Le suicide, fatal abandon
C’est par peur de la mort que je pense au suicide.
(Michel Blanc)
Si le suicide d’un adulte tonne dans l’apathique silence, un ultime appel à l’aide tourné vers l’au-delà, celui d’un enfant nous pétrifie au bord de l’incompréhensible néant. Sourds à la tragédie qui nous rappelle sans cesse que la vie ne tient qu’à un fil, si fragile, nous fermons aussi les yeux sur la détresse qui le ronge.
Son visage souriant hante encore mes souvenirs d’école. C’était l’un des élèves les plus aimables du Programme d’éducation internationale. Énergique, intelligent, badin, charmant. Mais petit, dépendant de lunettes, et seul. Une proie facile pour les requins qui sillonnent l’école. En rétrospective, sa proximité des enseignants, dont il cherchait le refuge, aurait dû éveiller mes soupçons. Une bonne humeur apparente, toutefois, masquait entièrement son désespoir. La nouvelle de sa pendaison, l’année suivante, ébranla l’école. Le temps d’un chagrin.
Comme la mission de l’école est d’instruire, socialiser et qualifier, force est d’admettre que le deuxième volet bat de l’aile. Le domaine de l’univers social se mure dans les connaissances historiques et géographiques. Dans son obsession à instruire et qualifier, l’école relègue l’apprentissage de la vie en commun à un maigre cours d’éthique et de culture religieuse. Le plus souvent, l’éducation à la citoyenneté se fait par règlements et caméras de surveillance. On s’occupe des mécanismes plutôt que de la pensée.
La détresse qui mène au suicide commence très tôt. Un pédopsychiatre québécois a vu une tentative de suicide chez un garçon de 4 ans (La Presse : Se tuer à 4 ans). Une étude de l’Université de Washington révèle que 40 % des premières tentatives de suicide chez les jeunes Américains ont lieu avant l’école secondaire. Par ailleurs, la recherche a assez démontré la détresse scolaire, où les facteurs s’additionnent et se multiplient : intimidation, violence, stress relié à la performance, difficultés en lecture, échecs scolaires, pauvreté, obésité, orientation sexuelle, rejet, etc.
Le suicide n’est pas un accident, mais la rupture de l’espoir qui a trop longtemps ragué, alors qu’on ne sait plus écoper les idées noires. C’est l’éclatement du miroir, en proie aux fissures. Par analogie, c’est ce moment décisif où le décrochage scolaire bascule dans l’abandon, mais sans rémission.
Paradoxalement, le progrès amène une augmentation du taux de suicide. C’est du moins la conclusion qu’on peut tirer d’une récente étude qui compare les causes de mortalité après plus d’un siècle. On constate que le suicide ne constitue plus aujourd’hui une cause de décès négligeable.
Le problème ne tient-il pas à notre célébration de l’accomplissement plutôt que l’être? du possible plutôt que ce qui est? de l’avenir plutôt que le présent? la glorification de l’action avant la réflexion? La réussite trône sur un piédestal, regardant l’échec de haut. L’échec n’est plus qu’une mort annoncée.
Personne n’est jamais né avec des idées suicidaires. Il s’agit par conséquent d’un mal acquis. La pauvreté de biens ne conduit pas au suicide. Si tel était le cas, l’humanité n’aurait pas survécu à la préhistoire. Encore aujourd’hui, le taux de suicide est généralement plus élevé dans les pays industrialisés.
Le suicide résulte non de la pauvreté matérielle, mais d’une pauvreté sociale. Il est moins un échec individuel qu’un échec collectif, celui du quant-à-soi endémique. Cette déshumanisation matérielle a un antidote tout naturel : lever les yeux et engager la conversation.
Références :
- Jones, D.S. et al (2012) The Burden of Disease and the Changing Task of Medicine. The New England Journal of Medicine : <http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp1113569> (consulté le 19/08/2012).
- Mazza, J.J. et al (2011) 40 percent of youths attempting suicide make first attempt before high school. University of Washington : <http://www.washington.edu/news/2011/11/28/40-percent-of-youths-attempting-suicide-make-first-attempt-before-high-school/> (consulté le 19/08/2012).
- Perreault, M. (2008) Les ados des quartiers pauvres plus à risque. La Presse : <http://www.lapresse.ca/vivre/sante/200810/25/01-32813-les-ados-des-quartiers-pauvres-plus-a-risque.php> (consulté le 19/08/2012).
- Science Codex (2012) Suicide in Children and Adolescents. <http://www.sciencecodex.com/suicide_in_children_and_adolescents-100075> (consulté le 14/10/2012).
- Sergent Daniel, S. (2006) Reading Disabilities Put Students at Risk for Suicidal Thoughts and Behavior and Dropping Out of School. Wake Forest Baptist Medical Center : <http://www.wakehealth.edu/News-Releases/2006/Reading_Disabilities_Put_Students_at_Risk_for_Suicidal_Thoughts_and_Behavior_and_Dropping_Out_of_School.htm> (consulté le 19/08/2012).
