Clair2012 : L’éducation et le futur
Le futur a été créé pour être changé.
(Paulo Coelho)
Cette année encore, le village de Clair accueillait des éducateurs impatients de changement, où j’ai animé un atelier sur ce qui se dessine à l’horizon de l’éducation. Au risque de se couvrir de ridicule, l’évolution débridée nous oblige à vaticiner. En éducation surtout, où on prépare à l’avenir, c’est un devoir.
Le comité organisateur de Clair2012 s’est surpassé, tant au regard du programme que de la webdiffusion. Le titre de ce billet, en fait, convient tant à l’événement qu’à l’école qui l’accueille. Au coeur du happening, Roberto Gauvin papillonnait avec la légèreté et l’assurance de celui qui se sait supporté par un courant de bénévoles aussi avenants qu’efficaces, notamment le personnel de l’école et les habitants de Clair. Pour qui débarque de la ville, la leçon d’hospitalité est rafraîchissante.
Avec Sylvain Bérubé, qui était partout ma foi, j’ai animé un atelier sur l’avenir de l’éducation. Nous devons à Sylvain sa dextérité à prendre des notes. L’endroit s’y prêtait à merveille, car le Centre d’apprentissage du Haut-Madawaska constitue l’une des rares écoles à conjuguer présent et futur. On a maintes fois répété qu’entre le moment où un enfant entre à l’école et qu’il en ressort, l’accélération du changement désavoue une bonne part de son éducation. Mais n’a-t-on jamais pensé aux enseignants qui y passent non pas 15, mais 35 ans?
Parmi les thèmes proposés, quatre furent abordés.
Les médias sociaux
L’omniprésence des médias sociaux fait en sorte que l’école peine à composer avec le gigantisme du phénomène. Le sujet ponctue tous les grands événements en éducation. Pourtant, les sciences de l’éducation ont depuis longtemps révélé l’incontournable dimension sociale de l’apprentissage. Tout porte à croire que la pédagogie et les méthodes d’enseignement ont depuis longtemps revêtu une telle aura d’artificialité qu’elles perdent de vue la nature même de l’apprentissage.
Les participants, tous bénéficiaires du maillage social, ont unanimement soutenu l’irréversible courant médiatique en éducation. Considérant l’universalité des médias sociaux dans les sphères les plus productives de la société, notamment la recherche, la crédibilité de l’école est en jeu. Dans ce jeu, on ne saurait plus piper les dés aux dépens des élèves. L’école gagnera notamment en accompagnement les élèves dans la construction d’espaces virtuels sérieux, d’abord scolaires avant d’être professionnels.
L’école, c’est bien connu, s’adapte lentement aux changements. Cette faiblesse la menace d’extinction. Plutôt que d’accueillir les nouveaux moyens qui cognent à sa porte, aussi prometteurs soient-ils, elle érige des remparts. Les éducateurs devraient analyser les médias sociaux autrement qu’à l’éclair du sensationnalisme. Avec un peu de clairvoyance, ils comprendraient que les médias sociaux recèlent d’innombrables affordances pédagogiques. Quelques rares aventuriers, plus audacieux, tracent néanmoins la voie.
L’écriture
Ce thème fut judicieusement suggéré par un participant. Je m’emparai aussitôt du sujet, car je suis d’avis que l’écriture fera l’objet d’une imminente révolution. Les communications occupent désormais un rôle trop capital pour laisser l’écriture aux hasards des compétences scolaires. Les fonctions de correction orthographique, maintenant instantanées et omniprésentes, annoncent des outils beaucoup plus efficaces, grammaticalement et syntaxiquement, que Google Scribe nous a brièvement laissé entrevoir.
Les professeurs de français, ou toute autre langue, n’ont qu’à bien se tenir. L’enseignement de la grammaire, pour plusieurs élèves ce supplice qui saigne la langue, cèdera la place au jeu des mots et à la littérature. J’entends déjà les pédants crier haro sur les incultes des grammèmes. Comme l’école ne saurait faire de tous les élèves des écrivains, je renvoie ceux qui comprennent la langue de Shakespeare au superbe plaidoyer de de Stephen Fry.
