Intégrer ou utiliser les TIC?

dineastratoolL’intégration, c’est de la désintégration. (Houda Rouane)

La question peut sembler triviale, mais elle sous-tend un choix fondamental quant au rapport de l’homme à la technologie. Comme quasi tout le monde dans mon entourage, je parlais au début d’intégration des TIC, jusqu’à ce que des discussions m’amènent à voir la portée déshumanisante du premier terme et abaissante du second. Au regard de ce dernier point, je n’utilise plus l’acronyme que dans les titres, par économie d’espace. Quant à la distinction d’intégrer ou d’utiliser les nouvelles technologies de la communication, je privilégie le second. Or, une discussion intéressante avec Dominique Plourde et Sandra Laine a ramené le sujet sur le tapis.

L’origine du mot technologie nous ramène à la notion de technè, c’est-à-dire aux artefacts des artisans et de leur art. L’industrialisation de la production a éloigné l’objet du créateur originel, comme quoi son usage même s’est fait machinal. Dès lors que l’homme intègre un objet à son existence, qu’il « fait entrer un élément dans un ensemble en tant que partie intégrante » (Robert), il concoure à sa propre dénaturation.

L’homme est créatif de nature. Aussi est-il condamné à cette dénaturation par laquelle il se réalise. La nature de l’homme, foncièrement, est de dénaturer, un destin dont l’issue tient à un équilibre périlleux de la raison. L’habillement, l’habitation, les moyens de transport et la production d’énergie ne sont que quelques exemples de technologies que nous avons intégrées sans trop d’inconvénients. Toutefois, les auxquels nous succombons dans l’usage montrent bien les dangers de cette intégration.

Je préfère la notion d’utilisation qui préserve la primauté de l’homme sur l’outil et qui oblige à un usage réfléchi en fonction de l’objet. Il importe de préserver le questionnement au regard de l’utilisation de l’objet. Son usage nécessite la conscientisation de sa finalité. La notion d’intégration, pour ma part, contribue à artificialiser l’homme.

La menace est particulièrement grande au moment où le numérique, les nanotechnologies, la pharmacologie et le génie génétique s’apprêtent à bouleverser l’ordre naturel de notre espèce. Le langage de programmation, pour ne considérer que celui-là, constitue un matériau d’une immense fluidité. Nous jouons peut-être notre va-tout de liberté (OpenDemocracy : The liberty of the networked), voire d’humanité (InformationLiberation : Rise of the machines, end of the humans?).

La distinction entre l’intégration et l’utilisation de la technologie est particulièrement importante en éducation, l’un des derniers bastions de l’humanisme. Pour le moment, l’école ne semble pas faire le poids. Sur le seul plan de la créativité, trois grands facteurs avantagent les élèves dans l’intégration des nouvelles technologies de la communication : le maillage, la liberté et l’absence de peur.

Mise à jour, 01 juillet 2009 | Pour préciser ma pensée, j’ajoute que nous ne devrions intégrer une technologie qu’après avoir mûri son utilisation par la réflexion et l’expérience, collectivement de préférence. Par conséquent, on parlera d’utiliser une nouvelle technologie avant de l’intégrer.


(Image thématique : The Astra Tool, par Jim Dine)


Par ricochet :
La robotisation du cerveau
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Principes d’intégration des TIC
7 principes pour éduquer la i-génération
Questions d’éthiques reliées à la miniaturisation des TIC

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14 réponses

  • platte dit :

    c platte

  • C’est ardu, j’en conviens.

  • Pourquoi ne pas parler d’O.I.C. : Outils d’Information et de Communication ?

  • eptgecra dit :

    Lorsque j’utilise une technologie et que je la maîtrise bien, cette démarche devient naturelle et fait maintenant partie intégrale de mon processus de vie. Lorsque j’utilise le téléphone je n’ai pas à en faire tout un spectacle… c’est une démarche devenue anodine et intégrée dans mon contexte de vie. Je ne me sens pas pour autant dénaturé. J’ai plutôt l’impression d’avoir évolué car ce petit changement a fait de moi une nouvelle personne (un tout petit peu). N’est-ce pas le but de la vie que d’évoluer… Chose certaine, je refuse de régresser à devenir un être unicellulaire pour ne pas être dénaturé.

  • merci pour cet article qui précise ta pensée (après un passage par twitter).

  • Andrée dit :

    Ouf! Encore une fois, tu sauras me faire cheminer… Moi qui croyais que l’intégration était le but à atteindre pour un agent de changement (ou un prof)… Je comprends maintenant que je risque autant à prôner qu’à illustrer… Je crois qu’il faut faire les pas dans l’ordre…(c’est en forgeant que l’on devient forgeron). Je «jasais» samedi avec un entraineur (entraîneur pour les conservateurs!) olympique (de Sainte-Foy!) et il me disait que le changement venait du développement. Quand nous sommes prêts à changer, c’est que nous sommes confiants et avons le droit à l’erreur, j’imagine…

    Et je prends du recul en lisant des blogues de qualité… ;-D

    Je crois que l’important, c’est de modéliser encore et toujours (comme on peut) l’humilité et l’ouverture au changement… pas toujours facile, j’en conviens..

    Mais je me pratique tous les jours!
    ;-)

  • L’intégration suppose un usage machinal, voire mécanique. Je n’ai aucune difficulté avec le progrès, dans la mesure où il est réfléchi. L’apprentissage et l’habitude d’un outil ne présupposent pas l’intégration.