- Wolke, D. (2012) Research finds bullies and victims three times more likely to have suicidal thoughts by age 11. University of Warwick : <http://www2.warwick.ac.uk/newsandevents/pressreleases/research_finds_bullies/> (consulté le 19/08/2012).
(Image thématique : Suicide, par Alexey Adonin)
Par ricochet :
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Merci pour cette réflexion, François, que je mettrai à profit l’an prochain dans mon cours sur l’intervention éducative. Je ne suis habituellement pas fervent des dichotomies mais les questions que tu soulèves à la suite du premier graph m’interpellent beaucoup. Je peux certainement faire plus… Je dois faire plus…
La finesse d’une plume transparait particulièrement dans les contextes d’écriture difficiles. Comme lecteur, je perçois un équilibre qui me plait entre empathie, tristesse, humanisme, explication et réflexion dans ce billet…
Nous partageons, il me semble, cette même préoccupation de préserver la sensibilité que la technologie menace. C’est du moins ce que je perçois dans ton propos, notamment sur Twitter. Le problème de la sensibilité, qui garantit de la déshumanisation, tient beaucoup au fait que le conditionnement conduit à une sorte d’état d’esprit hypnotique qui empêche de bien sentir les choses.
Bonjour François. Le passage « personne n’est jamais né avec des idées suicidaires. Il s’agit par conséquent d’un mal acquis » m’interpelle. Il contredit ce que je crois savoir de certaines maladies mentales, comme le trouble bipolaire par exemple. Certes, l’individu qui est devenu bipolaire n’avait pas l’envie de s’enlever la vie à deux ans –et une prédisposition génétique pour la maladie bipolaire n’est pas sûre de devenir la maladie non plus, je le sais bien.
Toutefois, pareille fragilité (et à l’inverse une personnalité très résiliente comme la mienne) sont innéees non? Ne faudrait-il donc pas nuancer un peu le fait que tu poses?
Tu soulèves une bonne question, Jean. Je n’avais pas réfléchi au sujet sous l’angle que tu définis, très juste il me semble et te donne raison. Merci de la précision.
Dans le passage que tu cites, j’en conclus que c’est l’énoncé un mal acquis qui fait défaut. Le mot est mal choisi, en effet, à cause de son ambiguïté. Je l’entendais ici dans son acception littéraire « de chose particulière qui est mauvaise ». J’espère qu’on me pardonnera l’imprécision, dans l’espoir qu’on s’arrête à ton commentaire.
Un enfant à beaucoup moins de recul que nous adulte, son monde peut s’écrouler pour des choses qui peuvent nous paraitre bénignes. C’est pourquoi nous devons toujours être à leurs écoute et déceler les moindre indices de mal être ! Certain enfants sont extrêmement sensible et c’est ceux la qu’il faut surveiller…
Vous avez raison de signaler cette différence de perceptions entre adultes et enfants. On ne saurait reprocher à un enfant de ne pas voir les choses sous l’angle de ses parents, puisque ni son expérience de la vie ni la maturité cognitive le lui permettent, mais les adultes ont au moins l’avantage d’être déjà passés par cet âge. La mémoire, malheureusement, est peu fiable.
Bonjour François, pouvez vous expliquer « La détresse qui mène au suicide commence très tôt » , je veut savoir de quelle manière la détresse participe au suicide. Merci
La détresse est une souffrance dont la constance équivaut à une forme de torture qui finit par miner l’instinct de survie. Il vient un temps, sans doute, où la détresse a raison de l’espoir.
Il y a malheureusement aussi une cause génétique au suicide, enfin épigénétique (gènes + environnement) et un enfant faible transporteur de sérotonine sera plus enclin à commettre l’acte fatal… Je vous renvoie aux travaux de Boris Cyrulnik sur le sujet.
» Le suicide obéit à une convergence de causes, dont l’isolement sensoriel est le carrefour. »
Je vous remercie de cette très intéressante information.
Vouloir se suicider à 4 ans çà interpelle forcément et devrait nous faire prendre conscience qu’il y a plus important que de disposer de moyens matériels pour communiquer alors qu’il suffit d’engager une conversation tout simplement. Le problème est que le progrès a apporté aussi la solitude et les enfants sont les premiers à le subir et c’est terrible.
Cheyenne a raison, on vit dans un monde très paradoxal, il y a de nombreux outils de communication mais la réelle communication entre les personnes est rompue ou pas assez poussée. La société d’aujourd’hui nous pousse vers un individualisme déconcertant où il faut constamment être le meilleur. Et ceux qui n’arrivent pas à suivre le pas sont délaissés et on n’y prête plus attention. C’est pourquoi le taux de suicide ne cesse d’augmenter. Les personnes qui se sentent mal ne trouvent personne à qui le dire et se renferme dans leur solitude.
Le suicide aussi traduit un manque d’écoute flagrant ou alors une pression psychologique constante qui forcément amène la personne à vouloir en finir. Ce qui m’émeut et me révolte le plus c’est de voir des enfants tellement jeunes mettre fin à leur vie, cela me tue vraiment!