En plus des outils de correction, la traduction automatique ouvrira l’écriture à une multitude de nouvelles cultures. L’écriture collaborative, déjà en pleine éclosion, comme en témoignait un autre atelier, atteindra des niveaux insoupçonnés de production. Dans ce contexte, la compétence à écrire reposera moins sur la mécanique grammaticale et syntaxique que la capacité à manipuler et organiser les idées.
L’analyse des données nous apprend que le texte tend de plus en plus au multimédia. Ainsi, le programme d’anglais de l’école québécoise conçoit le texte comme tout format de communication. L’écriture prendra inévitablement de nouvelles formes, pour lesquelles les enseignants accusent un analphabétisme certain. Par souci de cohérence avec le premier point abordé, ils gagneraient à s’initier aux médias sociaux.
L’apprentissage et les TIC
On me pardonnera un intertitre qui pèche par généralité. J’entends ici les nouvelles technologies conçues spécifiquement à des fins d’apprentissage. Les serious games, par exemple. Les percées du jeu éducatif sur le plan des apprentissages n’a d’égal que l’entêtement du milieu scolaire à les ignorer. Du coup, ceux qui pensent que la réussite de tous passe par les travaux forcés contribuent inévitablement au décrochage scolaire. Qu’on les envoie, avant qu’il ne soit trop tard, faire une cure à Ludovia, où le thème cette année est « plaisir et éducation numérique ». Qu’on se le dise, les jeux éducatifs succéderont avantageusement aux manuels scolaires.
L’apprentissage adaptatif apparaît l’une des voies les plus prometteuses qui se dessinent à l’horizon. À ceux qui craignent que les machines décident du parcours d’apprentissage des élèves, on répondra que c’est déjà la fonction des systèmes scolaires. Les approches personnalisées annoncent la fin des programmes uniformes, de l’approche compartimentée en fonction d’un horaire, du découpage par tranches d’âge. Quoiqu’embryonnaires, les technologies adaptatives, une fois augmentées par l’intelligence artificielle et jumelée aux mobiles, promettent de transformer le rôle de l’enseignant. Celui-ci sera enfin assouvi de la corvée de l’évaluation à des fins administratives. Quand on demande aux jeunes ce qu’ils attendent de l’école, eux qui disposent déjà de l’accès au savoir, plusieurs disent souhaiter y trouver des mentors (eSchool News: Five things students say they want from education).
Une autre voie intéressante se présente sous le vocable de l’apprentissage autodirigé (self-directed learning). Le ministère de l’Éducation de Singapour, pays au sommet de PISA, encourage déjà les applications mobiles reposant sur l’apprentissage autodirigé (Springwise : In Singapore Schools, a Tech-Enabled Program for Self-Directed Learning). Qu’il s’agisse de mentorat ou d’auto-gestion des apprentissages, on revient inexorablement à l’accord de la raison et des émotions, une union qui engendre la connaissance.
Les neurosciences
Le dernier point que nous avons eu le temps d’aborder est le rôle des neurosciences en éducation. Quoiqu’on ne saurait réduire l’apprentissage à sa dimension neuronale, il serait absurde de balayer la neuroéducation du revers de la main. Maintenant que nous avons découvert la plasticité neuronale, la science explore comment optimiser l’activité cérébrale. Récemment, des chercheurs ont démontré qu’on pouvait produire des apprentissages sans effort de la part du sujet (The Atlantic: Study of the Day: Soon, You May Download New Skills to Your Brain).
Plus tôt, IBM annonçait que dans cinq ans on commencera à communiquer avec les ordinateurs par la pensée (IBM: IBM Reveals Five Innovations That Will Change Our Lives within Five Years). Les applications comme Siri prendront alors un essor fulgurant, en attendant la connexion du neurone et du microprocesseur.
Depuis l’avènement de l’imprimerie, la mémorisation a progressivement cédé le pas à la créativité (First Monday: Reading revolutions: Online digital text and implications for reading in academe). De toute façon, la mémoire n’est pas ce qui caractérise l’être humain. Du point de vue de l’évolution, le cerveau n’est point fait pour mémoriser l’information contenue dans les programmes scolaires. Par contre, il est magistralement adapté pour l’oublier.
