Pas assez de contestataires en éducation


VanSelmTemperedRebel.jpgÊtre rebelle, c’est refuser l’idée que le monde est figé. (Benoît Duteurtre)

J’ai pris un bain d’étudiants aujourd’hui qui m’a décrotté de l’impersonnalité scientifique qui me colle à la peau depuis quelque temps. Car c’est au front que l’éducation se fait, en l’occurrence cette fois avec de futurs enseignants. Florian Meyer, professeur à l’Université de Montréal, m’a invité à causer avec les étudiants dans le cadre d’un cours à l’enseignement au primaire. Le sujet portait principalement sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication en éducation. Je n’ai pas vu le temps passer tant les questions des étudiants étaient franches, critiques des nouvelles idées et dans le vif du sujet.

J’avoue cependant avoir été surpris par la propension des jeunes à accepter des idées reçues, comme si leur popularité en faisait un axiome. L’université, il me semble, est l’endroit où il faut porter un regard neuf sur les choses. Après coup, il m’est venu cette réflexion que l’enseignement souffre de ce qu’il n’attire que ceux qu’il a formés à son image, dans une sorte de consanguinité qui affaiblit l’espèce. Le processus de sélection, plutôt que de favoriser l’évolution, tend à l’assimilation.

Sans compter que les forces systémiques conspirent à faire rentrer les jeunes enseignants dans le rang dès leur arrivée dans le métier. La précarité de l’emploi, entre autres, assujettit bien des têtes fortes.

Non pas que la profession enseignante manque d’intelligence ou de créativité, mais elle manque désespérément de ces esprits rebelles prêts à faire la révolution et abattre les murs.


(Image thématique : Tempered Rebel, par Arie van Selm)


Par ricochet :

Le changement en éducation : évolution ou révolution ?

L’école engendre-t-elle la résistance au changement ?

Les grandes mutations qui transforment l’éducation

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13 réponses

  • Le conservatisme du système éducatif ne s’explique-t-il pas aussi par l’attitude des parents d’élèves? C’est ce que je suggèreICI.

  • jean paul jacquel dit :

    J’ai lu récemmentdans l’interview d’un neurologue que si l’école était si peu au fait des progrès dans la connaissance des mécanismes du cerveau c’était en grande partie du au fait que le but de l’école n’est pas tant de développer l’intelligence que de fonctionner comme un lieu de transmission, des connaissances d’abord mais aussi des comportements sociaux.
    Il me semble que votre propos va dans ce sens ainsi que l’idée que l’attente des parents est de retrouver plus ou moins l’école qu’ils ont connus et que les meilleurs élèves sont ceux à qui ce jeu convient le mieux, ceux donc qui iront à l’université et dont certains deviendront enseignants, etc.
    PS : ceci est passablement caricatural, j’avoue, mais au delà de l’exagération je crois qu’il y a là une piste à creuser si l’on veut trouver des pistes pour une école novatrice et mieux adaptés à un monde qui change et aux défis qui se posent à nous et à nos enfants et/ou élèves.

  • Tout à fait d’accord… Il ne s’agit pas de stigmatiser le conservatisme des profs, même jeunes, et des parents. Mais de prendre au sérieux le fait que, plus les repères sociaux se délitent, plus on attend de l’école qu’elle se raidisse, ou qu’elle fonctionne à tout le moins comme un « conservatoire des anciennes valeurs ». C’est bien naturel, en somme. Mais cela ne fait pas l’affaire de l’école qui a besoin d’évoluer…

  • Catherine dit :

    Ce manque d’esprit rebelle, je l’ai ressenti tout au long des 3 ans et demi que j’ai passé au bac en enseignement au secondaire. J’ai souvent été « la rebelle » au milieu d’étudiants qui se contentaient de reproduire ce qu’ils avaient vu dans le passé. L’université n’a pas été pour moi le lieu où les connaissances doivent être refaites, comme je croyais que ce le serait. J’ai donc pris une pause dans l’espoir de faire mûrir mes réflexions et de commencer ma carrière en me sentant d’attaque pour défoncer les murs…

  • Ma réflexion abonde dans le même sens.

    Je suis persuadé que le monde de l’éducation vit un véritable paradoxe en lien avec la pression social.

    L’école a toujours eu comme mandat social de reproduire la pyramide sociale, donc d’assurer une certaine continuité!

    Par contre, comme société, nous lui demandons de s’ajuster aux changements tout en assurant la continuité! Tout un paradoxe.

    J’adhère aussi au fait que, comme enseignant, nous sommes d’abord et avant tout très conservateurs comme groupe social. Nous étions tellement bien dans ce système que nous avons eu peur d’aller explorer d’autres espaces, préférant demeurer dans le monde que nous connaissons bien et pour lequel nous sommes très à l’aise. :-)

    Donc, il est difficile de voir émerger des rebelles dans un tel contexte. Mais, ils existent!

  • Bonsoir François,

    D’abord, laisse-moi te souhaiter beaucoup de joie dans tes nouvelles fonctions. J’ai lu tes précisions un peu plus tôt ce soir dans un autre de tes billets.

    En ce qui concerne le sujet de ce billet, je me rangerais du côté de Martin. L’école a, depuis un bon moment, la mission d’être à la fois un agent de transmission de et de changement.