Le suicide, lorsqu’il ne se concrétise pas est d’abord un appel au secour lancé à soit même. Au niveau de la tentative de suicide (la fameuse TS), c’est soit un appel au secour lancé à son entourage, soit un échec dans le suicide.
J’ai déjà lu sur quelques topics des personnes demandant des méthodes, des façons, des trucs pour partir surement sans souffrir. J’ai aussi lu sur d’autres topics, que les personnes concernées connaissaient un bon moyen pour quitter le paysage d’emmerdes qui les enferme.
A mes yeux, le suicide n’est pas une banalité, n’est pas un jeu ni une solution miracle. C’est un choix, souvent très clairement défini, une volonté et un voeu dont les conséquences peuvent être dramatiques. Dramatique d’une part pour l’entourage, qui reste dans l’incompréhension et dans la culpabilité de ne pas avoir vu plus tôt l’état de la personne qui se donne la mort, mais aussi dramatique dans certains cas pour celui qui se rate et qui fini beaucoup plus mal qu’il n’a commencé.
Le suicide, est un appel au secours lorsqu’il ne se concrétise pas, lancé à soit même. Au niveau de la tentative de suicide, c’est soit un appel au secours lancé à son entourage, soit un échec dans le suicide.
J’ai déjà vu sur internet des personnes demandant des méthodes, des façons de faire pour partir surement sans souffrir.
Pour moi, le suicide n’est pas une banalité, ni un jeu, ni une solution miracle. C’est un choix, souvent très clairement défini, une volonté et un voeu dont les conséquences peuvent être dramatiques. Dramatique d’une part pour l’entourage, qui reste dans l’incompréhension et dans la culpabilité de ne pas avoir vu plus tôt l’état de la personne qui se donne la mort, mais aussi dramatique dans certains cas pour celui qui se rate et qui fini beaucoup plus mal qu’il n’a commencé.
Bien que le suicide soit en haute augmentation dû à un manque de communication et à trop de solitude, il peut être aussi dû à des changements auxquels on n’est pas psychologiquement prêt ou qui nous dépasse totalement non? La société actuelle peut étouffer, nous faire perdre pied.
Ce qui nous laisse également impuissant c’est que souvent on ne voit ce qui se passe réellement. Les personnes suicidaires peuvent quelquefois nous avertir dans leur comportement mais beaucoup savent le cacher jusqu’au jour où cela implose et c’est trop tard, c’est l’incompréhension générale.
Un constat malheureux que ces taux de suicide soient aussi élevés! Beaucoup sont restés en marge et peu s’en soucient car la crise aidant, on est devenus moins ouvert aux problèmes des autres.
La société s’est retrouvée je pense prisonnière de la technologie qu’il ne laisse que peu de place aux vraies relations humaines. Ces cas de suicides prouvent qu’il faut lever le pied et remettre à sa place des choses essentielles.
Humm je ne vois pas trop le lien entre nouvelles technologies et suicide. C’est un fait qui a toujours existé, moins recensé dans le passé certes mais je ne pense pas qu’il soit dû à une baisse du lien social
Enfant ou adulte, on a tous toujours une particularité, une faiblesse qui a besoin d’intention spéciale. Mais les enfants sont plus fragiles, et surtout ils sont plus captifs (de bonnes ou mauvaises choses) à leurs environs…
Bonjour François,
« C’est par peur de la mort que je pense au suicide »
Je trouve cette citation très intrigante et qui pourrait faire un excellent sujet de réflexion à proposer pour un examen de philosophie tel que le baccalauréat.
amicalement
On est pas les propriétaire de nous même, nous somme à dieu et à dieu nous revenons, donc la suicide c’est la solution des faibles.
C’est fou de savoir qu’il y a autant de suicides, je ne pensais pas qu’il y en avait autant.
Merci pour ce site et bonne continuation
Votre analyse est très vrai, un ami viens de ce suicidé car il ne croyais plus en l’avenir … il avait 19 ans!
Benoit
L’idée du suicide est une liberté, la tentative de suicide une soupape, et la pulsion qui mène au suicide un acte incontrôlable précédé d’un choix sans cesse reporté.
merci d’avoir traiter ce sujet c’est très intéressant.
C’est horrible d’en arriver là. Je me souviens la sensation de tristesse profonde que j’ai ressentie lorsque j’ai apprie le suicide d’une connaissance relativement proche (il n’avait que 19 ans)… Je me demandais pourquoi a-t-il fait cela, et surtout aurais-je pu l’en empêcher si je m’étais plus intéressé à sa personne ?
Je ne savais pas que le nombre de suicides avait augmenter ainsi. Je crois que la cause est bien le manque de communication. Un philosophe disait que l’Homme est un animal social il n’avait probablement pas tord. Comme vous le dites si bien, l’échec le plus insurmontable est certainement l’échec social, autrement dit sa relation avec les autres…