En conclusion de l’atelier, il appert que le principal défi qui nous guette n’est pas le fossé numérique, mais social. La fracture entre la réussite scolaire des riches et des pauvres ne cesse de croître depuis cinquante ans, selon une étude récente (Stanford University: Stanford study finds widening gap between rich and poor students). Dans une telle éventualité, nos beaux discours de virage numérique n’auront servi à rien.
Plus que toute autre technologie avant elle, les technologies de la cognition ont le pouvoir d’élever la connaissance à la sagesse, ou de l’abêtir. L’accélération de l’évolution fait en sorte que le défi de l’adaptation pour l’homme n’est plus environnemental, ou physiologique, mais technique, cognitif, et social.
Références :
- Cull, B. W. (2011) Reading revolutions: Online digital text and implications for reading in academe. First Monday : <http://firstmonday.org/htbin/cgiwrap/bin/ojs/index.php/fm/article/view/3340/2985> (consulté le 22/02/2012).
- Reardon, S.F. (2012) (sous presse). The widening socioeconomic status achievement gap: new evidence and possible explanations. Dans Richard Murnane & Greg Duncan (éditeurs), Social and Inequality and Economic Disadvantage. Washington, DC: Brookings Institution. <http://news.stanford.edu/pr/2012/pr-reardon-achievement-gap-021312.html> (consulté le 22/02/2012).
- Shibata, K. et coll. (2011) Perceptual Learning Incepted by Decoded fMRI Neurofeedback Without Stimulus Presentation. Science : <http://www.sciencemag.org/content/334/6061/1413.abstract> (consulté le 21/02/2012).
(Image thématique : Into the Future, par David Lee Thompson; photo : Sylvain Bérubé)
Par ricochet :
L’éducation dans un contexte mondial
Révolution∞
Les facteurs de l’avenir de l’éducation
Enseigner au futur
Accélération de l’évolution : le futur se rapproche
Le Web est le futur de l’éducation
Retour vers le futur (Mario tout de go)
Clair2012 – les tweets (Variations sur thème)
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Un billet très optimiste !
L’ambiguïté de la langue m’oblige à préciser :
* optimisme qui redonne espoir…
* optimisme parce que l’Humain revient au centre des pré-occupations : que seraient les Réseaux Sociaux sans l’Ecriture, via les outils des TICs, pour relater le bouillonnement des Neurones des Humains ?
C’est en tout cas la lecture que j’ai de ce billet…
A quand la pratique ?
L’optimisme est certes un très joli compliment, et sans doute l’un de ceux qui se font le plus discrets.
Quant à la pratique, il me semble qu’on y est déjà. Ça manque de relief, mais en y regardant de plus près, on constate que plusieurs d’entre nous embrassent le futur, quoique pas aussi grandiosement que nous le souhaiterions. Disons que pour l’instant nous lui tenons timidement la main en attendant de l’étreindre dans un long baiser. Pour l’heure, ça se manifeste par de petits gestes annonciateurs.
Heureusement, il y aura au moins toujours les artistes pour sauver l’humanisme des humains.
Ce billet (http://4cristol.over-blog.com/article-mes-10-decisions-minuscules-pour-mon-equipe-100400709.html) me semble tout indiqué pour illustrer ta réponse : « Changer l’ambiance d’une équipe, au travail passe moins par le décret et l’injonction que par une multitude de petites initiatives. »
Ce billet de Cristol, fort à propos, nous ramène à l’apprentissage invisible (invisible learning). En tant qu’explorateur, je pense que nous n’avons guère le choix que de nous adonner à beaucoup d’apprentissages invisibles, aidés et stimulés que nous sommes par le maillage Internet.
On a tendance à l’électronique, moi je mets un petit point sur l’écriture et le grammaire : Ceci me rappelle le film qui fait combattre les machines contre les hommes… Il ne faut jamais oublier que l’homme est naturellement naturel…