    Le danger que je vois dans l’intégration, et particulièrement au regard de certaines technologies, est que l’homme devienne l’objet de l’outil, et non le contraire. À partir du moment où l’homme est assujetti à un objet, il devient un agent de préservation de cet objet et, par conséquent, un obstacle au changement. De moderne, on devient vite ancien.

  • Dans ce contexte de réflexion, ne peut-on viser l’appropriation en lieu et place de l’intégration ?
    Selon moi, l’appropriation :
    * conserve selon moi les aspects positifs de l’intégration mentionnés par eptgecra ;
    * suggère que l’individu, l’intégrateur, se rend maître de ce qu’il ingurgite.

  • Dans une tout autre perspective d’intégration, à mon avis, ce sont les buts poursuivis qui importent lors de l’utilisation des technologies en éducation.

    L’école a intégré de nombreuses technologies afin de poursuivre des objectifs éducatifs s’inscrivant dans une métaphore d’acquisition des connaissances. Nous n’avons qu’à penser à l’imprimerie par le biais du manuel scolaire, du tableau d’ardoise, de la calculatrice et depuis quelques décennies de l’ordinateur personnel. Seulement, pour moi l’intégration consiste à une utilisation des technologies qui s’arriment à la mission sociale que l’institution s’est donnée. Et c’est là que je situerai le nœud du problème. Depuis un certain temps, les métaphores de participation (apprendre par l’action) et de création de contenus semblent frayer leur chemin au sein des sociétés du savoir. La culture de nombreux systèmes éducatifs se retrouve alors en pleine redéfinition. L’utilisation des TIC est-elle une compétence en-soi ou un moyen pour approfondir les savoirs et développer les compétences de tout un chacun?

    Certes François, je suis d’avis qu’il importe de se questionner sur le contexte de création d’une technologie et sur les affordances sociotechniques qu’elle met de l’avant. Je ne crois pas que la technologie n’existe indépendamment de l’être humain, ni de la culture dans laquelle elle a été élaborée (nous pouvons ici nous référer aux langages de programmation empreints de la culture anglo-saxonne). Une fois ce questionnement réalisé, il s’agirait à présent de savoir comment celle-ci peut faciliter notre progression vers les objectifs que nous nous sommes fixés.

  • J’aime beaucoup la proposition de Gaël de parler d’appropriation de la technologie en référence à l’homme. Ainsi, on parlera d’intégration de la technologie à une tâche, ce qui permet de préserver la nature de l’être. Cela n’élimine pas la résistance éventuelle au changement que j’évoquais dans mon commentaire précédent, mais c’est un moindre mal.

    Je poursuis ma réflexion du côté de la pensée d’Hannah Arendt, notamment ses ouvrages Condition de l’homme moderne et La Crise de la culture, vers lesquels Emmanuelle Trottier de la Commission de l’éthique de la science et de la technologie m’a dirigé. Je trouve une affinité avec sa mise en garde de subordonner la vita contemplativa à la vita activa, fut-elle sociale comme le laisse entrevoir Kaçandre. Dans la perspective de l’accélération du progrès technologique, ce n’est pas tant l’homme moderne qui m’inquiète, mais celui du futur.

  • Carine dit :

    Moi je voyais l’intégration et l’utilisation des TIC comme deux étapes distinctes. Pour moi, il me semble que nous devons commencer par intégrer les TIC afin de bien en connaitre le fonctionnement pour finalement les utiliser. Je suis présentement à l’Université en enseignement et j’ai la chance d’avoir un cours d’intégration des TIC. Je vois ce cours comme une chance de pouvoir apprendre de nouvelles choses afin de les intégrer dans ma future classe. Je crois qu’il est très important que les futurs enseignants se tiennent à jour des nouvelles technologies, car les technologies font maintenant parties de notre société.

  • L’idée de concevoir l’utilisation des nouvelles technologies comme un continuum, plutôt que des étapes distinctes, me plaît davantage. Toutefois, je placerais la phase d’utilisation, qui s’apparente davantage aux premiers usages et à l’exploration, avant celle de l’intégration, qui est plus près de l’appropriation, du faire soi.

  • Annie dit :

    Je suis présentement moi aussi en enseignement et je crois que les TIC sont déjà intégrés dans plusieurs écoles. J’ai visité plusieurs classes où ils sont très bien utilisés tant par les élèves que par les enseignants. Pour nous, il y a quelque chose qui cloche, mais les élèves de cette génération sont nés avec l’ordinateur sous la main. Il est vrai que certains enfants n’y ont pas accès, mais pour la majorité, ce n’est pas le cas. Comme Carine, je trouve que le cours de TIC nous permet de mieux nous préparer à intégrer les TIC dans notre classe. Aussi, elle a bien raison en disant que les TIC font maintenant partie de notre société et qu’il faut continuer à se mettre à jour parce que ce sont les élèves qui en bénéficieront parce qu’on pourra leur montrer encore plus de choses!

  • Votre attitude à l’égard du changement vous honore, Annie, et votre réflexion vous amènera éventuellement bien au-delà de ce que vous pensez aujourd’hui. Nos convictions ne sont guère immuables.

    Pour ma part, j’irais plus loin que vous, dans l’affirmation que les écoles d’aujourd’hui n’intègrent pas les nouvelles technologies. Si elles le faisaient réellement, elles seraient méconnaissables, en ce sens qu’une vraie intégration en modifierait la structure.



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