    On a un bon exemple concret de cette double mission dans le libellé de la première compétence attendue des enseignants:

    « Agir en tant que professionnelle ou professionnel héritier, critique et
    interprète d’objets de savoirs ou de culture dans l’exercice de ses
    fonctions. »

    http://www.mels.gouv.qc.ca/dftps/interieur/PDF/formation_ens.pdf (page 58)

    C’est cette posture d’héritier critique que l’école cherche à transmettre.

    Par ailleur, c’est Alain Touraine, le célèbre sociologue français, qui avait mis en lumière l’intérêt de cette posture au sein des instutions.

    L’idée principale étant qu’un individu est d’autant plus utile à sa communauté qu’il est capable à la fois de contestation et de coopération.

  • Excuse-moi pour cette deuxième publicatio, François. Mais il m’est revenu à la mémoire cet article d’Ariane Krol dans La Presse (http://www.cyberpresse.ca/opinions/editorialistes/ariane-krol/200901/04/01-814625-le-tortionnaire-en-vous.php)sur une reprise récente de la célèbre expérience de Milgram.

    Les résultats donnent à penser que le conformisme est loin d’être l’apanage du milieu scolaire.

  • Travaillant aussi dans le domaine de la formation initiale et continue des enseignants, j’observe plusieurs choses :
    la préoccupation du débutant dans l’enseignement c’est d’être « adapté ».
    Les enseignants sont pris dans un faisceau de contraintes dont ils se sentent davantage objets que sujets (ce qu’ils sont pourtant).
    La forme de l’école, ce que Guy Vincent nomme la forme scolaire est un des plus puissant vecteur, réel et imaginaire de résistance au changement et à la mise en cause du modèle.
    Cette forme s’appuie aussi sur le projet d’industrialisation de l’enseignement qui est celui qui traverse les gouvernants de tous les pays (cf Jules Ferry en 1880).
    Personne n’a intérêt dans l’organisation scolaire à ce que l’école se penche trop sur ce qu’elle fait vivre aux élèves, sinon la remise en cause serait probablement trop forte.
    Les TIC sont un bon révélateur de tout cela, et cette résistance collective risque fort de disqualifier le système scolaire de tous les pays occidentaux dans les 10 prochaines années.

    Bruno Devauchelle

  • Pour ajouter à cette discussion fort intéressante.

    À mon avis, la mentalité contestataire va de pair avec l’esprit d’une génération et d’une société. Pour prendre le très connu exemple des événements de mai 1968, qui ont révolutionné le système d’éducation en France, les étudiants se rebellaient contre une machine qui avait fait son temps, et qui ne correspondait plus à leur façon de voir le monde.

    En outre, est-ce que la faculté de voir plus loin que la théorie enseignée doit être amenée par les étudiants? L’enseignant n’a-t-il pas une rôle central pour pousser ses élèves à avoir des réflexions en dehors des idées acceptées ? Ne doit-il pas animer des discussions pour provoquer des opinions divergentes de la part de ses étudiants?

  • Karine Gagné dit :

    Bonjour Monsieur Guité, je suis une des étudiantes de Florian Meyer. Avant de donner mon opinion, je voulais vous dire que ce fut très intéressant de discuter avec vous.

    Après avoir lu votre billet, j’ai réfléchi aux raisons qui m’ont poussée à faire mes études en enseignement. Vous avez raison, les enseignants sont souvent les élèves qui ont apprécié leur expérience scolaire, je suis une de ces élèves. C’est surement la raison qui m’a incitée à vouloir passer les trente prochaines années dans une école.

    J’ai observé que les étudiants de ma cohorte ont tendance à vouloir seulement recevoir des connaissances concrètes qui permettent d’enseigner sans se questionner. J’ai tendance, moi aussi, à faire comme eux. Le premier pas à faire, je pense, est d’être conscient de ce fait. Ainsi, nous pourrons par la suite porter un regard critique sur les techniques et les outils que l’on nous propose.

    Une étudiante qui essaiera d’être plus critique à l’avenir

  • Eh bien, Karine, je suis charmé par tant de candeur. Il ne m’arrive pas souvent de croiser des éducateurs qui font preuve de tant d’ouverture d’esprit. Vous affichez là une qualité qui fera sans doute de vous une formidable enseignante.

    Je vous encourage à puiser dans le Web la science et les opinions qui compléteront votre formation universitaire et contribueront par la suite à votre formation continue. Avec un peu d’audace, peut-être même vous joindrez vous à nous.

  • Marielle Potvin dit :

    J’aimerais moi aussi encourager Karine à poursuivre sa démarche.
    En plus des conseils de M. Guité, il serait souhaitable, aussi, que tu aies la chance de toujours garder cette fraîcheur. Je te laisse une citation qui m’est très chère:

    « N’allez pas où le chemin vous mène, allez au contraire là où il n’y a pas de chemin et laissez une piste. » Ralph W. Emerson

    Enfin, donne-toi le droit , par-dessus tout, de te faire confiance.
    Heureuse et longue carrière en enseignement!
    Marielle Potvin, orthopédagogue
    Les services pédagogiques Math et Mots

  • Voilà bien d’autres excellents conseils! Merci, Marielle.



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