La peur en éducation
Le silence fait plus peur que les cris. (Jean Cocteau)
Ce ne sont pas les fondements qui minent la réforme de l’éducation, mais sa gestion. Non pas celle des directions d’école, dont les mains des plus entreprenants sont pratiquement liées, plutôt celle des instances supérieures dont le centralisme donne une importance effrayante à toute décision. La peur d’agir, tant chez les décideurs que les praticiens, enraye le système. On parle beaucoup de résistance au changement pour expliquer les ratés de l’éducation, sans oser prononcer la peur. Serait-ce parce que celle-là est plus virile que celle-ci?
On ne peut prétendre à l’ignorance. La trouille montre sa grimace partout : la peur de s’exprimer, la peur de l’inconnu, la peur des parents, la peur des médias, la peur de la nouveauté, la peur du jugement, la peur de l’échec, la peur du désordre, la peur de l’insubordination, la peur de son ignorance, la peur de l’autorité, la peur de ses pairs, la liste est pratiquement sans fin.
La revue Educational Policy publie un numéro entièrement consacré au rôle de la peur en éducation, dont les articles sont accessibles en ligne pour un temps limité (EurekAlert! : What’s fear got to do with it?). Quoique la plupart des articles se rapportent au contexte américain, celui-ci me semble particulièrement intéressant pour la situation au Québec : Fear and Trembling in the American High School: Educational Reform and Teacher Alienation.
The authors concluded that teacher alienation was a fluid phenomenon, a seemingly basic assertion that has profound implications for teachers, administrators, and policymakers as they consider adopting or implementing reform initiatives.
Les auteurs identifient cinq facteurs qui concourent au sentiment d’aliénation des enseignants :
- le sentiment d’impuissance (powerlessness)
la futilité (meaninglessness)
l’absence de valeurs communes (normlessness)
l’isolement (isolation)
la séparation (estrangement)
C’est fou ce que je m’identifie à ces ressorts. Comme quoi l’aliénation ravage quantité d’esprits, une sorte de coupe à blanc de la pensée au profit d’un système. Que dire, maintenant, de cette même aliénation chez les élèves?
(Image thématique : Cape Fear III, par Kyle)
Par ricochet :
Défier le statu quo
Pour affronter le risque, vaincre la peur
La réforme : mission impossible
Argumentation par la peur
To «pseudonyme» or not to be? (Mario tout de go)
Anonymat et pseudonyme (PL en toute liberté!)
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J’aime bien cette phrase d’Alain qui fait de la peur(et non son absence)un fondement du courage :
« la peur est ce qui gronde dans le courage, la peur est ce qui pousse au de-là du but. »
Pour la citation, wow!
Pour quand tu parles de «cette même aliénation chez les élèves», je crois que le terme « même » est innutile : il y a certainement un malaise par rapport à l’autorité, à l’extérieur, aux égaux et à soi-même, mais je crois qu’on pourrait détailler plusieurs différence entre ces deux sentiments de peur.
Bon week-end!
À moins que les choses aient bien changé dans le milieu scolaire, j’ajouterais un sixième facteur : l’absence de solidarité.
Les chercheurs dont tu parles se sont basés sur : Melvin Seeman
American Sociological Review, Vol. 24, No. 6 (Dec., 1959), pp. 783-791
C’est un écrit fondamental. J’attire aussi ton attention à deux billets que j’ai écrits à ce sujet :
Aliénation socioscolaire prise un et
Aliénation socioscolaire prise deux
L’une de mes plus grandes jouissances éducatives naît quand je jette une idée à la tête de mes élèves, une idée suivie d’un silence en réaction à des cerveaux trop occupés à réfléchir pour parler, d’où surgit enfin une explosion d’opinions. Félix nous donne encore une fois une belle manifestation de ses réactions.
Je remercie Stéphanie de la référence. Je me suis permis de modifier légèrement son commentaire de façon à hyperlier ses deux billets.