés. Il faut aussi considérer tous les apprentissages faits en marge des programmes officiels. Comme le disait Edgar Morin, « L’intelligence, ce n’est pas seulement ce que mesurent les tests, c’est aussi ce qui leur échappe. » Quant à la délinquance des jeunes, la décision de priver tous les élèves consciencieux d’un instrument aussi efficace en raison de quelques abrutis est tout à fait aberrante; il ne nous vient pas à l’esprit d’interdire les ordinateurs personnels à cause de la cybercriminalité.

Les études récentes concluent pourtant que les compétences TIC favorisent la réussite scolaire (OCDE : Les élèves qui maîtrisent l’informatique obtiennent de meilleurs scores à l’école, selon une étude de l’OCDE). Pourquoi ces mêmes compétences ne peuvent-elles pas être développées, puis mises à profit dans le cadre des programmes scolaires? L’échec tient moins à la maîtrise de l’instrument par les éducateurs qu’à l’instrument lui même. Une étude (New Technology in Schools: Is There a Payoff?; PDF) de l’IZA indique effectivement que l’utilisation des nouvelles technologies à l’école entraîne des effets positifs lorsque la formation et les pratiques sont adéquates.

L’immobilisme n’est pas une solution quand tout change autour de nous, du moins pas pour la jeunesse. Personne ne prétend que l’adaptation au changement est facile. C’est en unissant nos efforts et en faisant preuve de persévérance que nous trouverons des solutions. Les diktats n’ont, de la part des jeunes, qu’un semblant de conformité. On aura beaucoup plus de chances de réussir en les faisant participer à la résolution des problèmes.

Mise à jour, 9 mai 2007 | Autres réactions à cette nouvelle dans la blogosphère anglophone :

Mise à jour, 15 mai 2007 | Une autre réaction, dans un grand quotidien cette fois, signée Justin Reich, co-directeur du Center for Teaching History with Technology (The Christian Science Monitor : Laptops in the classroom: Mend it, don’t end it). Mario a également abordé le sujet (Mario tout de go : Ordinateurs portatifs à l’école: bénédiction ou fléau?).

(Image thématique : Outils de gravure, par Avigdor Arikha)


Par ricochet :

L’appropriation des TIC par les ados

Les TIC : un indicateur de réussite scolaire

L’efficacité des portables en classe mis en doute

Pourquoi les TIC dans les écoles

Étude : les TIC favorisent l’apprentissage

Les profs sont unidirectionnels, les élèves multi

Comment implanter des portables


Les droits imprescriptibles de l’enseignant (Blogue du RAEQ)

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7 réponses

  • Renaud dit :

    C’est désolant de constater qu’une école ou District implante un projet de portables sans accompagnement pour les enseignants, ne changent pas les pratiques et se surprennent que ça ne fonctionne pas. La composante principale de l’intégration de la technologie restera toujours la formation des maîtres. Il n’est pas inné d’intégrer la technologie en classe, il faut apprendre à le faire et la technologie peut alors remplir son rôle et rendre l’école plus pertinente. Mais sans changement de pratiques, pas de résultat.

  • L’enseignement est à la fois un art et une science. Malheureusement, plusieurs enseignants qui réclament la liberté de l’artiste ne sont que des imitateurs. Pour l’instant, il n’y a pas assez d’instigateurs pour créer une onde de choc.

  • J’ai du mal à comprendre pourquoi l’on parle si peu des possibilités d’application des TIC à l’organisation d’un espace collectif d’apprentissage.
    Pour l’essentiel, la question de l’apprentissage me semble devoir se formuler ainsi: Que pouvons-nous faire ensemble de stimulant et de constructif en nous fondant sur la parole vivante qu’on échange entre soi?
    Les TIC peuvent être utilisées pour favoriser ces modes de collaboration verbale et directe, tandis qu’on attend d’elles, le plus souvent, me semble-t-il, qu’elles permettent de les éviter.

  • Une nouvelle fois merci pour cet article.

    Je tiens néanmoins à revenir sur l’enquête de l’OCDE. Ce type de résultats est toujours délicat et à prendre avec des pincettes.

    Est-ce que le facteur TIC constitue la bonne corrélation? Je me rappelle d’une enquête nord-américaine sur les résultats en histoire qui mettait en évidence que, pour des élèves qui avaient un temps comparable d’utilisation des TIC, on ne constatait pas forcément de meilleurs résultats aux tests nationaux. Deux facteurs entraient en ligne de compte : ce que l’on faisait faire aux élèves avec l’outil informatique et, encore plus significatif, le niveau socio-économique des élèves.
    Au final, la corrélation la plus fiable relativement aux résultats obtenus par les élèves restait le niveau socio-économique des élèves.
    Bourdieu/Passeron ont certainement encore de beaux jours devant eux.

  • Les considérations de Christian Jacomino pour la primauté des rapports vivants me touchent toujours. C’est en grande partie par suite de ses interventions que j’ai conçu mes principes d’intégration des TIC. Christian voit juste en misant sur la dimension collaborative des nouvelles technologies qui permettent d’étendre, plutôt que de remplacer, la portée de la coopération au-delà de l’équipe présente.

    Je remercie tout autant Lyonel de sa prudence au regard de l’enquête de l’OCDE. Peut-être y a-t-il lieu de faire référence à une autre étude aux conclusions semblables, quoique non exempte de critique. Dans les faits, il est particulièrement difficile en éducation d’arriver à des conclusions d’une certitude absolue lorsqu’il est question d’apprentissages complexes.

  • Renaud dit :

    Les américains semblent se fier énormément aux résultats de tests nationaux, et s’attendent à des résultats supérieurs, mais il a été démontré (entre autre par la recherche ACOT) que les résultats scolaires traditionnels ne sont pas nécessairement affectés par l’utilisation des TIC, mais qu’une bonne intégration des TIC affecte la rétention de l’information, le développement des compétences autres (voire transversales :-) ) et la rétention des élèves, entre autre-choses.

    Là où il y a du succès c’est où l’on étudie l’impact des technologies sur ces facteurs. Mais on obtient aussi des résultats concrets, comme à Peace-River North ou à la CS Eastern Townships, mais il reste que tout ceci est toujours contesté, d’une manière ou d’une autre. C’est en voyant ce que les élèves développent sur le terrain qu’on constate de l’impact réel des TIC bien exploitées et au service de l’éducation. À mon avis.

  • Il est certainement trop facile de discréditer le projet de recherche ACOT en raison de l’implication d’Apple. Il faut se rappeler qu’en 1985, peu de gens s’intéressaient réellement dans les implications pédagogiques de l’ordinateur. Une fois de plus, Apple était en avance sur son temps. Pour plus d’information sur ce projet, voyez l’ACOT Library, et particulièrement le rapport final (PDF). Merci Renaud.



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